Interview Genaro Bardy Interview Genaro Bardy

Amour, photographie et chocolat

Cécile du podcast Rencontres m’a laissé raconter mes petites histoires, notamment comment je suis devenu photographe professionnel :

Vous pouvez retrouver le podcast sur votre plateforme préférée :

Photo de couverture de François Capdville.

Lire la suite
Projet Photo Genaro Bardy Projet Photo Genaro Bardy

3 étapes pour définir un projet photo

Déterminer ou choisir un projet photo sur lequel travailler sur une longue période de temps peut être l’une des étapes les plus difficiles dans le parcours d’un photographe. Cet article est destiné aux photographes qui essayent de donner un sens a leur photographie, à ceux qui souhaitent explorer la photographie artistique, journalistique ou documentaire. Quel que soit votre avancée dans votre pratique, vous avez certainement compris que la photographie ne s’expérimente presque jamais avec des photos uniques, individuelles, sans aucune connection entre elles.

Que ce soit pour un client, une histoire, un livre ou une exposition, il est toujours nécessaire de penser la séquence de photographies, de construire à partir d’une idée ou d’un principe qui va permettre au spectateur de comprendre le message que vous portez. L’ensemble de photographies qui composent cette séquence, je l’appelle projet, mais ce pourrait être un sujet pour un média ou une exposition pour une galerie.

Pour avancer dans votre photographie, le mieux est de définir vous-même les sujets ou les projets personnels sur lesquels vous souhaitez travailler. Ce sera toujours plus satisfaisant de réaliser des photos que vous aimez voir, et qui portent le message que vous aimeriez transmettre. J’essaye ici de suivre un processus simple en trois étapes pour explorer vos options, vous devriez ainsi avoir un outil que vous pouvez immédiatement utiliser pour vous aider à avancer de manière significative.

Je vous propose trois étapes pour découvrir un projet photo personnel :

  1. Choisir une idée

  2. Créer un principe narratif

  3. Aligner vos photos sur ce principe narratif

Choisissez une idée

À chaque instant, autour de moi, j’ai une possibilité infinie de photographies. C’est pour cela que toute photographie, que l’on veuille ou non, en dit autant sur le photographe que sur le sujet photographié. Selon le même principe, les possibilités de projet photo sont par essence infinies. De plus, il est à peu près certain que chaque sujet que vous choisissez a déjà été traité par des photographes, des auteurs ou des artistes avant vous.

Norman Vincent Peale peut nous éclairer sur le pouvoir du choix :

« Le plus grand pouvoir que nous ayons est le pouvoir de choisir. C'est un fait, si vous avez toujours tâtonné sous le poids des difficultés, vous pouvez choisir d'être joyeux, à la place. Vous pouvez décider de choisir le bonheur. Si vous avez tendance à avoir peur, vous pouvez la surmonter en choisissant d'avoir du courage. Le chemin et la qualité de la vie de chacun sont déterminées par les choix qu’il fera ».

Norman Vincent Peale

Si je vous cite ici l’auteur le plus connu sur la pensée positive, c’est pour essayer de lever le dernier doute dans votre esprit : choisissez d’abord un projet ou un sujet qui vous plaît à vous. Ne vous laissez pas submerger par ceux qui aurait pu mieux traiter le sujet, ils ont eux-même été inspiré par d’autres artistes ou d’autres histoires avant eux. Choisissez l’idée que vous voulez défendre, le sujet que vous voudriez faire connaître. Choisissez ce qui vous passionne et apprenez à savoir pourquoi. Si vous ne savez pas pourquoi un projet vous intéresse, comment voulez-vous que cela concerne quelqu’un d’autre ?

En faisant un choix, vous vous donnez une direction. Une fois que vous déterminez une direction conforme à vos valeurs, vous commencerez à voir les photos qui y correspondent un peu partout. Si vous poursuivez dans cette direction avec sincérité, il n'y a aucune raison pour que vous ne puissiez pas accomplir votre objectif.

Pour déterminer cette direction, le sujet ou le projet que vous pouvez choisir, vous devez comprendre la différence entre ce que vous photographiez et le message d’une photo. Il est nécessaire de définir à propos de quoi seront vos photos pour donner une meilleure fondation à votre projet.

Alors, pour commencer, faites une liste de ce qui vous intéresse ; des choses que vous avez toujours appréciées, qui vous font vous sentir mieux, qui vous incitent à aller de l'avant. Vous aimez la nature ? Vous aimez la mer ? Aimez-vous aider les autres ? Un projet peut se définir aussi simplement que ça : “J’aime marcher dans la forêt”. C’est ce principe tout simple qui sous-tend le projet Borealis du photographe Jeroen Toirkens.

Peu importe ce qui vous intéresse, notez-le et répondez à ces questions :

  • Qu’est-ce que vous aimez faire ?

  • Qu'est-ce que vous aimez dans cette activité et pourquoi ?

  • Comment pourriez-vous ne faire que cela ?

Créez un principe narratif

L'étape suivante consiste à examiner la liste que vous venez d’écrire et à découvrir s'il existe un thème récurrent. Quoi qu'il en soit, essayez d'identifier un thème central avec une phrase déclarative courte et précise. Ce sera la prémisse de votre projet. Il peut s'agir d'une citation d'une personne célèbre ou d'une philosophie qui vous a influencé. Bien sûr, avec le temps, cette prémisse pourra évoluer, mais le principe restera la même.

À partir de cette prémisse, explorez les manières dont votre photographie pourrait l’exprimer, choisissez une forme narrative qui permettra de présenter ce projet ou ce principe. Pour développer cette idée, avez-vous besoin d’une série de portraits ? Devez-vous enquêter pour mieux comprendre, réaliser un reportage ? Cette idée est-elle liée à un lieu ? Auquel cas je vous suggérerai toujours de choisir des lieux facilement accessibles, proches de là où vous vivez, pour toujours pouvoir travailler sur votre projet sans le soumettre à un voyage. Tous les genres photographiques sont concernés, ce qui est important est qu’ils soient au service de votre projet, c’est à dire du message que vous avez défini. Vous pouvez bien sûr en combiner plusieurs, chacun s’adaptant aux canaux de diffusion que vous allez choisir.

Il sera également pertinent de mieux connaître les photographes qui ont déjà traité de ce sujet. Existe-t-il des livres photo qui ont été publiés ? Des reportages dans des publications plus ou moins prestigieuses ? Des expositions ont-elles déjà été proposées ? Pour chaque projet que vous trouverez, analysez comment les photos ont été réalisées et demandez vous pourquoi est-ce que le projet fonctionne. Tout le travail que vous proposerez sera une nouvelle pierre à un édifice déjà commencé. Il pourrait être intéressant de choisir un nouvel angle ou un nouveau message sur le sujet choisi, mais parfois vous préférerez vous mettre dans les pas de ceux qui vous ont précédé.

Enfin, choisissez les meilleurs canaux de diffusion de votre projet ou sujet. Chaque canal de diffusion a ses propres règles qui vont impacter l’édition, le choix des photos, la forme narrative la plus appropriée pour diffuser ce projet. Est-ce que vous allez le proposer à un média ou une ONG ? Est-ce que vous en ferez un Zine, voire un livre ? Est-ce que vous créerez un compte instagram uniquement pour ce projet ? Le cas d’Instagram est intéressant, maintenant qu’ils assument ne plus être une application de partage de photo. Il est facile de comprendre que le même projet ne sera pas expérimenté de la même manière dans des publications, des stories, des reels ou sur IGTV. Instagram est devenu tellement tentaculaire que vous devrez adapter la forme narative aux moyens que vous choisirez. Le principe est identique quel que soit le média choisi, vous devrez adapter la forme narrative qui sert le mieux votre projet.

Alignez vos photos sur ce principe narratif

La dernière étape consiste à tracer votre chemin vers votre objectif à commencer à produire les photos qui serviront le ou les principes narratifs choisis. En réalisant les premières photos qui répondent à votre objectif, vous aurez la satisfaction de voir le projet naître et grandir. Vous vous apercevrez également que les photos sont plus faciles à réaliser quand vous définissez une intention, quand elles répondent à un objectif précis.

La réalisation d’un projet personnel est particulièrement enthousiasmante, si vous avez défini une prémisse qui vous procure un grand plaisir.

Mon nom est Personne - Paris, juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Paris, juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Minha alma no banho de luz - Salvador, sept. 2020 - Photo Genaro Bardy

Minha alma no banho de luz - Salvador, sept. 2020 - Photo Genaro Bardy

La Ville Miraculeuse - New York, 2019 - Photo Genaro Bardy

La Ville Miraculeuse - New York, 2019 - Photo Genaro Bardy

Desert in Tokyo - 1er janv. 2018 - Photo Genaro Bardy

Desert in Tokyo - 1er janv. 2018 - Photo Genaro Bardy

Lire la suite
Photographie de rue, Formation Genaro Bardy Photographie de rue, Formation Genaro Bardy

La peur est un bon signe

Place des abbesses, septembre 2008. Je m’en souviens comme si c’était hier, la peur m’a tellement marquée que je n’ai pas besoin de voir la photo pour sentir l’adrénaline monter. C’est pourtant la plus simple ou la plus idiote des anecdotes. Pour la première fois de ma vie, je m’apprêtais à demander à un jeune homme bien plus grand que moi si je pouvais le prendre en photo.

Je ne sais pas bien pourquoi je lui ai demandé à lui, spécifiquement. Il est peut-être juste passé au moment où j’ai pris mon courage à deux mains. Peut être que je le trouvais élégant ou original, peut-être avait-il un visage amical et une démarche pas trop pressée.

Il s’est arrêté, s’est retourné, a souri en répondant un simple : “si tu veux”. Dans mon souvenir, il aurait presque haussé les épaules. J’ai fait la première photo qui m’est passée devant les yeux, le coeur à cent mille. Je suis reparti surpris par tant de facilité, souriant à ce qui s’ouvrait maintenant devant moi.

Treize ans plus tard, après quelques centaines de milliers de photos, régulièrement dans la rue ou un lieu public, je peux vous dire que cette peur initiale est toujours là. Elle est amoindrie, elle est apprivoisée, je sais comment la surmonter, mais elle est toujours là. Cette peur est celle qui me souffle à l’oreille les mauvaises excuses pour ne pas aller faire ces photos : “je ne veux pas les déranger, je ne voudrais pas être vu, cette photo ne vaut pas le coup”. Je pourrais en citer deux cents autres, on trouve toujours des raisons de ne pas y aller, c’est toujours la peur qui nous freine.

C’est certainement une question de personnalité, je connais des photographes qui n’ont aucune peur apparente, ou qui se foutent éperdumment de comment les autres pourraient réagir. Pour moi, la photographie est un moyen de m’ouvrir sur les autres. Je parle, j’explique, je commente la scène, je pose des questions. Racontez-moi votre histoire, si vous avez le temps je l’aurai toujours pour vous.

Après avoir initié à la photographie de rue des centaines de photographes en voyage, dans les rues de New York, de Sienne ou de Paris, je sais que cette peur est toujours présente. La peur est le principal objet de mon travail de formateur pour les débutants en photographie de rue, quelle que soit la personnalité qu’ils adoptent une fois cette difficulté initiale franchie.

Il y a quelques semaines, au début du second jour de ma formation à Paris, j’identifiais Maria, une participante qui n’avait pas réussi à surmonter sa peur sur la première journée. Ses photos de la veille en étaient de faciles témoins. Je lui proposais de l’accompagner lors du d’ébut de notre marche, rue des petits carreaux, pour lui montrer la méthode et l’inciter à procéder elle-même juste après. Je cherchais à la débloquer, je n’ai pas été déçu.

La méthode lorsque l’on débute est toujours la même : demandez la permission de faire un portrait. Quand vous aurez demandé dix fois la permission, vous serez plus à l’aise pour passer à l’étape suivante : faire la photo PUIS demander la permission de garder la photo.

Je m’exécutais donc, Maria juste à mes côtés, je cherchais un personnage qui m’intéresse assez pour lui demander une photo. Avec l’expérience, j’ai appris à toujours aller vers celui ou celle qui me fait le plus peur. Non pas parce que la personne est menaçante, je cherche en réalité à écouter ma peur, parce qu’elle est toujours un signe.

La peur est le signe que j’ai vu une photo intéressante, que j’ai vu un personnage qui m’intrigue, pour des raisons que je n’ai même pas besoin d’analyser. J’ai peur de faire la photo justement parce que je sens qu’il y a une bonne photo à faire. Si je n’ai pas peur d’y aller, et bien c’est que je peux passer mon chemin et que le sujet ou la scène ne m’intéresse pas. Le monsieur d’un certain âge en train de boire un whisky en terrasse de la rue Montorgueil a été charmant, et je crois bien que la photo n’est pas mauvaise du tout.

La réaction de Maria a été foudroyante. Elle a commencé par aborder un couple d’américains qui lui ont signifié qu’elle pouvait photographier si elle ne les interrompait pas dans leur conversation. Une heure plus tard, je retournais chercher Maria tous les 1/4 d’heure pour qu’elle rattrape le groupe. Elle donnait ses coordonées à une jeune femme pour aller photographier un événement ou prenait le téléphone d’un basketteur dont elle avait mitraillé le match. Maria était débloquée et partait en souriant à l’aventure, quand quelques heures plus tôt elle n’osait pas lever la tête de l’appareil pour parler à des inconnus.

C’est aussi simple que ça. Une fois apprivoisée, la peur devient le signal qu’une photo qui m’intéresse se cache quelque part par là. À chaque fois que je cède à la peur, en réalité je manque une occasion d’avoir une excellente photo. Présentée ainsi, la peur est ma meilleur alliée en photographie de rue.

La peur est un bon signe.


Prochain atelier à Paris : 16-17 Avril 2022


Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Lire la suite
Photographie de rue, Projet Photo Genaro Bardy Photographie de rue, Projet Photo Genaro Bardy

Le syndrôme de l’étranger

De retour à Paris pendant deux semaines, j’ai eu la chance de pouvoir photographier tous les jours dans ces rues que je connais si bien. Après deux ans sans voir Paris, j’ai posé un regard neuf sur la ville et le quartier où je passais vingt ans.

Dans mes valises, sous les yeux, j’ai pris avec moi l’habitude d’observer plus franchement la lumière. Le soleil de juin à Paris ne pourrait pas passer pour celui de Salvador, mais j’ai pu observer avec plus d’attention comment il transforme la ville. Les gens sont différents, plus nerveux qu’à Bahia et rarement présents dans l’instant. Le rythme est tonique, jusqu’à ce que les terrasses des trottoirs nous arrêtent. Le ton est sec, comme pour se protéger des autres, en quelques heures je vois tout ce qui a changé chez moi.

À dire vrai, j’ai pu expérimenter ce que les expatriés ne connaissent que trop bien : je suis devenu étranger partout. À Salvador je serai toujours le Français, comme photographe on me demandera toujours si je connais Pierre Verger. À Paris, je retrouve les années passées sans me reconnaître dans une identité. Personne n’est Parisien, on le devient.

Le syndrôme de l’étranger est une mentalité que l’on transporte en voyage, que l’on expérimente furtivement en vacances. Il est toujours plus facile de photographier les autres quand on ne vit pas là. Pourquoi ? Parce que mon état d’esprit est différent, parce que j’ai soif de découvrir, de goûter, parce que j’ai faim de garder un souvenir. Parce que j’ai l’excuse de l’étranger, je peux photographier. C’est absurde. Si je ne suis pas capable de photographier dans mon jardin, comment est-ce que je pourrais prétendre sortir de vraies photos ailleurs ?

Il n’est pas plus facile de photographier ici ou là, selon que l’on soit étranger, apatride ou touriste. Il n’est pas possible de photographier en passant, il me faut absolument prendre le temps de la photo. Je veux prendre le temps d’être là, prendre à bras le corps la ville, me poser devant ceux qui y vivent et accepter d’être vu, photographiant.

Je suis Breton, je suis Français, je suis Parisien, mon nom est Italien ou Espagnol. Je suis étranger, je suis de Bahia, mon nom est Personne quand je suis à Paris.

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Mon nom est Personne - Parisiens, Juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Lire la suite
Photographie de rue, Droit Genaro Bardy Photographie de rue, Droit Genaro Bardy

Photographie de rue et droit à l’image : peut-on tout publier sur Internet ?

Le droit à l’image et les droits du photographe qui pratique dans la rue, ou dans tout autre lieu public, sont très mal compris. Un épisode récent d’une rencontre entre un photographe de rue et mon amie Salome Lagresle en fait malheureusement une belle démonstration. Le droit à photographier dans la rue est peu ou pas connu du grand public et attire beaucoup d’animosité sur les réseaux sociaux.

Je vais tenter de vous transcrire ici les faits de cet épisode en faisant abstraction de mon amitié pour Salome et de mon amour inconsidéré pour la photographie de rue.

Tout a commencé avec ce tweet :

Aucune réaction en commentaire de ce tweet n’est exacte

Salomé est animatrice d’émissions de télévision et sur JV.com, elle est suivie par beaucoup de monde et les réactions initiales des personnes qui la suivent rentrent dans une ou plusieurs de ces catégories :

  • Le photographe n’aurait pas le droit de la prendre en photo.

  • Le photographe n’aurait pas le droit de diffuser les photos prises.

  • Le photographe devrait demander un consentement avant de prendre une photo.

  • Salomé pourrait s’opposer à la conservation de la photo, sa diffusion ou sa commercialisation éventuelle.

  • Salomé ne devrait pas diffuser la photo du photographe, elle s’expose au problème qu’elle soulève.

  • Je serais même tenter de passer sous silence l’insulte ou l’incitation à la violence, mais c’est relativement fréquent dans ces mêmes commentaires.

Pas une seule de ces phrases n’est exacte, ni conforme à la loi ou à sa jurisprudence. La loi protège le droit d’expression artistique qui prévaut sur le droit à l’image, si la personne est dans un lieu public. Le droit à l’image est opposable uniquement dans le cas où la personne photographiée peut prouver un préjudice manifeste dans la publication de la photo.

Le droit d’expression artistique prévaut sur le droit à l’image

C’est un problème que très peu de monde soit au fait de cette réalité : la photographie de rue comme pratique artistique permet de prendre des photos dans un lieu public, diffuser voire même commercialiser ces photos, même si la personne est isolée sur la photo et reconnaissable.

J’ajouterais que le texte issu du site Service-Public.fr sur le droit à l’image contribue lui-même à la confusion, puisque le consentement à la diffusion y est inscrit, dans le cas d’une photo prise dans un lieu public si la personne est isolée et reconnaissable. Voici l’extrait du texte capturé ce jour :

Le texte est limpide, si le photographe souhaite diffuser la photo de Salomé, il aurait besoin de son accord. Nous allons voir que ce n’est pas si simple.Une chose est déjà sûre, le photographe a le droit de prendre la photo et de la conserver s’il le souhaite. Le refus d’effacer la photo par le photographe n’est pas très élégant, mais il est tout à fait dans son droit.La jurisprudence François Marie Banier protège l’expression artistiqueCeci étant établi, il a été signalé dans commentaires de ce tweet que la Jurisprudence dite François Marie Banier permet dans le cas d’une pratique artistique de se dispenser de l’autorisation.Le texte sur le “Droit à l’Image” du service Public n’est pas un texte de loi, il se sert de plusieurs textes de loi comme référence :LOI n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne Code civil : articles 7 à 16-14  respect de la vie privée (article 9)Code pénal : articles 226-1 à 226-7  Atteinte à la vie privéeCode pénal : articles 226-8 à 226-9 Atteinte à la représentation de la personneCode de procédure civile : articles 484 à 492-1

Le texte est limpide, si le photographe souhaite diffuser la photo de Salomé, il aurait besoin de son accord. Nous allons voir que ce n’est pas si simple.

Une chose est déjà sûre, le photographe a le droit de prendre la photo et de la conserver s’il le souhaite. Le refus d’effacer la photo par le photographe n’est pas très élégant, mais il est tout à fait dans son droit.

La jurisprudence François Marie Banier protège l’expression artistique

Ceci étant établi, il a été signalé dans commentaires de ce tweet que la Jurisprudence dite François Marie Banier permet dans le cas d’une pratique artistique de se dispenser de l’autorisation.

Le texte sur le “Droit à l’Image” du service Public n’est pas un texte de loi, il se sert de plusieurs textes de loi comme référence :

  • LOI n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne

  • Code civil : articles 7 à 16-14 respect de la vie privée (article 9)

  • Code pénal : articles 226-1 à 226-7 Atteinte à la vie privée

  • Code pénal : articles 226-8 à 226-9 Atteinte à la représentation de la personne

  • Code de procédure civile : articles 484 à 492-1

Le texte du Service Public étant une interprétation de la loi, c’est donc bien à la jurisprudence de nous éclairer sur la question, et elle est limpide elle aussi.

Voici la Jurisprudence François Marie Banier, issue du site Droit et Photographie de Joëlle Verbrugge, référence nationale en la matière :

Les faits de cette affaire sont les suivants : Le photographe (et par ailleurs romancier) François-Marie Banier a publié un livre de photographies intitulé « Perdre la tête » (Editions Gallimard, ISBN 978-2070117543).

Or, il se trouve que la personne photographiée n'a pas du tout apprécié de ne pas avoir été consultée avant la publication dans un livre qu'au surplus elle résumait en une publication montrant essentiellement des « marginaux et exclus » et qualifiant semble-t-il l'ouvrage de « Musée des horreurs », et a assigné l'éditeur sur le fondement des articles 9 (droit au respect de la vie privée) et 1382 (responsabilité civile extra-contractuelle) du Code civil.

Déboutée par le Tribunal de Grande Instance, elle a interjeté appel ce qui a amené la Cour d'Appel de Paris à prononcer un arrêt qui paraît important dans ce conflit constant entre les notions de respect de la vie privée et de liberté d'expression.

La Cour, dans ce cas, précis, a en effet fait primer le principe de liberté d'expression, en considérant que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une oeuvre d'art contribuent à l'échange d'idées et d'opinion indispensable à une société démocratique » avant de relever que « le droit à l'image doit céder devant la liberté d'expression chaque fois que l'exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s'expriment spécialement dans le travail d'un artiste, sauf dans le cas d'une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d'une particulière gravité » (CA Paris, 5/11/2008, 06/03296, 1. de C. C/ Gallimard).

Reste donc pour tout photographe, sur base de cette jurisprudence, à espérer que la situation personnelle de la personne photographiée n'entrainera pas, suite à la publication de la photo, « des conséquences d'une particulière gravité »... mais il s'agit malgré tout d'une avancée considérable dans l'analyse de ces principes contradictoires.

Pour ma part je peux donc à mon sens envisager la publication de ma photo...

Source : La jurisprudence ne perd pas la tête

Par conséquent, il me semble que dans le cas présent, Salome ne peut s’opposer à la prise de la photo, ni même à sa diffusion ou commercialisation.

Le photographe mis en lumière ici pourrait certainement se retourner contre Salome pour la diffusion de sa photo sans son consentement, mais il aurait alors à prouver le préjudice subit par cette publication.

J’ai essayé ici de rester factuel, sans donner mon opinion sur le sujet ou sur la manière qu’ont eut les intervenants de faire savoir leur droit ou ce qu’appellerait la morale. Néanmoins, je ne peux que me réjouir que la photographie de rue comme expression artistique soir protégée ainsi. Il serait bon que la page du service public fasse également connaître que le droit d’expression artistique prévaut sur le droit à l’image, pour éviter la méconnaissance flagrante de la loi par tous ceux qui ne sont pas photographes.

Lire la suite
Genaro Bardy Genaro Bardy

Pourquoi choisir l’auto-édition pour un livre photo ?

Je suis en pleine semaine de lancement de mon nouveau livre Minha Alma no Banho de Luz, ou plutôt de sa campagne de financement. C’est la 4ème fois que je me lance dans cette entreprise, avec 2 succès et 1 échec relatif jusqu’à présent. La première fois je finançais une exposition, la deuxième je ratais mon objectif mais trouvais un éditeur pour mon livre Ville Déserte, la troisième je permettais au livre La Ville Miraculeuse (textes de Marie Lemeland) d’exister.

J’ai maintenant assez de recul pour bien connaître les différences entre le travail avec un éditeur et les affres de l’auto-édition. Voici 5 raisons pour lesquelles je persiste à lancer mes livres sans aucune aide extérieure ou presque.

Auto Edition.jpg

Mes deux premiers livres :

Ville Déserte et La ville miraculeuse, financés sur Kickstarter ici et ici.

Le livre est le meilleur véhicule pour la photographie

On pourrait considérer qu’une exposition ou un musée est le plus bel écrin pour la photographie. Je leur préfère le livre qui est une expérience à part. Le temps passé dans un livre est total, le lecteur se plonge dans la photographie et les textes comme on expérimente un film au cinéma. L’attention est de tous les instants et vous avez un temps long pour votre narration.

Il a été montré que le temps maximum passé devant des photos à une exposition était de 5 secondes, la moyenne étant autour de 2 secondes. Ce temps peut être beaucoup plus long dans un livre si vous arrivez à captiver votre lecteur, à l’emmener dans une narration ou un univers visuel.

Après, c’est peut-être simplement une opinion très personnelle. J’ai un grand amour pour les livres, j’ai une passion illimitée pour la photographie, pour moi le livre photo est tout ce que je voudrais faire en photographie. Le livre photo est même la raison d’être de toutes mes activités, c’est mon objectif principal. Je veux arriver à sortir un livre par an, quelque soit le moyen. Je préfère mettre mon énergie dans une campagne de financement plutôt que dans la recherche d’un éditeur, à cause de la raison suivante :

Le livre photo est un marché de niche

Quand je préparais la sortie du livre Ville Déserte, je discutais avec 4 éditeurs en même temps intéressés par le projet. J’espérais pouvoir tirer profit de ces différents contacts, en réalité il n’en fut presque rien. L’un de ceux qui ont finalement refusé notre collaboration m’expliquait avec beaucoup de franchise que le marché du livre photo était trop risqué, même avec un projet séduisant et qui avait fait beaucoup de presse.

La réalité est que les livres photo sont soit des très gros succès où tout le monde veut ce livre sur sa table basse, soit des tirages assez confidentiels. En travaillant avec un éditeur pour un premier livre, vous pouvez espérer un contrat de droit d’auteurs de 8 à 12% du Chiffre d’Affaires Éditeur.

Mais le chiffre d’affaires éditeur vient après la TVA (5,5% du prix), le distributeur (l’entreprise qui présente votre livres aux libraires) et donc le libraire. Les trois intervenants principaux se séparent le gateau en trois, votre contrat de 8% devient un contrat de 2,4% du prix de vente.

Beaucoup d’éditeurs proposent des financements participatifs

Une fois ce principe établi, reste à déterminer le tirage minimum pour que l’opération soit viable. Un peu d’expérience dans l’impression m’amène à constater qu’en dessous de 3 000 exemplaires, c’est compliqué d’être rentable. Ajoutez à cela le coût de la direction artistique, de la mise en page, du marketing, des relations presse de l’éditeur, un livre photo représente au bas mot un budget de 12 000 Euros, souvent beaucoup plus.

Ce qui amène des éditeurs plus petits, avec moins de frais de structure, à proposer des séries beaucoup plus petites pour des budgets plus réduits. Mais quasiment tous vous proposeront… un financement participatif pour financer l’opération. En d’autres termes, vous aurez un peu d’aide pour la création, la fabrication et la promotion du livre, mais le travail sera quasiement identique à celui que demande l’auto-édition. Il suffit de constater que quasiment tous les photographes que je vois se lancer dans l’aventure passent par un financement participatif.

Je préfère tout maîtriser et garder la faible marge qui peut être générée.

Ne faites pas un livre photo pour l’argent

Avec ou sans éditeur, créer un livre photo représente un volume de travail conséquent. Sans même parler de la conception du projet et de la production des photos, l’édition, le séquençage, la photogravure, l’écriture et donc la promotion du livre prennent un temps fou. C’est un temps passionnant, mais de grâce ne pensez pas à votre taux horaire.

Un livre photo est un accomplissement personnel. C’est un bel objet, une belle expérience que vous proposez à ceux qui vous suivent. Ce peut être une histoire importante, passionnante, utile pour ceux qui sont concernés. Ce peut être une oeuvre d’art qui n’appelle pas plus de commentaire. C’est toujours une grande aventure.

Si vous êtes professionnel, c’est la plus belle carte de visite que vous puissiez présenter. J’ajouterais que réaliser une campagne de financement participatif vous oblige à communiquer beaucoup sur une courte période de temps, ça vous oblige à sortir du bois et à vous adresser aussi à des clients potentiels. Au final, je pense que c’est un cercle vertueux pour l’économie fragile du photographe indépendant.

Décider de tout

Pour mon nouveau livre, mon expérience du procédé d’auto édition me permet de tout maîtriser de A à Z. J’ai déjà été confronté à tous les écueils dans la production de mes précédents livres, je sais maintenant où je veux aller et je ne veux pas toujours avoir à en discuter ou convaincre un éditeur de ma vision. Travailler avec un éditeur est toujours un travail collaboratif.

Attention, j’échange avec d’autres personnes et j’aime discuter de mes choix, mais j’aurai toujours la décision finale. Ce livre est photographié, écrit, mis en page, édité et distribué par mes soins. Seule la direction artistique originale et l’impression sont laissés à d’autres sur ce projet. Si vous avez la chance de pouvoir avoir un réseau ou une communauté qui vous suit pour financer une petite série de 300 à 500 exemplaires, je crois vraiment que l’auto-édition est le meilleur moyen d’être heureux de son livre photo. Je suis moins distribué, mais je décide de tout et suis capable alors de réaliser exactement ma vision pour ce livre.

Vous avez vu mon nouveau projet ?

Si vous êtes arrivés jusque là, j’espère que vous avez pris le temps de regarder mon nouveau projet de livre. J’ai lancé la campagne de financement hier et au moment où j’écris ces lignes une vingtaine de contributeurs ont déjà participé.

Peut être que cette histoire peut vous intéresser ? Cliquez ici pour découvrir le projet.

Mockup Minha Alma - 169 - cover LD.jpg

Ce livre deviendra j’espère mon troisième livre photo, et vous pouvez soutenir le projet en partageant cette page - cliquez ici.

Lire la suite
Inspiration Genaro Bardy Inspiration Genaro Bardy

Le coeur secret de ce qui est connu

Choisir les photographes qui vous inspirent est à mon avis une des étapes les plus importantes pour votre progression dans cette pratique. Si vous suivez ma production de photo à Salvador, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’Alex Webb est celui qui me guide dans mon exploration photographique.

Je suis pleinement concentré sur le livre que je vais vous présenter mardi prochain, mais je souhaitais tout de même vous partager quelques vers du livre Slant Rhymes qu’Alex Webb a écrit et photographié avec sa femme Rebecca Norris Webb.

La traduction qui suit est exécutée par mes soins, les photos sont issus du livre Istanbul, City of a Hundred Names d’Alex Webb.

« A slow, ambling walk seems the right rhythm for photographing a city. Its easy pace lets me to drift through the streets, my instincts alert but my mind wandering. Walking allows me to absorb a city and to lose myself in a city.
And all the while, its unhurried tempo keeps me open to whatever I may encounter around the next corner —the unexpected, the unknown, or sometimes the secret heart of the known. »
— Alex Webb
« Une marche lente et saccadée semble être le bon rythme pour photographier une ville. Ce rythme est facile, il me permet de dériver, mon instinct prêt et l’esprit libre. Marcher me permet d’absorber une ville et de me perdre dans une ville.
Et alors, ne pas être pressé me laisse ouvert à tout ce que je pourrais rencontrer au prochain croisement : l’inattendu, l’inconnu, ou parfois le cœur secret de ce qui est connu. »
— Alex Webb
Lire la suite
Genaro Bardy Genaro Bardy

Le champ du possible

Le temps est arrivé de fermer la page de ce projet sur lequel je travaille depuis trois ans. En réalité deux ans si je pars de l’idée du livre, mais trois si je pars de la date de la plus ancienne des photos. Car il s’agit d’un livre, dont je ne vous dirai pas beaucoup plus aujourd’hui.

Assemblage - Photo Genaro Bardy

Assemblage - Photo Genaro Bardy

Je voudrais vous parler aujourd’hui du procédé qui m’amène jusqu’à cette dernière page. Le temps est arrivé de mettre un point final et de proposer enfin ce livre aux yeux de ceux qui voudront bien s’y pencher. Ce procédé est toujours baucoup plus long que ce que j’imagine quand je commence.

Quand j'arrive à un point où j'ai accumulé suffisamment d'images et que j'ai l'impression qu'un projet mène quelque part, je commence à assembler les images physiquement. Je les imprime toutes, quatre à cinq fois plus que ce que contiendra finalement le livre. J’utilise des murs, le sol, des carnets et j’assemble des séries, je commence la narration. J’organise mieux ma réflexion avec des tirages et des pages qui se tournent.

Manipuler une maquette, le faire physiquement, m'aide à voir le champ du possible, c’est ma manière d'apprendre ce que signifie mon idée de départ. Ce début de mise en page influence fortement les photos que je produis ensuite pour compléter le projet.

Une maquette est un outil puissant pour vérifier la cohésion d'un projet et créer un rythme. Je crois que ce travail se crystallise aussi dans un titre. Le titre que je vous montre ici n’est pas le titre final. Déjà, il est en anglais, ce qui n’aurait pas beaucoup de sens avec l’objet sur lequel je travaille.

Ce titre, c’est en réalité une phrase lue dans ‘Ask the Dust’ de John Fante, une phrase qui me hante depuis deux ans :

« So an evening comes, and what to do with it, my soul so cool from the bath of words, my feet so solid upon the earth, and what are the others doing, the rest of the people of the world? »
— John Fante

My soul so cool from the bath of words. Je lisais ce passage à Cartagène des Indes, où la lumière si particulière ressemble étonnamment à celle de Bahia que je croyais unique. J’ai changé les mots pour la lumière et me suis arrêté sur cette idée que l’âme pourrait être tranquille dans un bain de lumière.

J’ai eu tellement d’attermoiements, d’hésitations, de doutes sur ce que devait être cet objet et cette expérience. Mais je suis heureux de pouvoir vous dire que tout mon temps est maintenant consacré à ce livre jusqu’à son lancement, qui est prévu le mardi 25 mai 2021. Je vous le présenterai en direct et pourrai répondre à toutes les questions que vous pouvez vous poser à son sujet, à 19h dans La Petite Fabrique de Photographie.

J’espère vous y voir, et continuer à explorer ensemble le champ du possible.

1ère maquette, créée par Bastien Bouvier

1ère maquette, créée par Bastien Bouvier

Lire la suite
Inspiration Genaro Bardy Inspiration Genaro Bardy

5 Leçons de Photographie avec Bruno Barbey

Bruno Barbey est un photographe reporter et journalistefranco-suisse, né le 13 février 1941 à Berrechid au Maroc sous protectorat français et mort le 9 novembre 2020. Il fut membre de l’agence Magnum dès 1966 et membre de l’Académie des beaux-arts de 2016 à 2020.

Fasciné par le cinéma néo-réaliste italien, il débute en 1962 un essai photographique sur les Italiens, en séjournant pendant plusieurs semaines et à de nombreuses reprises en Italie. Ce qui lui donnera l'occasion de réaliser son premier livre et de rencontrer Henri Cartier Bresson et Marc Riboud.

Il serait difficile d'énumérer ici sa longue et brillante carrière, notons que Bruno Barbey est connu pour avoir photographié les révoltes ouvrières et étudiantes de Mai 68. Il a également photographié les émeutes étudiantes à Tokyo. En 1970, il réalise avec Jean Genet un reportage sur les Palestiniens, en 1971 et 1972, il couvre la guerre du Vietnam, notamment la bataille d'An Lộc.

Il amorce en 1972 un travail au long cours sur le Maroc, pays de son enfance, avec le désir de sauver une mémoire en train de se perdre. Plusieurs livres, avec des textes de Jemia et J. M. G. Le Clézio et de Tahar Ben Jelloun, en seront publiés dans les années 1990 et 2000.

En 2016, Bruno Barbey est élu membre de l’Académie des beaux-arts de l'Institut de France, en même temps que Sebastião Salgado et Jean Gaumy, à la suite de la création de deux nouveaux fauteuils dans la section de photographie, ce qui fait de lui un monument de la photographie Française.

La plupart des textes de Bruno Barbey cités ici sont issus du livre Magnum Histoires. Voici 5 leçons de photographie avec Bruno Barbey.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Apprenez à lire le rythme de la rue

« Il y a certains rythmes qu’on apprend à connaître. Quand on est dans la rue, on regarde autour de soi, on est regardé et l’on comprend les signaux qui s’échangent à travers les regards. Le Maroc est visuellement très séduisant mais il exige beaucoup de temps et de patience. Ça fait partie du défi et du plaisir. J’étais récemment en Ouzbékistan, où les gens se laissent facilement prendre en photo. On peut photographier comme on veut sur les marchés et dans les lieux publics, composer comme on veut, en un sens, ce sont des conditions idéales pour un photographe. L’Égypte et l’Inde sont aussi des endroits où il est facile de travailler. Tandis qu’au Maroc, un photographe doit apprendre à se confondre avec les murs. Pour prendre une photo, il faut soit aller vite, avec tous les risques que cela comporte, soit faire preuve d’une patience infinie. Par rapport au temps passé là-bas, j’ai pris beaucoup moins de bonnes images au Maroc qu’à peu près partout ailleurs. C’est le contraire de l’Italie où les gens adorent être photographiés et n’ont pas de complexes devant l’objectif. C’est comme s’ils vous disaient : « Prenez-moi comme je suis. » Cela dit, au Maroc, le jeu n’est pas dépourvu de charme. »
— Bruno Barbey

Chaque culture propose un rapport à l'image différent, et cela aura des conséquences pour la ou le photographe qui travaille dans la rue ou dans des lieux publics. Je garde en mémoire mon premier séjour au Rajasthan, où j'étais interrompu régulièrement dans mes photos pour poser avec des passants ou des touristes Indiens qui cherchaient parfois à lier une amitié.

Ici à Salvador, quand je demande la permission personne ne refuse une photo, mais toutes mes rencontres commencent avec un pouce levé et un sourire béat. Je baisse l'appareil, je discute, je cherche à sortir la personne de la pose. J'essaye de trouver une attitude naturelle ou fidèle à ce que je perçois de la personne. Mais le rapport à l'image est très particulier, partout au Brésil et plus encore à Bahia. C'est alors difficile de retranscrire des ambiances et la vie du Nordeste qui se passe essentiellement en extérieur, dans la rue ou ailleurs, quand tout le monde cherche à poser dès qu'il voit un objectif. Pour d'autres raisons que Bruno Barbey, je cherche aussi à être discret, mais je m'expose à passer pour un voyeur ou un voleur de photos, ce qui est très mal pris par ceux qui s'en rendent compte.

En tout état de cause, ce que je retiens ici est le besoin d'adapter sa pratique photographique à la culture du lieu où l'on se trouve. Sans cette réflexion, on ne peut accéder qu'aux photos basiques vues mille fois ailleurs.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Bruno Barbey MAroc.jpg

Se méfier de la compassion et des photos qui changent le monde

« À l’époque, il y avait beaucoup de magazines capables de consacrer entre huit et vingt-quatre pages à un essai photographique dont on pouvait vraiment être fier, et ce fut une période très productive de ma vie professionnelle. J’ai ainsi pu obtenir d’importantes publications dans des magazines comme Life, Paris-Match, Stern et National Geographic. Aujourd’hui le photojournalisme est en déclin. Je le pratique encore : par exemple, pendant l’invasion irakienne, j’ai accepté une commande de Time pour photographier le sud de l’Irak quand les Américains s’en sont emparés en 1991 pendant la première guerre du Golfe. Je me suis intéressé aux marines américains patrouillant les champs de pétrole en feu et souhaitais éviter de montrer les corps Irakiens morts. Je ne pense pas que les photos de cadavres apportent beaucoup à l’histoire de la guerre : on en voit sans arrêt à la télévision. Bien sûr, il faut rendre compte de la guerre, mais c’est devenu une sorte d’industrie. Je suis devenu méfiant envers la « compassion ». Certains photojournalistes privilégient des endroits visuellement forts en espérant que leurs images vont changer le monde, mais je n’en suis pas si sûr, malheureusement. Dans la pratique photojournalistique actuelle, il y a parfois plus de photographes que de combattants, ou plus de photographes que de réfugiés. »
— Bruno Barbey

N'ayant pas le début du commencement de la moitié de l'expérience de Bruno Barbey, j'aurai du mal à commenter cette proposition. Cependant, j'ai également l'impression que la profession de photojournaliste a toujours été au coeur des bouleversements des médias, et ils ont étés permanents depuis que la photographie existe. J'ai le sentiment que chaque nouvelle génération de photojournalistes se réfère aux précédentes comme à un âge d'or utopique où les médias avaient de l'argent qui coulait à flot.

Oui, les temps ont changé. La photographie numérique a facilité l'accès à ce métier. Les réseaux sociaux ont donné la possibilité à certains photographes de devenir leur propre média, de distribuer directement leurs photos. Cela a aussi donné la possibilité je crois à beaucoup plus de monde de pouvoir vivre de la photo par des canaux nouveaux, avec de nouvelles manières de faire. Et je ne peux pas me résoudre à m'en plaindre. C'est ainsi, les manifestations ou les événements médiatiques sont couverts par beaucoup de photographes. La compétition est intense, parfois. Je vois cela comme une obligation à être original, à se remettre en question et à être toujours plus indépendant des clients ou des rédactions.

Je suis peut-être un doux utopiste, mais j'ai la conviction que si l'on travaille sur le sujet qui nous tient à coeur sans avoir de commande, si le sujet est bien traité, les photos exceptionnelles prennent leur indépendance et dépassent complètement le photographe. Une photo peut faire le tour du monde en une journée grâce à ces réseaux tant décriés, et si le photographe n'en tire pas toujours un profit direct, il a la possibilité aujourd'hui de profiter des conséquences et des opportunités que cela lui donne. En revanche, je suis d'accord avec Bruno Barbey, les photos qui changent le monde sont trop rares pour que cela puisse constituer un objectif.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photographie de rue et droit à l'image

« Aujourd’hui, en France, la photographie de rue devient difficile en raison des nouvelles lois sur le droit à l’image. On m’avait demandé de prendre des photos pour un livre sur Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. J’ai accepté parce que je les avais déjà photographiés. J’habitais Montparnasse où ils avaient passé la moitié de leur vie et j’aimais retrouver les lieux qu’ils avaient fréquentés comme Le Dôme, La Coupole et Les Deux Magots. Mais quand j’ai commencé discrètement à déclencher, un vigile est venu m’interrompre : « Avez-vous contacté notre service de relations publiques pour avoir l’autorisation de photographier ? ».
On ne peut plus photographier librement à Paris. La moitié des images que j’ai prises pour cette commande ont été refusées l’éditeur parce qu’elles représentaient des personnes qu’on pouvait reconnaître. On m’a dit : « Si c’est pour avoir des procès, on ne publie pas. Ou alors vous refaites les photos, mais sans les gens. Pourquoi ne pas prendre la terrasse du café avec les consommateurs de dos ? » Aujourd’hui des avocats opportunistes sont spécialisés dans la traque des photographes pour gagner de l’argent sur leur dos et celui des utilisateurs. »
— Bruno Barbey

Je suis en respectueux désaccord. Les temps ont changé, c'est un fait établi. Il est certainement plus difficile aujourd'hui de pratiquer la photo de rue avec les problèmes que pose le droit à l'image. Mais le droit à l'expression artistique existe, même avec des personnes qui seraient reconnaissables sur les photos. Et le droit à l'image est un droit opposable. Cela veut dire que prendre la photo est autorisé. Vous ne vous exposez à un problème que dans le cas d'une diffusion qui porte préjudice à la personne photographiée, et c'est à elle de prouver ce préjudice.

La principale conséquence néfaste du droit à l'image est ce que certaines personnes croient savoir, y compris d'après mon expérience chez des personnes représentant l'autorité publique. Mais la nécessité de documenter le monde et l'expression artistique des photographes seront toujours pour moi plus importants que ces changements culturels qui font grincer les dents.

Connaissez votre droit et restez droit dans vos bottes. J'irais même jusqu'à dire que j'espère un jour un joli procès médiatique pour faire connaître ces problèmes. Mais les procès ne concernent, oh surprise, que ceux qui attaquent des médias en espérant un joli chèque au bout.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Bruno Barbey Paris.jpg

Travailler avec des écrivains

« Je consacre principalement mon temps à la réalisation de livres et d’expositions. Je m’intéresse aux compositions minimalistes et aux ingrédients simples. J’aime travailler avec des écrivains qui ont une grande connaissance des thèmes que je photographie comme J.-M. G. Le Clézio, Tahar Ben Jelloun, Paul Bowles, Arthur Clarke, Dom Morales et Czesław Miłosz. »
— Bruno Barbey

Je trouve fascinant de voir qu'un des photojournalistes les plus reconnus disent ne s'intéresser qu'à son travail d'auteur et d'artiste. Peut-être que travailler sur l'actualité, ou sur un sujet institutionnel, est surtout un moyen d'améliorer sa pratique. Mais l'objectif d'un grand photographe comme Bruno Barbey était d'être libre de travailler sur les sujets qui le passionnaient. Cette liberté était le fondement de l'agence Magnum, je crois que ces principes sont toujours d'actualités quand on voit les projets que les membres de cette prestigieuse agence mettent en avant.

bruno_barbey_04.jpg
Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

La photographie est universelle

« La Photographie est le seul langage qui peut être compris dans le monde entier. »
— Bruno Barbey

Voir vient avant les mots. Je n'avais jamais réalisé que la photographie était un langage absolument universel, compris de tous. Et il est certain que tout le monde peut comprendre la beauté transcendentale des photographies de Bruno Barbey.

Barbey enfants Brésil 1966.jpg
Lire la suite
Histoire Histoire

New York, en pire

Times Square, sous la pluie, avec une valise de vingt kilos qui trotte derrière mon bras. Trois allers-retours pour trouver l'adresse, je vois le jour tomber et les lumières épileptiques se lever. Les touristes du monde entier, une publicité 3D haute comme un gratte-ciel, la fumée, le bruit et la fureur du capitalisme. Mac Donald's, Bubba Gump, TGI Friday, GAP, HBO, les bus, les taxis jaunes, les jongleurs et les super-héros, les flics qui me confirment que mon accent est incompréhensible. Tu parles d'une idée de prendre un bureau au centre du monde. J'arrive directement de l'aéroport, à peine le temps de déposer mes affaires à l'appartement de mes patrons, de retrouver rapidement notre avocat qui m'a détaillé les prochaines étapes de nos procédures, et me voilà en direction de notre filiale, désertée de son unique employée.

J'ai le costume de directeur du développement trempé. Paul Smith, Printemps de l'Homme, huit cents Euros sous la flotte. Je n'ai pas de parapluie, je pensais que le taxi me déposerait devant l'adresse exacte. À vrai dire, il l'avait fait, mais je ne l'ai compris qu'après une heure la tête en l'air à pester contre le système d'adresses de New York. Mon papier dit : "1247 Times Square-38th West". Je ne suis pas bien avancé : "Pardon madame. Ha oui de l'autre côté. Aïe âve you in ze belook." Un torrent d'énervement à chaque demi-tour. L'adresse est bien sur Times Square, mais l'entrée de l'immeuble est au début de la 38th Street, côté ouest donc. Maintenant que j'y suis, j'ai comme un doute. Je suis dans l'ascenceur, toujours la tête en l'air à regarder s'égréner les étages, je me demande : "Et s'il est là ? Je fais quoi ?".

Je me suis dit qu'il n'y avait rien de plus improbable. Quand on est pris la main dans le sac ou dans le pantalon, on ne revient pas sur le lieu du crime. Il s'était fait prendre la main dans les deux, il devait être loin en train de jouir de son argent volé.

Lui, je ne me souviens plus de son nom. Producteur de musique pour jeunes chanteuses de Rythm and Blues et amant d'Alice. Alice, elle, je la connaissais pour l'avoir vue une fois et virée dans la foulée. Alice travaillait pour la filiale américaine de la société Evenement International qui m'employait depuis trois mois à peine. J'étais arrivé pour développer de nouveaux événements, dans de nouveaux pays. Alors que je prenais mes marques dans mes nouvelles fonctions, on me demande mon opinion sur la filiale US qui perd trop d'argent chaque année. L'événement prestigieux de New York pouvait ne pas être rentable, il servait l'image de l'entreprise, mais le bateau prenait l'eau et risquait de faire tanguer toute la flotte.

Je ne fis alors qu'une simple demande d'accès aux données comptables de la filiale à la seule salariée qui y était détachée. Alice était Française, elle était entrée dans l'entreprise comme assistante et avait survécu en sept ans aux trois personnes qui avaient tenté en vain de prendre la direction de l'événement New Yorkais. En pratique, c'était Alice qui gérait la filiale. Les informations, je les recevais. Mais je ne trouvais jamais de quoi les vérifier. Ma seule source était Alice, elle pouvait me dire ou m'écrire ce qu'elle voulait, je voulais confirmer avec les fichiers sources. Puisqu'elle bottait toujours en touche, je suis allé jusqu'au plaquage pour arrêter de perdre du temps. Je voulais qu'elle m'envoie son disque dur de travail si elle ne pouvait m'y donner accès à distance.

Le disque dur était oublié, puis perdu, puis cassé. Il semblait avoir vécu mille vies depuis que je lui demandais de rentrer au bercail. Il est cassé ? Et bien soit. Envoie-le moi cassé. Je sais comment récupérer ces données. Mais Alice avait fui son domicile, battue par son compagnon. Elle pleurait, elle voulait rentrer en France. Et puis, non, ça allait mieux.

Je finis par recevoir en grandes pompes ce disque dur éreinté par les années de pertes sans profits. Illisible, je l'envoyais directement en pension dans le XIIIème arrondissement de Paris pour se retaper. Quand il eut recouvré ses esprits, je compris enfin pourquoi on voulait le réduire au silence : il connaissait un secret. Toutes ces années, il avait caché une double comptabilité, et même une double vie de sa propriétaire. La lecture de milliers d'emails et la récupération de fichiers effacés m'apprit beaucoup. Alice avait une société de production avec son petit-ami grand-escroc, elle soumettait à notre filiale qu'elle opérait des devis pour des prestations achetées par ailleurs bien moins chères. Les devis à valider ou les factures à payer arrivaient en bloc à Paris, mes patrons étaient toujours mis dans l'urgence et surtout, ils faisaient confiance. L'opération rondement menée, manifestement orchestrée par son amant, durait depuis au moins cinq ans avec des détournements colossaux, pas très loin des pertes selon mes estimations.

Petit curieux, le disque dur de la feuille me révéla également quelques vidéos de l'intimité du couple. La morale m'interdit d'en révéler ici les détails. Disons juste que si vous cherchez des objets à détourner de leur usage habituel ou avez toujours été curieux de certaines promotions que les hommes reçoivent dans leurs spams, vous auriez ici toutes les réponses. Apprendre à un disque dur à prendre l'avion et à parler sous la contrainte prend un peu de temps, voilà bien trois mois que j'étais dans l'entreprise et en un éclair je me retrouvais avec une filiale à retaper, une employée à licencier, un événement inconnu à relancer, à produire et à vendre dans une ville que je découvrais, sous la menace d'un brigand dont personne ne savait rien. Et par dessus le marché, j'étais trempé. Bienvenue à New York.

--

[à suivre...]

Pour ne louper aucun épisode, inscrivez-vous à la newsletter en cliquant ici.

--

Lire la suite