Photographie de Rue au Féminin : Talents occultés et quête de reconnaissance

Celia D. Luna, Cholitas

Le 08 mars arrive et cela fait plusieurs semaines que je me demande comment, en tant que femme, freelance, voyageant à l’étranger, je pourrais faire valoir mes droits. En faisant grève ? Qui va s’en rendre compte ? En allant manifester ? Je suis à Lobitos, un village de 1500 habitants au milieu d’un petit désert péruvien : à qui vais-je réclamer des mesures pour enfin me sentir en sécurité à la maison, au travail mais surtout dans la rue ? 

C’est là que je me suis souvenue qu’il y a quelques semaines, Genaro m’a dit que l’audience de sa chaîne Youtube était composée d’environ 80% d’hommes. Et en fait, ce n’est pas vraiment une surprise. Saviez-vous que 63% des personnes qui sont diplômées d’écoles de photo sont des femmes ? Comment explique-t-on alors qu’elles ne représentent que 20% des artistes exposés ? Comment de l’école au travail, s’évaporent-elles pour laisser la place aux hommes ? À votre avis, est-ce vraiment une question de talent ? Bien sûr que non, c’est une question d’éducation, de place dans l’espace public et d’invisibilité. Je vous explique.

1- Les barrières d’une éducation genrée 

Vivian Maier, Self-Portrait

Confiance en soi et visibilité : les défis de l’auto-promotion

Dans l’enquête de Biljana Stevanovic, Pierre Grousson et Alix de Saint-Albin intitulée “Orientation scolaire et professionnelle des filles et des garçons au collège. Évaluation d’un dispositif de sensibilisation aux métiers non-traditionnels.” les chercheurs reconnaissent que : “Dès leur prime enfance, les filles apprennent l’obéissance, la docilité, l’attention à autrui, l’usage limité de l’espace ; les garçons apprennent la compétition, l’affirmation du soi, l’usage plus libre de l’espace.” Cela implique notamment que les jeunes filles aient tendance à se sous-estimer par exemple. Elles vont donc avoir plus de difficultés à négocier leur salaire, reconnaître leur talent et le valoriser. 

L’étude “Teacher behavior and student achievement. Handbook of research on teaching” (1986) de Brophy & Good, psychologues, révèle que les garçons reçoivent beaucoup plus d’attention que les filles en classe. Cette différence d'interaction crée un terrain inégal dès les premières années de socialisation et contribue à façonner une perception de soi limitée pour les petites filles en primaire. Être moins interrogées implique qu’elles s'entraînent moins à parler en public et qu’elles devront trouver d’autres moyens pour développer leur confiance en soi.

Alors, évidemment, je ne me souviens pas de mes années à l’école primaire. D’ailleurs, même si j’étais déjà bien revendicative, je ne pense pas qu’à 7 ans j’étais capable de conscientiser à qui Madame Hiver, mon institutrice de CE1, accordait plus ou moins de temps de parole. Nous l’avons tous et toutes intériorisé, mais si je vous dis que vous aurez moins de chance d’être interrogé qu’un ou une autre quand vous levez la main, quelle valeur cela donne à votre parole ? Comment venir prendre position, comment vous montrer lorsqu’on vous a si peu donné la parole ? 

Cela reste un seul exemple et il est toutefois indéniable que les biais éducatifs existent et sont diffusés bien avant même la naissance d’un enfant. Ce sont ces expériences, qu’elles aient lieu à la maison ou à l’école, qui vont venir déterminer le comportement des personnes une fois adulte.  

La quête de légitimité dans un monde masculin 

Et si la société entière accentuait ces différences ? L’enquête d’Irène Jonas “La photographie de famille : une pratique sexuée ?” (2010), fait état de la représentation des femmes dans la publicité. Elle pointe en particulier un spot de Kodak des années 60. Si les femmes sont bien présentes dans les publicités, l’image qu’il leur est donné est loin de les encourager à faire d’elles de grandes photographes. Elles tiennent l’appareil maladroitement, curieusement, alors que leur mari, eux, l'œil vif, sont prêts à photographier avec aisance ! 

Ces images, aussi anodines soient-elles, ont des conséquences. Edith Brenac, chercheuse en sciences sociales, en 1983, souligne la tendance que l’on a à associer la maîtrise technologique aux hommes. Cela exclut naturellement l’intérêt que les femmes pourraient y porter puisqu’on leur enseigne qu’elles n’y comprendront rien. 

C’est par ces petites touches successives que les biais de genre s’immiscent dans nos têtes et dans nos vies. Nous ne nous en rendons pas compte, mais ils sont là, bien présents, et viennent limiter nombreux de nos comportements, autant chez les hommes que chez les femmes. Les conséquences pour ces dernières étant beaucoup plus graves et durables. 

2- L’Espace public : un terrain réservé aux hommes

N’avez-vous jamais dit à votre sœur, mère, cousine, amie, épouse : “Fais attention quand tu sors le soir !”. L’avez-vous déjà dit à votre frère, père, cousin, ami, époux ? Et même si la réponse est “oui”, il est fort probable que vos inquiétudes soient différentes et/ou que vous ayez davantage le réflexe de le dire quand il s’agit de femmes. 

Julia Coddington, Into the Light

Ce conseil, donné avec bienveillance, révèle pourtant une profonde inégalité dans la manière dont nous percevons la sécurité dans l’espace public selon notre genre. Ce dernier est plus hostile pour les femmes que pour les hommes. 

Marylène Lieber, sociologue, souligne que les hommes occupent une place plus détendue et permanente dans les lieux publics. Ils peuvent se permettre d’être statiques, d’observer, de se détendre, sans sentir le même niveau d’urgence ou de menace. En contraste, les femmes utilisent l’espace public majoritairement comme un lieu de transition. Elles restent en mouvement, non pas par choix, mais comme stratégie pour minimiser l’exposition à des interactions potentiellement dangereuses ou inconfortables. Et ce, entre autres stratégies, comme celle de mettre des écouteurs, de ne pas s’arrêter pour chercher son chemin, et j’en passe ! Je suis concernée par ces stratégies et je suis sûre que si vous demandez aux femmes autour de vous, elles pourront les valider ou vous en donner d’autres. Essayez pour voir. 

Approfondissant le débat, l’autrice Virginie Despentes adopte une perspective particulièrement tranchée concernant ses déplacements extérieurs. Elle souligne avoir pris pleinement conscience que sortir de chez elle implique un risque d'agression. Face à cette réalité, elle se voit confrontée à deux options : demeurer cloîtrée chez elle ou choisir d'embrasser ce risque. J’ai toujours su que je n’étais pas en sécurité dans la rue, j’ai toujours dit à mes amies de m’envoyer un message en arrivant chez elles. Toutefois, ce passage de la série Valeria m’a fait froid dans le dos. Pourquoi ? Parce que malgré les milliers de kilomètres qui peuvent nous séparer, nous vivons toutes la même chose. Parce qu’hier encore avant de rentrer chez moi, mes amies m’ont dit la même chose, parce qu’hier encore, j’ai hésité à passer par le chemin plus court, car plus sombre. À Paris, à Cherbourg ou à Lobitos, ceci est notre quotidien et illustre parfaitement pourquoi il est plus compliqué pour une femme d’être photographe de rue. Nous ne sommes pas les bienvenues dans l’espace public. 

Cette dynamique vient directement affecter l’expression artistique des femmes, notamment dans la photographie de rue. En effet, cette dernière demande une immersion dans un espace, un arrêt, un moment de pause pour capturer une scène, un visage ou une émotion. Or, cette immobilisation va à l’encontre de l’instinct de survie que beaucoup de femmes ont développé pour naviguer en sécurité dans ces espaces. Comment, alors, les femmes peuvent-elles concilier ce besoin de sécurité avec la volonté de s'exprimer artistiquement ? Comment déconstruire quelque chose qui est profondément ancré dans notre éducation et qui nous permet de survivre ? 

Genaro, dans ses enseignements, enseigne des techniques afin de surmonter ses peurs en photographie de rue. Cependant, il est primordial de reconnaître que les défis auxquels les femmes font face sont amplifiés. Être statique, simplement présente dans un lieu, peut être perçu comme un acte de défiance, voire comme une invitation non désirée à l’attention ou à l’interaction. 

Alors, quand Hannah Price, dans sa série “City of Brotherly Love”, redirige le regard et vient mettre la lumière sur ces hommes, elle nous montre un courage incroyable pour se réapproprier l’espace urbain. Fatiguée du harcèlement de rue, elle utilise son appareil photo comme un outil de pouvoir et de réclamation de son droit à l’espace public. Par ses photographies, elle transforme avec bienveillance, une expérience négative en œuvre d’art. D’ailleurs, son projet montre bien que l’agresseur peut être monsieur tout le monde. 

Hannah Price, “City of Brotherly Love

Hannah Price, “City of Brotherly Love

Hannah Price, “City of Brotherly Love

À l’opposé, Julia Coddington, lors de son échange avec Genaro, partage comment, de par son âge, elle se sent invisible dans la rue. Cela lui confère un avantage dans sa pratique de la photographie de rue. Cette invisibilité, souvent considérée comme un inconvénient dans d’autres contextes, devient ici un outil qui lui permet de naviguer plus librement dans l’espace public, soulignant comment les perceptions et expériences peuvent varier grandement selon les individus. Personnellement, je pense que le harcèlement de rue et le sexisme n’ont pas d’âge. Les agressions ne sont pas réservées aux femmes plus jeunes et l’invisibilité aux plus âgées. À 25 ans, nous sommes invisibles au travail, mais pas dans la rue. Et inversement. Finalement, notre place et la manière dont on nous observe dépend des hommes. À nous de résister et de nous réapproprier l’espace et le temps, même si ce n’est pas toujours possible. 

Une fois que les femmes ont surmonté les obstacles, les biais éducatifs et le malaise inconscient de leur présence dans la rue, les femmes photographes doivent se frayer un chemin pour se faire connaître dans le monde de l’art.

Hannah Price, Cursed by Night

Hannah Price, Cursed by Night

3- L’invisibilité dans le monde de l’art

Dans l'ombre des hommes : se faire reconnaître en tant que femmes

Dans la partie précédente, je vous parlais d’invisibilité. Être une femme est un combat quotidien : les réalisations des hommes sont souvent bien plus valorisées et célébrées que les contributions féminines. Elles doivent alors faire face à un double défi : celui de prouver leur talent, mais aussi leur droit d’exister face à celui des hommes alors qu’elles vivent dans un monde où leur présence est souvent minimisée ou ignorée. 

Malgré des progrès, les femmes restent sous-représentées dans les expositions majeures. Les structures de pouvoir existantes dans le monde l’art tendent à perpétuer une dynamique excluante, limitant l’accès des femmes aux ressources, à la visibilité et au soutien financier. C’est le principe du boys’ club. Elles doivent évoluer dans un écosystème fermé, dans lequel les réseaux masculins dominent et viennent limiter les opportunités pour les femmes. Cette exclusion se manifeste à travers divers canaux, comme les médias spécialisés ou les galeries d’art. En effet, les médias jouent un rôle clé dans la visibilité des artistes. L’absence d’une couverture équitable contribue à l’invisibilité des femmes dans le secteur. 

Julia Coddington, Into the Light

Vers une inclusion authentique

La lutte pour une représentation équitable et authentique des femmes dans le monde de l’art exige un changement structurel et culturel. Cela inclut la création de politiques inclusives, le soutien à la diversité des voix et la valorisation des contributions féminines sur un pied d'égalité avec celles des hommes.

Des efforts spécifiques sont déployés pour valoriser le travail des artistes femmes à travers l'organisation d'expositions dédiées. Un progrès notable a été observé : alors qu'en 2018, les femmes constituaient 20% des exposantes à Paris, ce pourcentage a grimpé à 36% en 2023, témoignant d'une amélioration significative. Cependant, lors de mes recherches sur Magnum et les femmes photographes, j'ai remarqué que, pour célébrer les 75 ans de l'agence, une exposition intitulée “Close Enough” leur était consacrée. A priori, c’est une excellente initiative. Néanmoins, cette exposition a été conçue autour d’une citation de Robert Capa, le fondateur de l’agence : “ Si vos photographies ne sont pas assez bonnes, c'est parce que vous n'êtes pas assez près ”. L’orientation de cette exposition autour de cette phrase est problématique parce que :

  • Il n’y a aucune obligation de s'approcher des gens quand on fait de la photographie de rue. Cela donne une idée erronée de la pratique.   

  • Robert Capa oublie le privilège qu’il a d’être un homme blanc : s’approcher d’une personne dans la rue peut être mal perçu et générer des réactions défavorables, d’autant plus lorsque l’on fait partie d’un groupe minoritaire.

  • Enfin, la mise en avant de femmes dans le cadre d’une exposition s’articulant autour d’une citation attribuée à un homme soulève la question de la représentativité et de l’équité dans le discours sur la photographie.

À mon sens, une représentation authentique et respectueuse des femmes dans le monde de l'art sera atteinte lorsque nous leur accorderons de l'espace dans autant d'expositions, et surtout, lorsque celles-ci ne seront pas ancrées autour des propos d'un homme. Toutefois, chacun et chacune nous avons la responsabilité de diversifier notre savoir et celui des autres. Si tous les créateurs.trices de contenu, petits ou grands, s’appliquaient à être davantage inclusif.ves, cela permettrait aux passionné.es de l’être un peu plus ! 

Au-delà des lieux, chaque média, petit ou grand, chaîne Youtube, podcast, a la responsabilité de favoriser les représentations de tous les groupes sociaux. D’ailleurs, en tant qu’individus, nous sommes tout aussi responsables ! Nous avons le pouvoir et le devoir d’orienter et de varier nos recherches, d’aller plus loin que la première page de Google, qui présente évidemment un discours dominant.

Nous l’avons compris, l’éducation genrée, la navigation dans l’espace public et l’invisibilité persistante des femmes sont de fort obstacles à leur représentation en photographie de rue. Il est primordial de reconnaître et de valoriser la contribution des femmes, non seulement dans la photographie mais dans tous les domaines de la création artistique. Pour cela des collectifs comme Women Street Photographers, Women in Street, Unexposed, ou encore La part des femmes existent !

Vivian Maier, Street 3

Vivian Maier, Street 3

Vivian Maier, Street 3

Pour conclure cet article, je voudrais vous parler de Vivian Maier, si vous ne la connaissez pas déjà. Elle illustre parfaitement l’invisibilité des femmes dans la photographie. Découverte posthumément, son œuvre illustre qu’un talent extraordinaire peut rester caché lorsque les systèmes en place ne fournissent pas les moyens de reconnaissance et de soutien équitable. Maier, qui a choisi de garder son art pour elle-même de son vivant, nous rappelle que derrière chaque histoire connue se cache une multitude de talents inexplorés et de récits non racontés, souvent entravés par les barrières sociétales et les préjugés de genre. 

Au-delà de l’invisibilité, son histoire illustre le contraire de la recherche de profit. Pourquoi Vivian Maier n’a jamais parlé de sa passion pour la photographie ? Était-ce par simple humilité ? Parce qu’elle n’a pas osé aller plus loin ? Cela ne l’intéressait pas ? Ce que je me demande moi c’est si son éducation et le traitement réservé aux femmes dans le monde de l’art ne l’ont pas empêché d’aller plus loin. Qu’est-ce que s’est dit Vivian lorsqu’elle a décidé que ses photos ne valaient pas la peine d’être vues ? Reconnaître son talent, c’est reconnaître ce que nous avons manqué et ce que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer.

La quête de visibilité et de reconnaissance des femmes dans la photographie de rue, et dans toutes les formes d’art, doit continuer, voire s’intensifier, afin de révéler les talents cachés mais pour affirmer la richesse que nous pouvons apporter à notre tissu culturel. Cela vaut pour les femmes, mais également pour tous les groupes minoritaires. Le manifeste du collectif “La part des femmes” dit : “Plus de 80% des photographies sélectionnées ou achetées sont l'œuvre d’hommes occidentaux.” Alors, si vous êtes d’accord pour dire que ce n’est pas possible que le talent ne concernent que les hommes blancs, je vous propose un petit challenge : pendant un mois, orientez vos recherches sur des œuvres et des carrières de femmes photographes, de toutes origines, de tous milieux sociaux. L’objectif est d’être le ou la plus inclusif.ve possible ! Et si vous voulez en faire profiter tout le monde, je vous invite à partager vos trouvailles sur les réseaux sociaux à travers le #DefiDiversiteArtistique. Voilà déjà un premier pas pour agir à votre niveau ! 

Je commence tout de suite en vous invitant à découvrir : 

Vous en êtes ? 😉

Vous pouvez me retrouver sur : Linkedin & Instagram

Sources :

  • Biljana Stevanovic, Pierre Grousson et Alix de Saint-Albin. Orientation scolaire et professionnelle des filles et des garçons au collège. Évaluation d’un dispositif de sensibilisation aux métiers non-traditionnels. Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 49, n° 1, 2016, pp. 91-119. ISSN 0755-9593. ISBN 978-2-918337-26-3.

  • Brophy, J. E., & Good, T. L. (1986). Teacher behavior and student achievement. Handbook of research on teaching., Macmillan: 328-375. In W. M.C. (Ed.), Handbook of research on teaching (pp. 328-375). New-York: Macmillan.

  • JONAS Irène, « La photographie de famille : une pratique sexuée ? », Cahiers du Genre, 2010/1 (n° 48), p. 173-191. DOI : 10.3917/cdge.048.0173. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2010-1-page-173.htm

  •  Brenac Édith (1983). « Système S ou le bricolage au féminin ». Pénélope, n° 9, automne.

  •  Le manifeste du collectif La part des femmes, URL : https://la-part-des-femmes.com/le-collectif-et-le-manifeste/

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5 leçons, Fan Ho Genaro Bardy 5 leçons, Fan Ho Genaro Bardy

5 leçons de photographie avec Fan Ho

Fan Ho, photographe chinois né en 1931 et surnommé le “Cartier-Bresson de l’Est” a photographié Hong-Kong avec une poésie visuelle inégalée. Il a découvert la photographie à l’âge de 14 ans et a rapidement développé un style distinctif mêlant ombres et lumières avec une grâce que l’on qualifie parfois de cinématographique. 

Son œuvre, principalement en noir et blanc, est concentrée sur la vie urbaine. Elle marque l’histoire de la photographie avec des images qui traversent les âges. Reconnu pour son approche intuitive, Fan Ho a exploré les rues et les quartiers populaires, en proposant des instants plein d’émotions et faisant de lui une légende et une source d’inspiration incontournable dans le monde de la photographie. 

Aujourd’hui, nous découvrons sa philosophie à travers 5 de ses citations.

5 leçons de photographie avec Fan Ho

  1. Les yeux, le cerveau et le cœur

Les bonnes photographies ne sont pas prises avec un appareil photo. Elles proviennent de vos yeux, de votre cerveau, de votre cœur, et non d’un quelconque équipement.
— Fan Ho

Qu’est-ce qui fait un vrai photographe ? Son équipement ou son regard ? Le processus créatif est à la fois complexe et très simple. Ce que l’on voit nous touche le cœur, on l’interprète et essaye d’en rendre compte.

Selon Fan Ho, Les yeux sont le premier outil du photographe. L’objet de la photographie est d’analyser et de sélectionner les moments qui méritent d’être capturés. Les photographes anticipent des moments où tous les éléments s’alignent parfaitement. 

Le cerveau, lui, interprète, il comprend et décide du moment précis pour déclencher l’obturateur. Quand on prend des photos, le plus simple est parfois de débrancher le cerveau, de ne pas trop réfléchir et de laisser l’intuition s’exprimer. 

Enfin avec le cœur, tout cela prend du sens. Cette phrase rappelle directement celle d’Henri Cartier Bresson, qui disait qu’une photo était un alignement entre les yeux la tête et le coeur. C’est la photo qui nous saisit et qui nous force à déclencher.

Fan Ho

Fan Ho

Fan Ho

Fan Ho

2. La passion est une amorce

L’œuvre d’un individu doit être empreinte de passion et elle doit laisser transparaître ses émotions !
— Fan Ho

La passion est souvent le point de départ de toute démarche artistique. Pour moi la passion est nécessaire mais pas suffisante. Pour arriver à laisser parler ses émotions en photographie, il va être nécessaire quand on débute de travailler beaucoup, avec consistance et persistance, pour que la pratique photographique devienne complètement naturelle. Le volume de travail peut paraître assez vertigineux quand on débute, et sans passion il sera probablement difficile de se résoudre à continuer ce travail sur la durée.

La passion est parfois dévorante, elle peut nous pousser dans nos derniers retranchements, au point d’oublier tout ce qui s’en échappe. Au même titre que l’écriture, la photographie devient alors un exutoire, un moyen d’exprimer ses émotions les plus profondes. Comme les écrivains qui ressentent ce besoin irrépressible d’écrire, la passion peut nous pousser à photographier toujours plus. Mais c’est bien la discipline et le volume de travail qui nous fera progresser.

Fan Ho

Fan Ho

Fan Ho

3. Le mirage de l’authenticité

Mes photos de rue réalistes sont rarement sélectionnées. L’esthétique picturale et les images avec un sens de l’humour restent la clé pour les photos de salon, mais je m’attends à ce que des changements se produisent bientôt. En attendant, je vais juste continuer à essayer.
— Fan Ho

Fan Ho évoque ce paradoxe bien connu des photographes avec un peu d’expérience : les photos qui plaisent le plus sont souvent différentes de celles qu’affectionne particulièrement le ou la photographe. On se retrouve parfois sur une ligne de crête, entre satisfaire le plaisir facile d’une audience acquise, ou chercher ce qui nous intéresse profondément, avec une totale authenticité.

Mais qu’est-ce que c’est qu’être authentique ? C’est être fidèle à ce que l’on a vu, c’est mettre en valeur son sujet pour satisfaire son ego, ou c’est poursuivre une idée et tordre le monde pour qu’il ressemble à cette idée ?

Il n’y a pas de réponse facile. Tout ce que nous pouvons faire comme photographe, c’est essayer et décider ensuite. Ou ne pas décider du tout et se laisser porter par l’aléatoire, par la sérendipité. Mais je crois que dans une œuvre significative comme celle de Fan Ho, la personnalité de l’artiste finit toujours par transparaitre, qu’il ait du succès ou non.

L’ennemi, à l’époque de Fan Ho ou dans la nôtre, c’est s’abandonner au seul plaisir pictural, aujourd’hui matérialisé dans les likes sur Instagram.

Fan Ho

Fan Ho

Fan Ho

4. Le noir et blanc pose une question

Je préfère les photographies en noir et blanc, ce n’est pas que je ne prends pas de photos en couleur. Les couleurs ne s’inscrivent pas bien dans mon monde, le noir et blanc m’offrent une distance. Une sorte de distance par rapport à la vie réelle, je pense que cette distance est très importante. La vie réelle est multicolore mais le noir et le blanc offrent un sentiment de détachement, il permet aux spectateurs de développer leurs propres réponses et offrent l’espace et la profondeur pour réfléchir et contempler mes idées.
— Fan Ho

Le noir et blanc élimine la distraction des couleurs et peut amener le spectateur à se concentrer sur la scène, sur la lumière, la texture et la forme. Il permet de mettre une distance émotionnelle nécessaire à une réflexion plus profonde. 

Peut-être que les photographies en noir et blanc posent une question, alors que la couleur apporte une réponse. Une question sera toujours plus évocatrice qu’une vérité.

Pour certains clichés, le noir et blanc joue un rôle essentiel dans la narration visuelle. C’est une invitation à voir au-delà de l’évident, à ressentir la ville et ses habitants à un niveau viscéral. Nous pouvons voir le noir et blanc comme une méditation visuelle.

Fan Ho

Fan Ho

Fan Ho

5. Apprenti toute sa vie

Quel est le secret de l’art de la photographie ? C’est expérimenter, expérimenter et expérimenter sans fin.
— Fan Ho

Fan Ho, maître de la lumière et de la composition, met en exergue l’importance de l’expérimentation dans la photographie. Mais que doit-on pratiquer / essayer ? Jouez avec des angles inattendus, explorez différents moments de la journée pour la lumière ou encore trouvez des manières innovantes d’interagir avec vos sujets ! 

En tant que photographe, il est primordial de chercher une narration visuelle profonde. Pour ce faire, vous devez expérimenter afin de découvrir de nouvelles façons de raconter des histoires. 

Fan Ho suggère également qu’on ne termine jamais d’apprendre : autant techniquement que conceptuellement. C’est par cette exploration qu’on affine notre style et notre vision afin de découvrir ce qui nous fait le plus réagir. L’expérimentation est le cœur du processus créatif.

Repoussez vos limites, découvrez de nouvelles perspectives et devenez un apprenti toute votre vie !

Fan Ho

Fan Ho

Fan Ho

Fan Ho

Fan Ho nous laisse un héritage intemporel, une fenêtre sur le passé qui continue d’inspirer et d’influencer le monde de la photographie contemporaine. À travers ses images emblématiques et ses paroles pleines de sagesse, il a su transmettre les principes fondamentaux de la photographie : de l’importance de l’observation, la passion comme moteur créatif, l’audace de l’expérimentation et l’engagement envers l’authenticité. 

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5 leçons, Jill Freedman Genaro Bardy 5 leçons, Jill Freedman Genaro Bardy

5 leçons de photographie avec Jill Freedman

Jill Freedman, observatrice passionnée de la vie humaine, est née en 1939 à Pittsburgh et décédée le 9 octobre 2019. Autodidacte, elle a consacré sa carrière à photographier la réalité brute de la société américaine. Son travail se démarque par son engagement envers les mouvements sociaux, les manifestations anti-guerre et les luttes pour les droits civiques.

Jill Freedman se distingue par son parcours atypique et sa vision artistique profonde. Diplômée en sociologie de l'Université de Pittsburgh, elle découvre la photographie de manière autodidacte, influencée par des figures emblématiques telles qu'André Kertész et W. Eugene Smith, mais c'est au côté de son caniche Fang qu'elle apprend véritablement à observer le monde. Sa carrière décolle après un séjour à Resurrection City.

Ses projets, tels que "Old News: Resurrection City" et "Circus Days", révèlent un engagement profond pour la justice sociale et une admiration pour les survivants de la vie, marquant l'histoire de la photographie par sa capacité à raconter des histoires et produire des documentaires fascinants, créant ainsi un héritage photographique profondément influent.

Dans cet article, nous explorerons son univers, ainsi que l’impact de son travail sur la photographie documentaire.

Jill Freedman

1- La photographie a une fonction anthropologique

J’ai étudié la sociologie et l’anthropologie et je me rends compte maintenant que ce que j’ai fait avec mon appareil photo toutes ces années, c’est documenter le comportement humain. Mais je prenais des photos dans ma tête bien avant de devenir photographe. C’est la guerre du Vietnam qui a tout changé pour moi. J’étais en colère et je voulais photographier des manifestations anti-guerre, alors j’ai acheté mon premier appareil photo.
— Jill Freedman

Jill Freedman identifie deux manières de photographier : 

  • L’une revient à étudier l’être humain à travers la sociologie et l’anthropologie. On observe et répertorie ses faits et gestes, on raconte une histoire et on essaie de la comprendre. Avec ou sans appareil, on s’attarde sur un moment important ou révélateur de la société.

  • L’autre consiste à simplement observer et se remémorer.

Un photographe sait observer, qui sait comprendre ce qu’il se passe devant lui. Mais surtout, un photographe choisit ses sujets parce qu’ils le passionnent, l’animent, le font s’engager dans ce qu’il photographie. De fait, quand Jill Freedman vient s'intéresser aux mouvements sociaux, elle vient documenter le comportement humain à la manière d’une sociologue. L’outil de restitution est simplement différent. La guerre du Vietnam a été le déclencheur de la carrière de Jill Freedman. Elle a transformé sa colère en une expression artistique et documentaire.

Un photojournaliste peut-il être neutre dans sa manière de rendre compte des événements de société ? On reproche souvent aux photographes de prendre une position militante par rapport à leur sujet. Je crois que cette prise de position est inhérente au métier de journaliste. À mon retour du Mali, où j’espérais pouvoir devenir photojournaliste, je photographiais toutes les manifestations à Paris, souvent le week-end. Il m’était impossible d’aller photographier une manifestation en 2013 contre le mariage pour tous avec bienveillance pour ceux qui défilaient. Si je respecte leur droit à manifester, je ne peux que m’opposer aux messages qu’ils portaient et le regard que je posais était forcément transformé.

Il me semble que photographier, c’est porter un message autant que rapporter des faits. La carrière de Jill Freedman en est une parfaite démonstration.

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman

2. Ne faites pas des photos faciles

Je déteste les photos faciles. Je déteste les photos qui font que les gens ont l’air de ne pas valoir grand-chose, juste pour prouver le point de vue d’un photographe. Je déteste quand ils prennent une photo de quelqu’un se curant le nez ou bâillant. C’est tellement facile. Ça correspond à un gonflement de l’ego. Vous utilisez les gens comme des accessoires au lieu de les traiter comme des personnes.
— Jill Freedman

Jill Freedman soulève une question fondamentale tant en photographie documentaire qu’en photographie de rue, d’autant plus à notre époque où l'image prend une place prépondérante. Elle vient critiquer ici une approche de la photographie qui déshumanise ses sujets, les réduisant à de simples blagues valorisant le photographe, alors que la représentation des sujets est cruciale ! 

La tendance à rechercher des clichés sensationnels ou provocateurs, souvent au détriment du sujet, pose une question éthique. La photographie ne peut pas être une quête égoïste de reconnaissance, de chercher des photographies exotiques, sensationnelles, avec la récompense des likes d’instagram. Jill Freedman nous rappelle que la photographie est un moyen de révéler des vérités en respectant la dignité de ceux que l’on montre dans nos photos. Cela requiert de la part du photographe de l’empathie, de la compréhension et peut-être même de l’affection envers ses sujets. 

On trouve parfois une règle en photographie de rue : pas d’enfants, pas d’artistes de rue, pas de SDF. Personnellement j’essaye de ne jamais montrer quelqu’un dans une situation dans laquelle je n’aimerais pas être pris en photo. C’est la principale raison pour laquelle je m’interdis de photographier des SDF sans leur demander la permission et je ne montre que très rarement ces photos si je ne suis pas en commande. Je vous renvoie au projet de Corentin Fohlen Home Street Home pour aller plus loin dans cette réflexion.

Jill Freedman

Jill Freedman

3. La mémoire comme mission sacrée

Je crois que se souvenir est une mission sacrée et, par conséquent, on doit être digne de cette mission.
— Jill Freedman

Ici, Jill Freedman évoque le devoir de mémoire et notamment son travail concernant l’Holocauste. 

Jill Freedman souligne la responsabilité qui incombe à ceux qui documentent, représentent ou partagent des histoires ou des images liées à des tragédies humaines. Si l’on se réfère à l'œuvre de Jill Freedman et ses différentes prises de parole, Il est nécessaire de rendre hommage à la vérité, à la souffrance et à la dignité des personnes impliquées dans ces tragédies. 

Dans le contexte de l’Holocauste l’objectif doit être d’éduquer les générations futures et de ne pas tomber dans le sensationnalisme ou l’exploitation de la douleur. Jill Freedman a photographié et documenté comment les familles juives se souviennent des horreurs de la seconde guerre mondiale et ont crée de nouveaux rituels autour du devoir de mémoire. 

À Salvador, quand je photographie les rituels et les célébrations Candomblé, je ne peux pas seulement m’arrêter au folklore d’une religion locale qui vénère 12 déesses. Les divinités Candomblé sont directement issues des rituels Vaudous Africains, que les esclaves qui ont construit la ville de Salvador n’avaient pas le droit de pratiquer. Les divinités féminines de la religion Candomblé ont été associés aux saintes de la religion Chrétienne qui leur était imposée. Un million et demi d’esclaves, de femmes et d’enfants, ont été importés par bateaux depuis la Centrafrique et le Bénin, c’est cette mémoire que véhiculent les photographies des rituels Candomblé aujourd’hui.

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman

4. Le Consentement en photographie

La plupart des gens adorent qu’on les prenne en photo.
— Jill Freedman

Jill Freedman disait demander systématiquement le consentement de ses sujets avant de les prendre en photo. Lorsqu’ils refusaient, elle partait. 

Elle a souvent photographié des individus dans des moments authentiques, montrant une réalité de la vie quotidienne. Cela reflète une capacité à établir un lien avec ses sujets pour se faire accepter voire oublier pendant qu’elle prenait des photos.

Mon expérience personnelle est de privilégier le moment que l’on passe avec les gens que l’on photographie à la photo qui en sera peut-être issue, si on a un peu de chance. Une photo réussie est trop rare, alors que l’occasion de créer une vraie connexion avec les gens que l’on rencontre, c’est à chaque fois.

Je vais préférer obtenir des photos authentiques en étant discret, en essayant de m’approcher sans me faire repérer. Mais je pars du principe que je vais dialoguer avec les personnes que je photographie. J’ai rencontré certains de mes meilleurs amis avec la photographie et ces rencontres aléatoires. Et si jamais je n’ose pas y aller, je demande la permission. On peut tout à fait obtenir des photographies naturelles en demandant la permission et en continuant à photographier si besoin après avoir pris un portrait.

Et pui Jill Freedman avait absolument raison sur ce point : la plupart des gens aiment les photos et les photographes.

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman

5. New York comme Échappatoire

Venir à New York, c’est toujours une façon de s’échapper à votre vie.
— Jill Freedman

Jill Freedman était fascinée par New-York, pour son énergie et sa diversité. Cette ville est une source d’inspiration pour quantité de photographes parce qu’elle est absolument photogénique et parce que toutes les populations du monde s’y croisent. Chaque quartier est une nouvelle découverte. 

Pour Freedman, la ville représentait un échappatoire, un lieu où l’on peut se perdre et se redécouvrir. J’ai une histoire particulière avec New York, c’est la ville où je découvrais la photographie. Je voyageais seul pour le travail et chaque minute de mon temps libre était consacré à l’exploration d’un quartier ou d’un nouveau lieu et de ses habitants. J’y ai voyagé depuis plus de 25 fois, souvent avec des photographes, c’est naturellement que je me suis intéressé aux photographes qui ont façonné l’histoire de la ville en photographie.

Quel est votre lieu à vous ? Celui qui vous apporte un sentiment de plénitude ou d’émerveillement ? Ce peut être un lieu en apparence plus simple, mais le plus important est l’attachement que vous aurez à ce lieu, car c’est ce qui se verra dans vos photos. 

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman

Jill Freedman est décédée le 9 octobre 2019, laissant derrière elle un héritage indélébile dans le monde de la photographie documentaire. Pour continuer l’exploration de son travail je vous propose l’une de ses dernières interviews, réalisée par Josh Ethan Johnson dans le cadre de sa série documentaire Wrong Side of The Lens. Cliquez sur ce lien pour voir la vidéo.

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Comment utiliser la photographie en sociologie ?

3 procédés pour exploiter la photographie dans une recherche sociologique

Rue à Salvador de Bahia

The Bath of Light, Genaro Bardy

La photographie est un outil puissant employé dans nos livres d’histoire et de géographie. Elle relate des évènements, étaie des théories et bien plus encore. Son travail va au-delà de la simple capture de moments esthétiques ou mémorables. Ses applications s’étendent à diverses disciplines, notamment la sociologie. Elle offre aux chercheurs un moyen d’explorer, d’appréhender et de représenter la réalité sociale. Alors, comment utiliser la photographie en sociologie ? Il existe plusieurs approches pour exploiter les images dans les enquêtes : les analyser et les transformer en outils de recherche, de collecte des données, ou encore comme objets de restitution des résultats.

1- Analyser l’image pour la transformer en outil d’enquête 

La manière la plus simple pour exploiter la photographie dans votre enquête sociologique est de s’en servir comme une donnée et de l’analyser. Ainsi, selon Becker, vous pouvez utiliser du contenu historique, journalistique, documentaire ou artistique. Chacun de ces usages apporte une perspective unique à la compréhension de la réalité sociale. L’art offre des représentations émotionnelles et subjectives du monde. A contrario, le documentaire et le photojournalisme capturent des moments authentiques et viennent refléter le quotidien.

En étudiant ces images, on rend compte de pratiques liées à une époque ou à un groupe social. Appréhender le contexte dans lequel les clichés ont été photographiés permet de constater des conditions de vie, des normes culturelles ou encore des changements sociétaux. Observez les prises de vue d’Andreas Gursky par exemple et vous y découvrirez sa vision du monde moderne. Comparez-le à d’autres auteurs à la même période et vous noterez peut-être l’ampleur de l’influence de la globalisation dans l’art.

Rappelez-vous toutefois que le cliché n’est réellement sociologique que lorsque les méthodes d’analyse sont employées pour en tirer des informations et des enseignements. Une démarche globale doit être appliquée à cette étude. Gardons en mémoire tout de même que les photographes eux aussi sont des sujets qui ont des opinions ou des perspectives qui influencent leurs œuvres. La Rocca indique que la réflexion critique sur la subjectivité des images est essentielle pour une recherche rigoureuse.

👉 Pour avoir un aperçu du travail d’Andreas Gursky, je vous invite à lire mon article “L’histoire de la photo la plus chère au monde”

2- Capturer une photographie pour la recherche sociologique

Outre l’analyse d’images existantes, la photographie peut être utilisée de différentes manières remplissant plusieurs fonctions essentielles.

2.1 Un outil de mémorisation

Selon La Rocca, la photographie témoigne des lieux, des interactions sociales ou encore des aspects importants de la vie quotidienne. Comme le dictaphone, elle enregistre l’information pour le sociologue qui la traitera avec le recul nécessaire. L’analyse du chercheur devient ainsi plus complète. Elle ne se base plus uniquement sur ses notes, ses observations ou sa mémoire. La perte de données est donc moindre. Du contenu supplémentaire est accumulé alors qu’il aurait pu être invisible au premier abord.

2.2 Outil de médiation auprès des enquêtés 

Fabio La Rocca établit la pratique de la “photo-elicitation”. L’image se transforme en un outil de médiation entre l’enquêteur, qui expose des clichés, et l’enquêté qui les commente. D’une personne à une autre, ou encore d’une communauté à une autre, les interprétations peuvent différer. Sans mise en situation, ces informations deviennent inatteignables.

Par ailleurs, l’entretien est un exercice complexe pour les enquêtés. Ils peuvent être parfois intimidés, peu loquaces et ainsi fournir des réponses lacunaires et concises, peu bénéfiques à la recherche. L’utilisation du photolangage intervient comme solution à cette difficulté.

 2.3 Outil d’échantillonnage

Le travail de Robert Frank dans “Les Américains” est un exemple pertinent de l’utilité de la photographie comme outil d’échantillonnage. En capturant des scènes diversifiées de la vie américaine des années 1950, il a pu fournir un éventail visuel et varié de la société à cette époque.

Le chercheur comprend davantage les caractéristiques et les dynamiques sociales pour une période. Cela complète et enrichit les données textuelles ou auditives, permettant d’obtenir une vision plus globale de la réalité étudiée. 

2.4 Outil de récolte de données : La native image making

Pour finir, le “native image making”, notion abordée par Wagner en 1979, implique de laisser aux enquêtés le pouvoir de photographier leur quotidien et leur environnement. Les participants s’approprient ainsi leur propre représentation. Si la subjectivité est évidente dans ce cadre, elle l’est également dans celui des entretiens. Il est toutefois primordial d’en tenir compte lors de l’analyse des données. En encourageant les interviewés à documenter leur réalité sociale, cette approche permet d’accéder à des perspectives uniques et d’obtenir des informations plus intimes et plus personnelles. L’image qu’un individu peut vouloir exprimer en face à face, ou celle qu’il aura l’audace d’exhiber par le biais d’un média sont différentes. 

La subjectivité de la photographie est un défi pour les chercheurs. L’objectivité totale est impossible de part et d'autre. La Rocca l’indique clairement : photographe, sociologue ou participant, chacun apporte ses propres valeurs, biais et interprétations dans la capture d’un cliché. 

3- Restituer visuellement les résultats d’une étude menée

Dans le cadre d’une enquête, la photographie peut être un élément de restitution essentiel. En effet, en associant les images aux analyses textuelles, les chercheurs peuvent présenter leurs conclusions de manière plus percutante et captivante. Par ailleurs, elles fournissent des preuves visuelles qui confortent les arguments et apportent un éclairage supplémentaire sur les phénomènes sociaux.

Cette restitution offre une dimension impactante aux résultats de l’investigation. Elle peut être facilitatrice lorsque les sujets étudiés sont complexes ou difficiles à décrire uniquement par des mots.

L'utilisation de photographies contribue également à la communication avec un auditoire plus large. Les images ont un pouvoir émotionnel et peuvent toucher les spectateurs d'une manière plus profonde que les données brutes ou les analyses statistiques. Cela rend la recherche sociologique plus accessible et permet d'engager un public plus diversifié et intéressé. Des expositions peuvent être organisées pour sensibiliser aux problématiques sociales importantes. 

Cependant, il est crucial que les chercheurs soient conscients des responsabilités éthiques liées à l’usage de photographies dans la restitution des résultats. Ainsi, ils doivent s’assurer de respecter le droit à la vie privée des personnes et d’obtenir leur consentement éclairé avant utilisation publique. Ils doivent également veiller à ne pas manipuler ou déformer les images afin de préserver leur authenticité et leur intégrité en tant que sources d'information.

La photographie propose aux sociologues une palette d’outils pour explorer, capturer et témoigner de la réalité sociale. En analysant des clichés, en les exploitant comme un moyen de communication visuelle ou média de restitution, les chercheurs approfondissent leur compréhension du monde et en offrent de nouvelles perspectives. Ils apportent des preuves, non modifiables, à leur enquête et en renforcent sa crédibilité. La prise de vue artistique, journalistique ou documentaire vient en dire beaucoup sur nos sociétés. D’ailleurs, n’est-ce pas ce que nous, photographes, exécutons au quotidien ? Témoigner de la réalité que l’on observe. 

Références :

  • Mathilde Buliard, « François Cardi, Photographie et sciences sociales. Essai de sociologie visuelle  », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 février 2022, consulté le 21 juillet 2023. URL: http://journals.openedition.org/lectures/54528 https://doi.org/10.4000/lectures.54528

  • LA ROCCA Fabio, « Introduction à la sociologie visuelle », Sociétés, 2007/1 (no 95), p. 33-40. DOI : 10.3917/soc.095.0033. URL : https://www.cairn.info/revue-societes-2007-1-page-33.htm

  • Becker Howard S. Sociologie visuelle, photographie documentaire et photojournalisme. In: Communications, 71, 2001. Le parti pris du document, sous la direction de Jean-François Chevrier et Philippe Roussin. pp. 333-351.
    www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2001_num_71_1_2091

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L’histoire de la photo la plus chère du monde (et de son auteur)

Quand l’art contemporain se penche sur les clichés les plus onéreux jamais vendus, le nom d’Andreas Gursky surgit inévitablement. Figure énigmatique qui transcende les frontières de la photographie traditionnelle, il est l’auteur de l’image qui a longtemps détenu le titre de « la photo la plus chère au monde ». Comment son œuvre a-t-elle acquis une telle aura ?

Avez-vous déjà vu la photo la plus chère du monde ? Savez-vous qui en est son auteur ? Que la réponse soit oui ou non, je vous invite à lever le voile, avec moi, sur l’originalité et la créativité de l'œuvre et de son artiste. Nous allons observer sa capacité à transcender les limites de la photo afin d’exploiter d’autres techniques de formes artistiques. Quand l’art contemporain se penche sur les clichés les plus onéreux jamais vendus, le nom d’Andreas Gursky surgit inévitablement. Figure énigmatique qui transcende les frontières de la photographie traditionnelle, il est l’auteur de l’image qui a longtemps détenu le titre de « la photo la plus chère au monde ». Comment son œuvre a-t-elle acquis une telle aura ? Qui se cache derrière ces photos ? Préparez-vous à être émerveillé par l'univers captivant d'Andreas Gursky, où le réel et l'imaginaire se mêlent dans un ballet visuel saisissant, offrant un regard unique sur notre monde moderne.

1- L’apprentissage d’Andreas Gürksy

Un pied dans la photographie depuis l’enfance

Andreas Gursky est né le 14 janvier 1955 en Allemagne de l’Est. À deux ans, sa famille décide de déménager à l’Ouest, à Düsseldorf. Ses parents étaient propriétaires d’un studio photo. Nous aurions pu penser que la photographie se révélerait être un choix de carrière évident pour l’artiste. Toutefois, celui-ci y a été opposé pendant de nombreuses années, n’envisageant absolument pas de reproduire le schéma familial. Le destin, parfois taquin, l’a dérouté pendant quelques années avant de le guider vers le chemin d’un avenir artistique extraordinaire.  

Andreas Gursky s’initie à la photographie à la Folkwangschule d’Essen. Il y apprendra le photojournalisme. Pendant ses études, il travaille comme chauffeur de taxi afin de subvenir à ses besoins. En 1980, après de vaines tentatives de trouver un emploi en qualité de reporter photographique, un ami lui suggère de s'inscrire à l’École des beaux-arts de Düsseldorf. Il y fera la rencontre déterminante des chasseurs d’images Hilla et Bernd Becher. Ils deviendront ses mentors. 

Ils sont tous deux renommés pour leurs tirages capturés en noir et blanc. Ils enseignent donc tout naturellement à leurs élèves leurs techniques de prise de vue. Toutefois, après un an, Andreas Gursky se distingue en faisant le choix audacieux de ne se consacrer qu’à la couleur. Sa décision marque le début d’une exploration artistique hors du commun.

« Je ne suis intéressé que par l’espèce humaine et son environnement » - Andreas Gürky

Gürsky se concentre d’abord sur des éléments du quotidien, spontanés. Sa première photo exhibée s’intitule : « La gazinière allumée ». Capturée en 1980, elle annonce le décalage de ses futures œuvres par rapport à celles proposées à cette époque. L’influence de ses professeurs et leur appétence pour les objets bruts se reflètent dans ses premiers travaux. 

C’est en 1987 qu’il présente sa première exposition en solo à l’aéroport de Düsseldorf. Son style unique sera révélé à travers des photographies capturées pendant quatre ans. Elles mettent en exergue des employés de sécurité dans des halls d’immeuble à travers toute l’Allemagne. 
Sa fascination pour le monde contemporain marque sa photographie. Il montre progressivement une ambiance urbaine et industrielle, saisissant des scènes captivantes où la répétition anonyme de l’expérience humaine moderne vient dévoiler toute sa complexité. La contrainte sociale qui pèse sur les personnes s’observe dans ses photos. La position de Gursky quant à son art est ferme :

« Je ne suis jamais intéressé par l’individu, mais par l’espèce humaine et son environnement ».

Son objectif est d’exposer une réalité à un moment donné et de laisser libre-court à l’interprétation de son spectateur.

2- Le photographe le plus minutieux et patient

Une fois décidé à se lancer dans la photographie et après avoir pris position sur sa manière d’exercer son art, Gursky a, petit à petit, affiné sa manière de travailler. Dans une société où la photographie se fige souvent dans la prise de vue instantanée, Andreas Gursky fait usage de patience et de minutie pour capturer des moments uniques, voire inexistants. Il observe le monde avec un regard large et captivant. Ses techniques pour nous l’exposer : un choix du sujet précis, des outils innovants, une mise en scène picturale et une production parcimonieuse.

Comment choisit-il ses sujets ?

Dans un premier temps, Andreas Gursky a commencé à photographier de manière très spontanée. Il a ensuite, petit à petit, pris le temps de choisir son sujet. Il étudie les différents lieux qui pourraient l’intéresser et s’y rend avec une idée précise de ce qu’il va shooter. 

Il vient explorer des thèmes qui dévoilent l’essence même de l’époque dans laquelle nous vivons en photographiant au-delà de l’évidence. Il met en lumière l’histoire de l’ère de la globalisation. Les clichés des échanges financiers planétaires en sont un exemple. D’ailleurs, cette série initiée par sa photographie emblématique de la Bourse de Tokyo en 1990, ne vous rappelle-t-elle pas vos livres de géographie ouverts au chapitre de la mondialisation ? 

Gursky brise les barrières en adoptant une perspective unique. Il se rend dans des endroits inaccessibles et les ouvre au grand public à travers ses images. 

Il indique avoir capturé de nombreuses photos, les stocker et ne les ressortir pour travailler dessus que des années plus tard, lorsqu’il décide d’en faire un sujet. 

Andreas Gursky, " Frankfurt ", 2007

Andreas Gursky, " Frankfurt ", 2007

Andreas Gursky, " Tokyo, stock exchange ", 1990

Andreas Gursky, " Tokyo, stock exchange ", 1990

Des outils innovants au service d’œuvres gigantesques

Dès ses débuts, Gürsky a été attiré par les grands formats. En effet, les dimensions monumentales confèrent de l’ampleur à ses photographies et permettent au spectateur de se plonger dans l’image. Au départ, il recomposait ses épreuves pour les agrandir et créer des panoramas étonnants. L’étendue de ses tirages et l’innovation que cela représentait ont donné une importance fondamentale à son travail. Ses impressions peuvent mesurer jusqu’à trois mètres de long. Dès les années 80, Gürsky produit des scènes tellement larges qu’elles ne peuvent être tirées que dans un laboratoire commercial. Grâce à ces dimensions, l’observateur qui se rapproche peut étudier le moindre détail que Gursky aura choisi avec attention. L’évolution du numérique l’a emmené plus loin dans son exploration artistique en ajoutant et supprimant des éléments, mais également en jouant avec la composition pour constituer des spectacles uniques reflétant sa propre vision du monde. Ses images défient alors les limites du réel et invitent le participant dans un univers à la fois familier et étrange. Sa maîtrise de l’outil lui permet de créer des images exceptionnellement nettes et précises. 

Sur la photographie « 99 Cent II », quand Gursky s’attèle à la retouche, il augmente la colorisation pour attirer le regard. Il ajoute un miroir au plafond afin de multiplier l’effet de répétition. Sur cette prise de vue, des allées ont également été greffées. Il vient ainsi nous offrir un spectacle qui n’existe pas réellement.

Andreas Gursky, “ 99 cent ”, 1999

Andreas Gursky, “ 99 cent ”, 1999

Parfois, ses montages alimentent une utopie que lui seul aperçoit. En 2015, avec « Review », il propose un cliché de quatre chanceliers allemands : Gerhard Schröder, Helmut Schmidt, Angela Merkel et Helmut Kohl. Ils observent la peinture de Barnett Newman’s « Vir Heroicus Sublimis ». Incroyable, mais faux. Cette prise de vue est composée de toute pièce par son auteur. Les quatre politiciens ne se sont jamais retrouvés ensemble à cet endroit. 

Gursky, avec les instruments en sa possession, joue avec la réalité et le reconstitue à sa guise. 

Andreas Gursky, " Review ", 2015

Andreas Gursky, " Review ", 2015

Au-delà de l’outil numérique, il a également décidé d’utiliser des grues ou encore des hélicoptères pour obtenir une perspective aérienne et de souligner l’immensité de nos environnements urbains et industriels. Pour exemple, « Madonna I » photographie de l’un des concerts de Madonna en 2001. 

Il capture la globalité des scènes et révèle des détails insoupçonnés invisibles à l’observateur du quotidien.

Andreas Gursky, " Madonna I ", 2001

Andreas Gursky, " Madonna I ", 2001

Mise en scène et gigantisme

Profondément influencé par sa passion et sa fascination pour la peinture, Gursky en utilise les techniques dans sa composition photographique. Si nous avons pu voir qu’il retouchait ses clichés, il planifie également le décor en le réfléchissant en amont et en faisant poser ses sujets. Comme un peintre, il les met en scène et leur demande de changer leur tenue par exemple. Il manipule le moindre ingrédient afin de laisser apparaître ce que lui souhaite montrer. 

Il retravaille ensuite l’image en composant et inventant des éléments qui n’existent pas. Si l’on récapitule, son procédé créatif est déroulé en plusieurs étapes : 

  • Le choix du sujet et la définition de ce qu’il veut en montrer 

  • La mise en scène de la prise de vue et sa capture 

  • La retouche photographique pour ajouter des éléments, mais également composer des œuvres plus grandes 

D’ailleurs, si le journaliste Eddy Frankel indique :

« La taille compte dans l’art. Il y a plusieurs centaines d’années, les seuls sujets autorisés à être peints très grands étaient des scènes de la Bible ou de l’Histoire. Gros signifiait important, cela signifiait spécial. ».

Nous pouvons nous demander si ce n’est justement pas l’objectif de Gursky : être spécial grâce à la dimension de ses images mais également par le point de vue omniscient qu’il utilise dans ses photographies. Il adopte une vision divine du monde. Sur « Paris, Montparnasse », par exemple, l’absence de cadre implique une possibilité de reproduction à l’infini. Dans ses œuvres, il ne se contente pas de simplement documenter la réalité, mais il en crée une à part entière.

Andreas Gursky, “ Paris, Montparnasse ”, 1993

Andreas Gursky, “ Paris, Montparnasse ”, 1993

Andreas Gursky, " Pyongyang I ", 2007

Andreas Gursky, " Pyongyang I ", 2007


8 photos par an

L’indépendance qu’Andreas Gursky a gagnée au cours de sa vie en vendant son art lui permet aujourd’hui de se concentrer sur la qualité plutôt que la quantité. Il ne diffuse qu’un nombre limité de clichés par an, environ 8. Cette création parcimonieuse témoigne de son approche méticuleuse et de sa quête de la perfection visuelle. Chaque photo est le fruit d’un long travail de recherche et de retouche. Il ne se contente pas de capturer, mais conçoit des compositions puissantes résistantes à l’épreuve du temps. 

Ne s’agirait-il pas d’une critique implicite de la production de masse ? En exposant moins, Gursky met l’accent sur l’importance de l’expression artistique authentique et réfléchie. Dans la précision de ses images, il force l’observateur à s’attarder et à analyser le moindre des détails s’il veut saisir l’essence de la photographie. 

3- Pourquoi l’œuvre d’Andreas Gürsky est originale ?

Inspiré par la société de consommation

Son travail est marqué par l’abondance de détails, qui capturent l’essence de la globalisation et de la société de consommation. Il souligne la répétition qui caractérise ces univers modernes qui le fascinent. Il nous offre un regard nouveau et une prise de recul sur des images familières. La redondance met aussi en lumière la monotonie et la routine dans lesquelles les humains semblent parfois piégés. Sa vision force le spectateur à plonger dans des scènes d’une puissance visuelle saisissante. Toutefois, il ne cherche pas à exprimer des opinions politiques à travers ses photos, mais plutôt à rendre compte de la réalité telle qu’elle est, sans jugement ni critiques. Il nous laisse le soin, à nous, spectateurs, d’interpréter et de réfléchir sur ces scènes.

Andreas Gursky, « Bergwerk Ost », 2008.

Andreas Gursky, « Bergwerk Ost », 2008.

Il intègre la musique dans ses expositions

Au-delà de la photographie traditionnelle, Andreas Gursky explore de nouvelles voies créatives en intégrant des éléments sonores à certaines de ses expositions. Pour « Not Abstract II » en 2016, organisée à la Gagosian Gallery de New York, l’artiste a invité le DJ et producteur Richie Hawtin à composer une bande sonore qui accompagnerait ses clichés. Avec cet ajout, Gursky souhaitait encourager le public à prendre le temps de s’immerger davantage dans l’univers de ses images. 

Gursky, passionné par la techno, en a même fait un sujet de travail. « Dance Valley » en est un exemple. À juste titre, dans son interview pour le magazine Vice, Laura Käding, journaliste, n’hésite pas à lui faire remarquer que ses photographies, comme la musique électronique, comportent des séquences, des répétitions et des fréquences. 

Bien que Gursky soit principalement connu pour ses impressions de grandes tailles, il ne se limite pas à ce format. Il a également exploré des séries de tirages de plus petite dimension, comme celle sur les super héros. Cette dernière témoigne de sa créativité sans limites et de sa capacité à expérimenter au-delà des conventions.

Andreas Gursky, SH III, 2014

Andreas Gursky, “ SH III ”, 2014

4- Voici, la photo la plus chère du monde

C’est ce parcours avec les différentes influences qui s’y sont greffées qui ont amené à l’édition de la photographie la plus chère au monde : « Rhin II ». Capturée en 1999, cette image minimaliste expose le Rhin dans une composition épurée et sans présence humaine. La force de la nature, tranquille et majestueuse, y est mise en avant. 

Elle est le résultat de nombreuses heures de travail, pendant lesquelles Gursky s’est attaché à effacer toute trace de l’homme. En effet, comme évoqué précédemment, il a souhaité que le Rhin représente le calme et l’infini : mission réussie ! En 2011, pour cette image, il a obtenu 4.3 millions de dollars lors d’ enchères. Elle a été jusqu’en 2022 la photographie la plus chère au monde. 

Si elle a été vendue à ce prix, c’est parce qu’il n’y en a que 6 exemplaires. Celle-ci en étant le plus grand. Son unicité la rend rare et coûteuse. Par ailleurs, sur les 5 autres tirages, 4 sont exposés dans des musées, rendant ainsi inaccessible l’acquisition de cette photographie.

Andreas Gursky, “ Rhin II ”, 1999

Andreas Gursky, “ Rhin II ”, 1999

Notre fascinante aventure dans le monde artistique d’Andreas Gursky touche à sa fin. Son regard sur le monde, sa vision, son obsession pour les détails et sa capacité à capturer des scènes puissantes en font un photographe hors du commun. « Rhin II » incarne non seulement la vision artistique de Gursky, mais a également influencé l’art contemporain en remodelant la manière dont nous percevons le monde qui nous entoure. L’artiste et son œuvre ont transformé l’art contemporain en élargissant les horizons de la photographie, en remettant en question les conventions artistiques et en soulevant des débats cruciaux sur la société moderne, la globalisation et la surconsommation.  

Aujourd’hui, la qualité du travail d’Andreas Gursky est connue de tous les collectionneurs. La vente de ses clichés lui a permis de diminuer les voyages et de ne plus avoir à systématiquement exposer son travail. En plus de son métier, il est également professeur à l’académie des Beaux-Arts de Düsseldorf. Il partage un studio avec d’autres confrères photographes. Sera-t-il, comme l’ont été Hilla et Bernd Becher, le mentor de l’auteur ou de l’autrice de la nouvelle image la plus chère au monde ?

Références :
https://www.ericcanto.com/andreas-gursky-photographe/
https://www.artmajeur.com/fr/magazine/8-portraits-d-artistes/andreas-gursky-capturer-l-echelle-monumentale-du-monde-moderne/333853
https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/art/features/andreas-gursky-a-god-s-eye-view-of-the-world-9322396.html
https://www.vice.com/en/article/78egzy/exclusive-andreas-gursky-richie-hawtin-nicht-abstract
https://totallyhistory.com/andreas-gursky/
https://gagosian.com/quarterly/2022/05/05/interview-andreas-gursky-max-dax/
https://www.timeout.com/london/art/andreas-gursky-2

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5 leçons, Ernst Haas Genaro Bardy 5 leçons, Ernst Haas Genaro Bardy

5 leçons de photographie avec Ernst Haas

Ernst Haas, né en 1921 à Vienne et décédé en 1986, est une figure incontournable dans le monde de la photographie du 20ème siècle. Pionnier des prises de vue en couleur, il a révolutionné la façon dont nous percevons ce médium. Dès les années 1950, il s'est imposé comme l'un des premiers à maîtriser le potentiel de la couleur, à une époque où le noir et blanc dominait le paysage artistique.

Sa première série significative, axée sur le retour des prisonniers de guerre autrichiens, lui a valu une attention immédiate et une place au sein de l'illustre agence Magnum dès 1949. Au fil de sa carrière, il a noué des amitiés avec d'autres géants du domaine, tels qu'Henri Cartier-Bresson.

Dans cet article, nous explorerons sa philosophie de la photographie à travers cinq de ses citations. Découvrons ensemble sa réflexion sur ce que signifiait pour lui "prendre une photo".

5 leçons de photographie avec Ernst Haas

  1. Les 2 types de photographes

Il y a deux types de photographes : ceux qui composent les photos et ceux qui les prennent. Les premiers travaillent en studio. Pour les derniers, le studio c’est le monde.
— Ernst Haas

Ernst Haas résume parfaitement la pratique photographique en soulignant une dichotomie fondamentale : celle de la composition contrôlée versus la capture spontanée. 

Dans un studio, tout est orchestré à la perfection : les lumières, les ombres et même le sujet. C’est un art de la construction, où tout est manipulé pour créer l’image idéale. 

Dehors, à l’inverse, vous défiez l’imprévisible, qui est à la fois votre meilleur ami et votre pire ennemi. Vous chassez les instants et naviguez à travers des labyrinthes urbains.
J’ai toujours pensé que la pratique de la photographie était d’abord intuitive, en réalité on travaille ses compositions à l’analyse des résultats, sur des planches contact ou devant un ordinateur. On s’entraîne pour devenir plus réactif et voir des compositions à la volée.

Le monde devient un studio. À chaque sortie, nous trouvons une nouvelle opportunité de “prendre” une image qui raconte une histoire, plutôt que de la composer dans un environnement contrôlé.

Ernst Haas

Ernst Haas

Ernst Haas

2. La beauté est intérieure

Une image est l’expression d’une impression. Si le beau n’était pas en nous, comment pourrions-nous le reconnaître ?
— Ernst Haas

La beauté est subjective, autant dans notre quotidien que dans l’art. Un photographe n’est pas un simple capteur d’images, mais un révélateur d’une beauté intérieure. Ce que nous trouvons beau dans une photographie est en réalité un reflet de notre propre sens esthétique. Chaque cliché est un acte d’introspection, une réflexion sur notre perception du monde. C’est la résonance de notre propre sentiment du beau. 

On photographie qui on est, on capture ce qui se présente devant nous et on se projette dans le monde extérieur, dans un même mouvement. Ce que nous capturons, c’est notre sens intime de la beauté. C’est cela qui nous pousse à nous positionner d’une certaine manière et à déclencher. Ce sont nos valeurs esthétiques, culturelles et même philosophiques. 

Ce n’est pas seulement ce que nous voyons qui compte, mais comment nous le voyons et comment nous décidons de le représenter. Nous nous explorons au quotidien dans notre identité en tant qu’artiste.  

Ernst Haas - Agence Magnum

Ernst Haas

Ernst Haas

3. L’importance de la mobilité

L’optique la plus importante que vous avez, ce sont vos jambes.
— Ernst Haas

Zoomez avec vos pieds. La photographie demande un engagement physique avec le sujet. Un photographe de rue est un explorateur, ce sont ses jambes qui le guident à travers son terrain de jeu infini : le monde. 

La technique et l’équipement ne sont pas les seuls éléments à prendre en compte. Le positionnement, l’angle et la perspective jouent un rôle primordial. Et pour proposer un regard original, il va falloir aller le chercher.

Dans le cas de la photographie de rue, la mobilité est essentielle. Chaque scène observée, doit être travaillée. Tourner autour de son sujet, observer la lumière, les mouvements et choisir comment le mieux représenter ces mouvements. Le pire qui puisse vous arriver, c’est prendre une photo en passant, peut être juste deux ou trois, et passer son chemin. C’est presque la garantie de proposer des photos banales. Travaillez vos scènes.

Ernst Haas - Agence Magnum

Ernst Haas

Ernst Haas - Agence Magnum

Ernst Haas

Ernst Haas - Agence Magnum

Ernst Haas

4. La quête de nouvelles perspectives

Je ne suis pas intéressé à photographier de nouvelles choses - je suis intéressé à voir des choses nouvelles.
— Ernst Haas

Les rues que nous arpentons nous sont rapidement familières. Le défi n’est pas réellement de trouver de nouveaux endroits à photographier, mais de voir les mêmes scènes, jour après jour, sous un nouvel angle, avec des yeux neufs.

Vous avez, en bas de chez vous un monde merveilleux que l’on peut avoir tendance à disqualifier parce qu’on a décidé qu’il n’était pas intéressant.

La magie ne réside pas dans le sujet lui-même, mais dans votre manière de le percevoir et de le présenter. Si vous décidez d’être curieux, vous verrez un monde nouveau s’ouvrir. Pour reprendre les mots du poète Paul Nougé : c’est un PAYSAGE de SOURCES et de BRANCHES, une MAISON de FEU, mieux encore la VILLE MIRACULEUSE qu’il vous plaira d’INVENTER.

Vous êtes dans une rue que vous avez déjà photographiée des dizaines de fois ? Changez votre point de vue, baissez-vous, élevez-vous, photographiez un moment différent de la journée. Vous aurez toujours une image différente.

L’important, c’est d’apporter un regard neuf sur le familier. Le même marchand de rue, le même panneau d'affichage ou le même arbre peuvent offrir des opportunités sans fin pour le ou la photographe qui sait regarder. 

Ernst Haas nous pousse à remettre en question notre sens de l’observation. Pour nous, photographes, la rue est un terrain de jeu dans lequel chaque instant est une opportunité pour proposer une nouvelle manière de voir et de comprendre le monde.

Ernst Haas - Agence Magnum

Ernst Haas

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Ernst Haas

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5. La photographie est-elle un art ?

Quelques mots sur la question de savoir si la photographie est un art ou non : je n’ai jamais compris la question.
— Ernst Haas

Ernst Haas photographiait en couleur à un moment où la couleur était seulement utilisée pour une photographie commerciale. Les premières expositions d’artistes photographes apparaissaient et la question était légitime, alors qu’elle paraît presque absurde aujourd’hui.

Notre travail de photographe n’est pas une simple série d’instantanés, nous proposons une exploration de la vie urbaine qui se démarque par sa composition, son style, son ton, son assemblage et notre réflexion avant, pendant et après. Est-ce qu’il y a réellement un débat ? 

En photographiant, nous racontons la vie dans l’espace public, en tant qu’artistes. La photographie est peut-être accessible à tout le monde aujourd’hui et est souvent perçue comme plus mécanique ou technique que d’autres formes d’art. Toutefois, ce point de vue ignore l'œil du photographe, sa vision, son interprétation. Nous oublions également l’importance de l’intention (Je vous invite d’ailleurs à aller visionner ma vidéo sur l’intention en photographie). Tous ces éléments sont aussi importants en photographie qu’en peinture ou en sculpture. 

Ernst Haas

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5 leçons, Inge Morath Genaro Bardy 5 leçons, Inge Morath Genaro Bardy

5 leçons de photographie avec Inge Morath

Inge Morath est née à Graz, en Autriche, le 23 novembre 1923. Elle a étudié la littérature et l'art à Vienne, puis a commencé sa carrière de photographe en 1948. Elle a été formée par Robert Capa et Henri Cartier-Besson. Elle a travaillé et été membre de l’équipe fondatrice pour l'agence Magnum Photos de 1950 à 2002.

Morath a voyagé dans le monde entier pour son travail, et a documenté une grande variété de sujets, notamment la vie quotidienne, la politique, la culture et l'art. Elle est connue pour ses images sensibles et poétiques, qui capturent souvent l'humanité et la compassion. Inge Morath est décédée à New York le 30 janvier 2002.

Légende de la photographie, elle a vécu une vie de photographe, auteur et photojournaliste particulièrement sensible aux cultures dont elle a croisé le chemin. Ses mots et ses images sont un trésor d’inspiration pour toutes celles et ceux qui aspirent à comprendre le sens de la photographie.

5 leçons de photographie avec Inge Morath

  1. Le pouvoir de la communication

Je crois que la photographie est un moyen de communiquer avec les gens. C’est une façon de partager nos expériences et nos émotions avec les autres.
— Inge Morath

Cette affirmation d'Inge Morath résonne puissamment à une époque où la technologie nous inonde d'images à chaque instant. La simple pratique de capturer une image va bien au-delà de la composition et de la lumière. La Photographie est un média pour initier un dialogue. 

La puissance de la photographie se mesure dans sa capacité à établir une connexion avec les autres. Si une photo permet au spectateur de ressentir les mêmes émotions que son photographe, elle vient transcender sa nature technique et touche l’âme, de manière très subtile. 

Ainsi, le véritable objectif ne serait-il pas de créer des œuvres qui parlent aux gens ? Qui génèrent une connexion émotionnelle entre le sujet, le spectateur, et le photographe lui-même ?

Photo Inge Morath - Agence Magnum

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2. L’art de la vie

La photographie est un art de la vie. Il s’agit de capturer la beauté et la complexité du monde qui nous entoure.
— Inge Morath

La photographie est plus qu’une pratique technique ou une capacité à la composition ou à la gestion de la lumière. Elle est une fenêtre ouverte sur notre existence, un miroir de la vie elle-même. Chaque cliché est une occasion unique de révéler la complexité de nos vies : nos joies, nos peines, nos luttes et nos triomphes. Elle interpelle, elle interroge et témoigne de notre condition. En déclenchant, nous documentons le monde auquel nous avons accès. Nous essayons de le comprendre, de le sentir, mais nous réussissons surtout à le partager.

Cette phrase me rappelle mon deuxième séjour en Inde. Je me trouvais à Jalawar pour un marché aux chameaux et aux chevaux qui se tient juste avant le festival de Chandrabhaga. Pendant une après-midi, toute la ville défile en tenue traditionnelle, chacun pratique une danse, un instrument ou un art en marchant vers la rivière sacrée de Chandrabhaga. à la tombée du jour, dans une foule dense pleine de ferveur, chacun fait une offrande de fleurs à la déité du soleil, certains se baignent dans la rivière sacrée. La joie qui se diffuse dans cette procession est indescriptible. Les photos que j’ai faites ce jour-là sont pour moi parmi les plus précieuses de ma carrière.

La photographie révèle la profondeur de l’expérience humaine. Inge Morath nous propose ici de produire des œuvres pour qu’elles soient de véritables miroirs de la vie. 

Photo Inge Morath - Agence Magnum

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3. L’innovation et la découverte 

Je suis toujours à la recherche de quelque chose de nouveau et d’inattendu. Je veux trouver des images qui soient à la fois belles et significatives.
— Inge Morath

Le fond et la forme sont indissociables. Une belle photo pour Inge Morath, c’est une photo significative, qui a donc du sens.

La photographie devient alors une occasion, non seulement de représenter une réalité, mais également de sortir de notre zone de confort. Le but d’une image est de chercher constamment des perspectives nouvelles et inattendues, afin de transmettre un message, de partager une histoire ou un regard sur son sujet.

Cette pulsion d’amélioration rend la photographie unique et puissante. Cela nous rappelle que l’acte de photographier n’est jamais statique, que nous devons aller chercher les photos, creuser pour trouver un sujet, et être ouvert à l’aléatoire, à l’inattendu. La photographie évolue avec notre propre expérience et notre courage artistique. Au-delà d’un miroir de la vie, la photographie est une fenêtre vers des possibilités de découverte et de compréhension de l’autre. 

Photo Inge Morath - Agence Magnum

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4. L’oeil et l’âme

La photographie est un phénomène étrange... Vous faites confiance à votre œil mais ne pouvez vous empêcher de révéler vos émotions et pensées secrètes.
— Inge Morath

La photographie est une extension de notre regard, et donc, de notre personnalité la plus profonde. Chaque cliché lie intimement le regard objectif de la caméra et la vision subjective du photographe.

Cette dualité définit la puissance de la photographie. Elle est à la fois une quête d’authenticité et une interprétation très personnelle du monde qui nous entoure. Ce n’est pas seulement ce que vous voyez qui compte dans une photographie, mais comment vous le voyez, comment vous interprétez ce moment à travers votre propre prisme émotionnel.

Chaque image devient un témoignage visuel, mais aussi un reflet profond de notre propre humanité, de nos aspirations et de nos émotions. On photographie qui on est.

Photo Inge Morath - Agence Magnum

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5. Le plaisir de la création

Déclencher une photo est resté un moment de reconnaissance joyeuse, comparable à l’enchantement d’un enfant sur la pointe des pieds et qui soudainement, dans un petit cri de plaisir, étend son bras vers un objet désiré.
— Inge Morath

Dans un univers saturé par la compétitivité dans les domaines de l'art et du commerce, il est aisé de perdre de vue le bonheur pur et intangible qui émane du simple acte créatif. Dans ce contexte, où la photographie est souvent cantonnée à sa valeur commerciale ou à sa perfection technique, les mots d'Inge Morath agissent comme une bouffée d'air frais. Ils nous rappellent que la simple action de prendre une photo peut et doit demeurer un plaisir, un moment d'émerveillement et de connexion intime avec notre environnement et avec nous-mêmes.

J’ai eu la chance de voyager pour ma photographie, et parfois j’ai une connexion avec un lieu qui se développe et qui devient puissante, charnelle. Je ressens une énergie merveilleuse à New York à cause de son effervescence. J’ai trouvé à Salvador des gens qui sont totalement dans l’instant présent, et qui montrent une générosité et une empathie infinie. Parfois, un endroit vous touche au cœur, et vous ne savez pas vraiment expliquer pourquoi. C’est un émerveillement qui vient parfois de l’enfance ou d’une expérience particulièrement émotionnelle. Quand je reviens dans les marais salants de Guérande, je retrouve ce sentiment.

C’est une invitation à réfléchir plus profondément sur le sens de notre pratique. Les photos que nous prenons ne sont pas de simples représentations visuelles, elles sont le reflet de notre joie, de notre curiosité, et de notre quête incessante de beauté et de vérité.

Photo Inge Morath - Agence Magnum

Photo Inge Morath - Agence Magnum

Photo Inge Morath - Agence Magnum

L'œuvre et la philosophie d’Inge Morath offrent une feuille de route pour une pratique photographique plus consciente et humaine. Elles nous rappellent que la prise de vue est un langage, un mode d’exploration ou encore une forme d’expression émotionnelle. Elle nous pousse à prendre des risques, à être authentiques et, par-dessus tout, à prendre du plaisir. 

La sensibilité et l’intuition de Morath a réussi à transcender les barrières culturelles et émotionnelles pour toucher l’essence même de l’humain. À travers ses leçons, elle nous encourage à faire de même et à transformer chaque déclenchement en une forme d’amour, de curiosité et de dévouement.

Son héritage perdure encore aujourd’hui. Et si nous sommes prêts à écouter, à apprendre et à mettre en pratique ses enseignements, nous enrichirons notre propre art, mais nous contribuerons probablement à un monde plus empathique et compréhensif, comme elle l’a elle-même fait. 

Inge Morath a su utiliser son objectif pour comprendre et célébrer la vie dans toute sa splendeur et sa complexité. N’est-ce pas là, finalement, la plus grande leçon de toutes ? 

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Histoire Genaro Bardy Histoire Genaro Bardy

Les rêves adolescents

Paris, Mai 2023

Je suis tombé dans la photo par hasard.

Que fait-on de ses rêves d'adolescent ? On les avale, on les vomit. On les ravale, et on oublie.

À 20 ans, je suis sur le point d'être diplômé d'une école de commerce que j'ai choisie pour être avec mes amis. Stage de fin d'études, marketing, réunions, stratégies pour des hôtels du groupe Accor. Et le week-end, je ne rêve que d'une chose : à la prochaine rentrée scolaire, je suis inscrit en 1ere année de Cinéma à Paris 8. Je vais être cinéaste.

Pourquoi nous pousse-t-on à poursuivre des études ? Pour assurer nos arrières. "Au cas où". Mais je ne veux pas assurer mes arrières. Si je tombe, je veux tomber en avant, la tête la première.

Ça a fait splash. Traumatismes de l'enfance, trop de drogues, dépression, thérapie. Mon derrière dans le canapé, une télécommande à la main.

À 25 ans, j'ai faim. Et pour payer les pâtes il faut bosser. Alors je commence par ceux qui prennent tout le monde : porte à porte dans des pavillons de banlieue pour vendre des alarmes. Toujours pauvre et en surpoids, mais au moins je suis bronzé.

De sauts de puces en CDI, j'atterris commercial pour un studio de... photographes. C'est là que j'ai pris le virus, hein ? Elle est bientôt finie cette histoire ? Nada. Rien. Je vendais des shootings, mais j'ai jamais touché un boîtier. En revanche, ça m'a servit plus tard, pour devenir professionnel.

Mon premier appareil photo m'était offert par les collègues d'EuroRSCG, alors que je m'étais fait lourdé avec une violence extrême. Pas la faute à Havas, mais à ma boss qui n'avait que moi pour passer ses nerfs et son incompétence. Les copains d'Euro, je vous ai pour toujours dans mon cœur.

Avec mon chèque cadeau en main, je m'avance dans les allées de la FNAC des Ternes. Et là, devant moi... un Pentax K200. La liberté retrouvée. Et les rêves d'adolescents qui remontent à la surface. La suite, dans cette vidéo :

Cliquez ici pour rejoindre le programme : 5 Semaines pour Maîtriser la Photo de Rue

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Une histoire de fin d’été

Rue de Johannesburg

Rue de Johannesburg

6 mois après mon installation au Brésil, et après 5 ans de paysages et de Villes Désertes, je veux revenir à mes premières amours en photographie et me concentrer sur la photo de rue.

Je fais ce que je sais faire : un blog. Et je conçois les ateliers de photographie sur deux jours où nous travaillons la pensée visuelle, la symbolique et des exercices créatifs pour commencer un projet personnel.

Mais 2020 n'est pas 2010. Très peu de monde lit effectivement les articles, tout ou presque passe par la vidéo.

12 mars 2020. Je perds tous mes clients, agences de voyages, magazine, réseau d'agents de voyages, voyages photo.

Je donne rdv un soir sur Facebook, je mets mon téléphone sur un trépied. On prend sa respiration, appuyer sur "Record", c'est parti pour le direct. Caméra selfie pour causer, caméra normale pour filmer mon écran et montrer des photos.

Pendant dix lives, écris la veille de nuit parce que Tom a 1 an et Fernanda est enceinte de 7 mois, j'improvise. Exercices créatifs, analyse de photos. Ça plaît au gens.

Et si je faisais payer pour ça ? Ok, c'est parti pour L'Étincelle. Les photographes progressent, parfois de manière spectaculaire. Le seul problème, mais de taille : quand je ne suis pas en direct, je ne sais pas faire des vidéos que les gens ont envie de regarder... Et je n'ai pas encore de programme de formation sur ce que j'aime le plus au monde : la photo de rue.

Après 1 an sur Youtube, j'ai appris deux trois trucs. Notamment à monter, mais surtout à raconter des histoires pour lesquelles les photographes veulent bien me donner 5 minutes de leur temps. Alors quand l'été arrive, je n'ai qu'un seul objectif : proposer à la rentrée un programme de formation à la photo de rue complet, passionnant, pour tous les niveaux, avec la participation aux ateliers de L'Étincelle pour avoir un retour sur sa production de photos.

Depuis 3 mois j'ai conçu, écrit, tourné, monté et préparé ce programme et les 15 vidéos de formations. Certaines sont  mes meilleures vidéos, parce que je les ai produites avec l'expérience d'un an de Youtube... et la veille de l'automne, ce programme sera disponible. Le 20 septembre à 20h, je vous parle du programme "5 Semaines pour Maîtriser la Photo de Rue".

Mais surtout, je vous donnerai en direct 5 clés pour progresser en photographie de rue, quelque soit votre niveau et votre expérience.

J'espère que le 20 septembre 2023 sera le point de départ pour vous, comme il l'a été pour moi il y a exactement 5 ans, quand je décidais de m'installer dans un autre hémisphère, dans un pays dont je ne parlais pas la langue, pour fonder une famille avec la femme de ma vie que je connaissais à peine. Et pour ma photo, je décidais de ne faire que ce que j'aime : la photo de rue.

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5 leçons, Henri Cartier Bresson Genaro Bardy 5 leçons, Henri Cartier Bresson Genaro Bardy

5 leçons de photographie avec Henri Cartier-Bresson

Henri Cartier-Bresson est un photographe légendaire, photojournaliste et dessinateur français. Connu pour la précision et le graphisme de ses compositions, il s'est surtout illustré dans la photographie de rue, la photographie documentaire et la représentation des aspects particuliers ou signifiants de la vie quotidienne. Avec Robert Capa, David Seymour, William Vandivert et George Rodger, ils fondent en 1947 l'agence coopérative Magnum Photos.

C’est probablement le photographe le plus mondialement connu, il a inspiré des générations de grands photographes. Je ne crois pas avoir étudié un photographe qui ne le cite comme référence. Henri Cartier-Bresson est le grand maître des grands maîtres, et je n’ai probablement pas besoin d’en dire beaucoup plus.

Je n’ai pas pour objectif de vous présenter le travail ou l’histoire d’Henri Cartier Bresson. Simplement, je vous propose 5 citations d’Henri Cartier Bresson, parfois très connues, commentées. J’ai décidé de scinder cet article en deux, et après le premier sur la composition, voici le second avec des considérations plus générales sur la pratique de la photographie.

5 leçons de photographie avec Henri Cartier Bresson

  1. Aligner la tête, l’œil et le cœur

Photographier, c’est reconnaître – simultanément et en une fraction de seconde – à la fois le fait lui-même et l’organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui lui donne sens.

Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur.
— Henri Cartier-Bresson

Photographier, c’est d’abord et surtout mettre ce que l’on voit dans un cadre, et cela a des conséquences. Henri Cartier-Bresson dit ici parfaitement que photographier, c’est d’abord reconnaître le fait lui-même. J’ai vu quelque chose qui m’intéresse, pour des raisons personnelles.

Et, au même moment, je sais reconnaître ce que ça va donner quand c’est mis dans un cadre, ce que Henri Cartier Bresson appelle l’organisation rigoureuse des formes : quels éléments ? quel positionnement dans le cadre ? comment le cadre est structuré ?

Au même moment, ce que j’ai vu qui m’intéresse correspond à un cadre structuré et organisé. Ce cadre visuel ou cette forme “donne sens” au fait, à ce que j’ai vu. Parce que chacun verra des faits différents (la tête) ou trouvera une esthétique (l’oeil) dans des structures de cadre différentes, tout cela s’aligne avec le cœur, et devient personnel.

2. Le choc émotionnel

Si il n’y a pas d’émotion, si il n’y a pas de choc, si on ne réagit pas à la sensibilité, on ne doit pas prendre une photo, c’est la photo qui nous prend.
— Henri Cartier-Bresson

Je suis partagé par rapport à cette fameuse citation de Henri Cartier Bresson. En premier lieu, c’est une réalité indéniable, certains moments s’alignent parfaitement et parfois je sais que j’ai une photo remarquable à la prise de vue, quand je déclenche. Ainsi, c’est cette photo exceptionnelle qui me prend, qui m’aspire vers elle.

Et en même temps, je suis gêné avec ce bout de phrase : “on ne doit pas prendre une photo”. Pour moi, cela concerne uniquement les photographes qui ont beaucoup d’expérience et qui savent reconnaître quand un déclenchement n’est pas nécessaire. Pendant longtemps, en tout cas pour la phase d’apprentissage, je pense que l’essai permanent est plus utile. Je crois qu’il est nécessaire de beaucoup voire trop déclencher pour essayer des choses, gagner en expérience, pour “voir ce que ça donne en photo” comme le dirait Garry Winogrand.

La pratique de la photographie est une recherche d’une photo exceptionnelle, c’est une succession d’échecs, de tentatives. Évidemment, la volonté de déclencher répond à une sensibilité, une émotion du photographe. On photographie des faits ou des personnes qui nous sont importants, ou du moins qui répondent à une curiosité. Mais, s’il vous plait n’attendez pas que le choc d’une seule photo vous fasse déclencher, ou alors vous ne gagnerez jamais l’expérience de ces milliers de photos qui fonctionnent moins bien.

3. Faire rentrer la photo dans sa vie

Pour moi, l’appareil photo est un carnet de croquis, un instrument d’intuition et de spontanéité, le maître de l’instant qui, en termes visuels, interroge et décide simultanément.
— Henri Cartier-Bresson

Deux aspects que je trouve fondamentaux dans cette phrase d’Henri Cartier Bresson : le carnet de croquis et cette double identité d’une photo qui interroge et décide.

La photographie est un carnet de croquis, un journal de bord visuel de ce que l’on vit. Il me semble important de faire rentrer la photographie dans sa vie, dans son quotidien, et d’arrêter cette tendance que l’on peut avoir de ne photographier que ce que l’on croit être exceptionnel. Les bonnes photographies, il y en a partout et tout le temps, surtout dans le banal et le quotidien, surtout là où on ne regarde plus parce que ça nous est trop familier. Apprendre à être présent dans son environnement quotidien permet de découvrir des photos que l’on ne soupçonnait pas, tous ces moments que l’on disqualifie parce qu’on les a trop vus.

Faire rentrer la photo dans sa vie est aussi un moyen pour tout de suite produire un gros volume de photos qui vous feront progresser, si vous prenez le temps de l’analyse et de l’édition.

Enfin, une photo est un maître de l’instant qui interroge et décide en même temps. Une photographie interroge parce que le cadre exclut des éléments, et souvent les éléments que l’on ne peut pas voir dans une photo, que l’on devine parce qu’ils sont hors champ ou suggérés par le sujet de la photo, sont les éléments qui donnent toute la profondeur à une photo. J’aime une photo qui pose une question plutôt que celle qui y répond. Et en même temps, une photographie est une décision, surtout celle du photographe, de voir et montrer un sujet et une manière de le représenter visuellement.

4. Respecter le sujet

Pour « donner un sens » au monde, il faut se sentir impliqué dans ce que l’on cadre dans le viseur. Cette attitude demande de la concentration, de la discipline, de la sensibilité et un sens de la géométrie – c’est par une grande économie de moyens que l’on parvient à la simplicité d’expression. Il faut toujours photographier dans le plus grand respect du sujet et de soi-même.
— Henri Cartier-Bresson

J’aime particulièrement cette phrase d’Henri Cartier-Bresson. La photographie est d’abord une démarche personnelle, intime. C’est un rapport au monde que l’on propose en lui donnant sens. Il faut se sentir impliqué dans ce que l’on photographie. Pour moi, on doit savoir pourquoi est-ce que l’on photographie, ou au moins pourquoi est-ce que l’on montre ses photos.

La photographie est une sensibilité ET la photographie est une discipline, rigoureuse, ce sens de la géométrie et du cadre formel. Enfin la photographie est une concentration, on ne peut pas bien photographier juste en passant, à part les touristes qui ne nous concernent pas ici. C’est une présence que l’on appelle aussi “entrer dans la zone”. C’est une totale concentration vers le monde qui nous entoure, pour chercher une photo.

Enfin, Henri Cartier Bresson explique que la qualité extrême d’une photo est sa simplicité d’expression. Quand une photo est simple à lire, évidente à comprendre, son message n’en est que plus clair. Une bonne photo, c’est quand il n’y a plus rien à enlever.

5. L’arrêt esthétique

Photographier, c’est retenir son souffle quand toutes les facultés convergent face à une réalité fuyante. C’est à ce moment-là que la maîtrise d’une image devient une grande joie physique et intellectuelle.
— Henri Cartier-Bresson

Henri Cartier-Bresson retient son souffle à la prise de vue, cela m’emmène vers cet autre moment où l’on retient son souffle : devant une photo exceptionnelle, qui nous touche particulièrement. Cette relation très spéciale que l’on peut nouer avec une photo, la sienne ou celle d’un autre, ou même avec toute oeuvre d’art, est appelée par James Joycel’arrêt esthétique”. Dans mes recherches, j’ai trouvé ce commentaire de Rudolf Steiner qui décrit bien l’arrêt esthétique et les différentes fonctions d’une oeuvre d’art :

"Les arts ont cette mission très spéciale et sérieuse de nous engager sur trois fronts. L'art pornographique (qui ne signifie rien de sexuel dans ce cas) fait appel à notre volonté, à travers nos sentiments, tandis que l'art didactique fait appel à notre pensée à travers nos sentiments. Ce sont des formes d'art qui vont trop loin dans la direction du métabolisme ou de l'expérience de la volonté, d'une part, et trop loin dans le sens nerveux ou le processus de pensée, d'autre part, et qui ne résonnent pas pleinement dans le domaine du rythme et de la sensation, où l'on peut se sentir bien. Une épiphanie, comme l'appelait Joyce, dans le calme du cœur peut avoir lieu - ce que l'on appelle l'arrêt esthétique".

Ainsi, la joie physique d’Henri Cartier-Bresson relève pour moi de la volonté, alors que la joie intellectuelle relève de la pensée. Et, parfois, une photo combine les deux, et nous emmène vers une épiphanie, une photo qui nous fait retenir notre souffle. La carrière d’Henri Cartier Bresson nous a fourni quantité de photos, toutes plus exceptionnelles les unes que les autres.

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