5 leçons, Inspiration, Portraits, Projet Photo Genaro Bardy 5 leçons, Inspiration, Portraits, Projet Photo Genaro Bardy

5 leçons de photographie avec Bieke Depoorter

Originaire de Courtrai, en Belgique, Bieke Depoorter est née en 1986. La photographe a obtenu un master en photographie à l'Académie royale des beaux-arts de Gand en 2009. À 25 ans, elle a été nommée pour rejoindre L’agence Magnum, dont elle est devenue membre à part entière en 2016.

Ses premières photographies sont le résultat d'une approche unique : elle rencontre des gens par hasard et arrive à photographier dans leurs maisons et à capter leur intimité. Bieke Depoorter capture des moments indescriptibles, fragiles et intenses.

1- Proximité et authenticité

« Tout le monde sait que je pars le lendemain matin, donc nous n’avons que quelques heures ensemble. Il est plus facile de partager des secrets avec un étranger - quelqu’un que vous savez que vous ne reverrez jamais - qu’avec un ami proche que vous voyez tous les jours. Pour moi, la nuit et les gens dans leur maison ont quelque chose de spécial. Quand il fait sombre, l’atmosphère change. Les gens sont plus réels, d’une certaine manière. Dans la rue, on fait semblant d’être quelqu’un d’autre. Je le fais moi-même. Mais quand vous rentrez chez vous, le masque tombe. »
— Bieke Depoorter

Le secret de Bieke Depoorter : l’authenticité. Comment y arriver ? La proximité, l’intimité avec ses sujets… Bieke nous montre que s’immiscer dans le quotidien des gens permet de révéler qui ils sont vraiment. Chez soi, on ne porte plus de masques, il n’y a plus de prétentions, de paraître, nous pouvons être qui nous sommes réellement.

C’est probablement une démarche qui peut faire le plus peur pour des photographes, mais tout comme je vous conseillerai en photographie de rue de commencer à aller parler à des inconnus si vous voulez progresser, si vous êtes intéressés par la photographie documentaire, commencez par frapper à la porte de vos voisins et proposez leur une séance de photos chez eux ou un reportage dans leur activité professionnelle. Vous serez surpris de la facilité avec laquelle les gens acceptent.

C’est exactement la démarche que j’ai proposé à Élodie Sauvage Pieri dans mon groupe de Mentorat l’année dernière, alors que la France était sous couvre-feu, et le résultat fut remarquable.

Photo © Bieke Depoorter

Photo © Bieke Depoorter

2- Gagner la confiance de ses sujets

« Je voulais essayer de trouver la confiance dans un endroit où il n’y a pas de confiance. J’avais vraiment l’impression que les gens protégeaient leur vie privée. Ils sont amicaux dans la rue, mais ils ne vous inviteraient pas chez eux. Nous voyagions ensemble dans de petites villes et marchions toute la journée jusqu’à ce que nous trouvions quelqu’un qui nous fasse confiance et à qui nous faisions confiance. Puis, une fois que nous étions d’accord pour que je passe la nuit sur place, elle me laissait tranquille. »
— Bieke Depoorter

Toute photographie en dit autant sur le ou la photographe que sur le sujet qui est montré. En portrait, le résultat est la conséquence directe de la relation que vous allez établir avec les personnes que vous rencontrerez. Dans la grande majorité des cas, vous ne connaîtrez pas les personnes avant de commencer à les photographier.

Personnellement, pour établir la confiance, je demande simplement quelle est l’histoire de la personne, qu’est-ce qui l’a amené ici ou là, et je suis très attentif à la réponse. Je crois que la confiance se gagne par la preuve, en étant sincèrement intéressé par la personne et curieux de qui elle est. Pour bien voir, il faut parfois savoir écouter.

Photo © Bieke Depoorter

Photo © Bieke Depoorter

Photo © Bieke Depoorter

3- La réalité est plus lumineuse une fois la nuit tombée

« - Quel est votre rapport à la nuit ?

“Je pense que c’est le moment de la journée où on fait ressortir sa véritable identité́. Moi y compris. Je vois le monde différemment quand le soleil est couché. D’ailleurs, je ne prends presque plus de photos le jour.”

- C’est contradictoire avec l’étymologie du mot “photographier” : “écrire avec la lumière”.

“C’est vrai. Mais pour moi la réalité est plus lumineuse une fois la nuit tombée. »
— Bieke Depoorter

Rien ne remplace la nuit, d’abord pour tout ce qu’elle contient de symbolique, il va sans dire que c’est la nuit qui révèle notre part d’ombre. La lumière ne serait rien sans l’ombre qu’elle crée, de la même manière la nuit sublime toutes les sources de lumière et montre la face cachée de l’humanité. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le “monde de la nuit”.

Photo © Bieke Depoorter

Photo © Bieke Depoorter

Photo © Bieke Depoorter

4- Photographier ses émotions

« - Des influences et des inspirations ?

“Ce qui est bien est que mes parents n’aiment pas l’art et que, jusqu’à l’âge de 18 ans, je n’ai jamais visité de musée. Je n’avais donc pas d’idées préconçues avant de commencer à prendre des photos. Je photographie simplement comme je le sens. Cela peut paraître cliché, mais ce sont les petites choses de la vie qui continuent de m’inspirer. »
— Bieke Depoorter

Voici le meilleur conseil : écouter ses envies, ses émotions. Cela permet d’affirmer son style et de faire ressortir sa personnalité. La vie doit vous inspirer, autant que les grands maîtres de la photographie. L’inspiration vient d’abord de vous-même, car la photographie est une pratique essentiellement intuitive.

(Même si je vous conseillerai toujours de connaître l’histoire de la photographie et ceux qui sont passés avant vous ;) )

Photo © Bieke Depoorter

Photo © Bieke Depoorter

Photo © Bieke Depoorter

5- Considérer les gens comme des acteurs et non des sujets

« Le projet en Égypte en 2011 m’a transformé. Le fait de photographier, moi l’Européenne, ce peuple en pleine révolution m’a fait prendre conscience du regard que je pose et qui est forcément biaisé parce que c’est le mien. Ensuite, à Sète et avec le court-métrage que j’ai réalisé́ en Norvège en 2015, j’ai fini par accepter de considérer les gens que je prenais en photo comme des acteurs, et pas comme des sujets. »
— Bieke Depoorter

Depuis quelques années, je parle toujours des personnes dans mes photographies comme étant des personnages. Quel est le langage du corps ? Qu’est-ce qu’ils ont l’air de faire ou de penser ? Même si ce n’est pas conforme à la réalité de ce que je connais du sujet ou de la scène, la seule chose qui importe est ce que montre la photo et ce que ressent le spectateur en étant mis face à ce personnage.

Prendre chaque sujet comme un personnage ouvre également des possibilités infinies dans les techniques narratives pour construire une série de photographies ou un projet.

Photo © Bieke Depoorter

Photo © Bieke Depoorter

Photo © Bieke Depoorter

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La composition émotionnelle de Larry Fink

Larry Fink est un photographe passionnant, mais je le connais plus comme un éducateur fascinant. Les fulgurances de ces réflexions et sa pratique de la photographie avec une attention particulière à son côté kinesthésique, aux atmosphères ou au langage du corps, donne une matière infinie à la réflexion et à la poursuite de photographiques qui soient plus “physiques”, qui vous rendront plus présent dans vos photos.

Si cette introduction est trop cryptique, le mieux est de laisser la parole au maître Larry Fink, dans un texte issu de son livre On composition and improvisation, que je vous recommande vivement si vous lisez l’anglais.

La composition émotionnelle

« Une fois que vous arrivez à un endroit et que vous comprenez ce que vous ressentez à l’intérieur, comment vous vous y connectez, comment traduisez-vous cela dans votre photographie ? La photographie est composée de bien plus que seulement le sujet. Elle se construit avec l’esthétique et avec les outils techniques de l’appareil photo, qui vous permettent de créer, sous la forme physique d’une photographie, un chemin scintillant vers la communication de ce qui est essentiellement et entièrement dans votre tête, dans votre pensée.
Bien que la mise au point, la profondeur de champ et la vitesse d’obturation soient des termes techniques, ils sont également à votre disposition pour des raisons émotionnelles. Vous les utilisez souvent, en travaillant la mise au point ou la profondeur de champ tour à tour, pour voir combien de façons différentes vous pouvez interpréter la nature sensorielle de l’expérience qui se place devant vous.
Si je pensais d’une femme que je photographiais, “C’est la femme la plus sensuelle que j’aie jamais vue de ma vie, et tout ce que je veux faire, c’est donner l’impression qu’il n’y a pas de frontière entre nous, qu’il n’y a pas d’interruption”, j’utiliserais une profondeur de champ très courte pour que l’arrière-plan disparaisse et qu’il n’y ait rien de net à part elle. La photo montrerait cet amour que je ressens. »
— Larry Fink

Une photographie est le reflet de l’âme du photographe, autant que l’interprétation d’un sujet. Une photographie en dira toujours beaucoup plus que vous ne croyez sur votre état d’âme, sur ce que vous pensez du sujet que vous photographiez. On photographie qui on est.

Mary, New York City 1958 - Photo Larry Fink

« Cependant, si je pensais que cette femme était une intellectuelle menaçante et que je n’avais avec rien d’autre qu’un désir d’information didactique, je dirais: “Oh, laissez-moi la rendre complexe et pédante dans certaines parties du puzzle”, et j’utiliserais une plus longue profondeur de champ, mettant davantage l’arrière-plan au point.
Je trouverais un moyen d’incorporer différents types de structures rythmiques et arythmiques dans le cadre afin qu’elle ne devienne rien d’autre qu’une partie d’un événement menaçant. Dans ce cas, j’utilise la mise au point, ainsi que la composition et la profondeur de champ, comme un outil émotionnel. »
— Larry Fink

Ce que vous mettez ou ignorez dans le cadre a un sens, participe de l’émotion générale que transmet votre photographie. Utilisez les propriétés représentatives de la photographie comme le focus, l’instant, le cadre et la planéité, pour transmettre du sens ou un message.

Aga, Thierry Mugler Haute Couture, Paris Jan 1998 - Photo Larry Fink

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5 leçons de photographie avec Alec Soth

Alec Soth (né en 1969 à Minneapolis, Minnesota) est un photographe américain. Alec Soth est avant tout un artiste, ses travaux sont représentés par la Gagosian gallery à New York et la Weinstein Gallery à Minneapolis, il est membre de l’agence Magnum depuis 2004. Je suis heureux de vous donner aujourd’hui un aperçu de son travail en présentant des travaux assez différents, en regard de commentaires sur la pratique de la photographie qu’Alec Soth a pu proposé dans des interviews.

Son livre Niagara tremble encore sur mon étagère du choc émotionnel que j’ai reçu en tournant ses pages, c’est avec une infinie admiration et humilité que je vous propose aujourd’hui 5 leçons de photographie avec Alec Soth.

La photographie inspire la curiosité

« Pour moi, les meilleures photographies inspirent toujours la curiosité, plutôt que de la satisfaire. Je pense que cette ambiguïté est l’un des aspects les plus passionnants de ce médium. Une photographie n’est qu’un fragment infime d’une expérience, mais un fragment précis, détaillé et révélateur. Et même si elle ne fournit que de petits indices, le photographe nous dit que ce sont des indices très importants. »
— Alec Soth

la photographie vise avant tout à attiser notre curiosité, à nous inspirer, plus qu’à assouvir notre besoin de tout comprendre, de tout savoir. La photographie immortalise un instant, un lieu, l’expression d’un visage, mais l’interprétation d’un cliché sera différente pour chacun. Composée d’une série d’indices, la photographie est là pour laisser libre cours à notre imagination ou initier le début d’une enquête. Une photographie réussie est inspirante parce qu’lle donne envie d’en savoir plus.

Photo Alec Soth

Photo Alec Soth

Photo Alec Soth

La photographie offre un point de vue unique et différent

« Ce que je trouve particulièrement intéressant dans ces portraits, c’est qu’en tant que photographe, vous étiez naturellement attiré par les personnages les plus “exotiques” - évangélistes, masseurs érotiques, prostituées, meurtriers, travestis - mais vous avez réussi à transmettre leur normalité, leur dignité, leur sens général de l’humanité. Au lieu d’exploiter leurs particularités, d’en faire des spécimens de bizarrerie ou d’extrémisme, vous offrez un point de vue beaucoup plus respectueux et indépendant ; le spectateur est encouragé à éprouver de l’empathie pour les sujets, plutôt que de les regarder comme des monstres de foire. N’utilisez-vous pas vous-même une sorte de “non-accent de journaliste”, en normalisant l’exotique plutôt qu’en exotisant le normal ? »
— Alex Soth (Entretien avec Aaron Schuman)

Une photo n’est pas simplement quelque chose que l’on regarde en tant que témoin ou spectateur. Sans qu’un jugement soit nécessaire, une photographie est aussi un point de vue, une “manière de voir” le monde ou des personnages. La photographie nous invite à éprouver de l’empathie, à remettre les choses en question, à explorer et à comprendre ceux qui acceptent de nous laisser prendre une photo. Les portraits que vous pourrez réaliser seront toujours un reflet de la relation que vous pourrez établir avec vos sujets, ainsi la pratique du portrait ne peut se faire qu’avec ouverture d’esprit et compassion.

Photo Alec Soth

Photo Alec Soth

Photo Alec Soth

Photo Alec Soth

La photographie est proche de la poésie

«  La photographie a tendance à être plus fragmentée. C’est plus proche de la poésie que de l’écriture d’un roman (...). Comme la photographie, la poésie est tout en suggestion - il s’agit de laisser une place au lecteur/spectateur pour combler ses lacunes.
 »
— Alec Soth

La photographie, selon Alec Soth, est un acte de poésie. La poésie laisse place à l’imagination, à la créativité, alors que dans un roman le chemin est tout tracé. La photographie suggère, pousse à l’interrogation, à la remise en question et à l’ouverture d’esprit. Ce qui compte est autant ce qui est montré dans le cadre que ce qui en est exclu. Enfin, une poésie transporte, nous emmène dans des sensations nouvelles ou étrangères, uniquement par l’esthétique formelle de sa contruction.

Photo Alec Soth

Photo Alec Soth

Photo Alec Soth

Photo Alec Soth

La créativité est la clé de la réussite

« Ce que j’aime dire, c’est que si vous voulez être un artiste, si vous voulez être une personne créative, alors vous allez devoir être créatif dans la façon dont vous organisez votre carrière. Il n’y a pas de chemin tout tracé. Une partie de la créativité consiste à créer votre chemin.

(...) Le seul conseil que j’ai à donner est d’essayer autant de voies différentes que possible. Suivez un cours d’art, assistez un photographe commercial, étudiez par vous-même. Si l’une de ces voies vous interpelle plus qu’une autre, voyez où elle vous mène.

En bref : essayez tout. Le photojournalisme, la mode, le portrait, le nu, peu importe. Vous ne saurez pas quel genre de photographe vous êtes tant que vous n’aurez pas essayé. Pendant les vacances d’été (à l’université), j’ai travaillé pour un photographe de studio “Born-Again”. Toute la journée, on photographiait des chaussettes et on écoutait une radio chrétienne. Cet été là, j’ai appris que je n’étais ni un photographe de studio, ni un chrétien Born-Again. »
— Alec Soth

La photographie ne doit pas se fermer dans une pratique en n’essayant rien de nouveau. Je me suis longtemps défini comme un photographe limace, qui laisse sa bave partout. Comment savoir si une pratique vous plaît si vous ne vous sentez pas légitime pour l’approcher ? Explorer les genres photographiques, des projets radicalement différents ou des clients dans des domaines opposés a toujours excité ma curiosité. Je ne veux pas seulement pratiquer la photographie, je veux faire rentrer la photographie dans ma vie, et pourquoi pas toutes les photographies, avant de choisir ce que je pourrai en faire.

Photo Alec Soth

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L’authenticité pour se différencier

« Les jeunes photographes se demandent toujours : “ Comment faire connaître mon travail ? Comment m’établir, comment me faire connaître ?”. Comment trouver un équilibre entre l’ambition absolue nécessaire pour réussir et la présence de chaque instant qu’exige la photographie ?

“Il y a plusieurs façons de se faire une réputation, mais la seule façon satisfaisante est de faire un travail à la fois exceptionnel et authentique. Et la seule façon d’y parvenir est d’être aussi présent que possible dans le processus. Vous ne pouvez pas le faire si vous ne pensez qu’aux récompenses (ou aux échecs) à venir. »
— Alec Soth

Rester simple. Authentique. Être ou devenir soi-même. Tout simplement. Se différencier, être unique, être naturel, entrer dans le processus avec envie, détermination, sans penser au résultat mais en prenant plaisir au procédé lui-même. N’essayez pas d’atteindre un autre objectif que celui de prendre du plaisir à la photographie qui se présente à vous maintenant.

Photo Alec Soth

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L’esprit du lieu

Salvador, Bahia - Jan. 2022 - Photo Genaro Bardy

À nouveau, je passe le plus clair de mon temps à la maison. La faute à Omicron et à mes ambitions. Si je veux les satisfaire, je dois passer ce temps à développer mes activités derrière un ordinateur. Cela me donne le temps de passer au moins 2 heures par jour à simplement jouer avec mes enfants avant qu’ils n’aillent à l’école, car un jour il faudra bien nous séparer. Mais cette situation m’empêche aussi de simplement sortir et “aller voir”, de prendre un quartier au hasard à Salvador et d’aller y poser un regard.

Pendant presque 18 mois, je me donnais toujours un objectif dans mes sorties en photographie de rue, parce que j’avais décidé d’écrire un livre pour lequel j’ai su assez vite que je voudrais parler de mon rapport à ce lieu où notre famille s’est rencontrée et construite : Salvador. Aujourd’hui, je n’ai plus cette contrainte, car le livre est écrit et publié. Pourtant, je continue à sortir et explorer autant que je peux, pour aller chercher des photos, mais surtout pour me plonger dans l’esprit du lieu.

Qu’est-ce qui nous rattache à un endroit ? Qu’est-ce qui caractérise l’émotion que nous ressentons quand nous redécouvrons un lieu que nous aimons ? Cette question est fascinante parce qu’elle est double. Cela dépend toujours du lieu lui même, comment il s’est construit, ce qui le compose, le climat qui l’entoure et le peuple qui l’habite. Et puis, cela dépend avant tout du regard que l’on veut bien poser dessus. L’émotion que je ressens devant un lieu dépend d’abord de moi, le regard que je pose est en réalité un voyage intérieur.

Dans mes explorations, j’ai découvert que ce qui nous rattache à un lieu dépend de son histoire et en même temps de notre histoire, de ce que nous y avons vécu. Rien ne remplace dans mon esprit le lieu sacré où j’ai grandi, son odeur, le vent salé, la mine renfrognée par la brume et le sourire du cœur des gens de Guérande. Justement, c’est ainsi parce que l’esprit du lieu dépend de ce que nous y avons fait et de ce que nous y faisons. C’est un lieu commun, ce qu’y font les adultes en essayant d’organiser le bordel ambiant et ce qu’y font les enfants en poussant les portes et les cris, ce que font ces générations définit leur rapport au lieu.

Le monde est un inextricable bordel et nous ne pourrons rien y faire au delà de notre cercle, autant l’accepter. Notre cercle, c’est là où nous posons notre regard. Et, si je décide de poser un regard neuf, d’accepter ce qui m’entoure, alors , parfois, j’arrive à le rendre beau dans un cadre au 1/125e de seconde. J’ai alors trouvé l’esprit du lieu, qui n’est en réalité que mon esprit et mon émotion que je projette. L’esprit du lieu dépend autant de moi que de ce qui le compose.

Comment vous en rendre compte par vous même ? Prenez un lieu familier, exactement là où vous résidez, et partez dans 7 directions différentes pendant une semaine, en marchant pendant 1/2h, puis en revenant, et essayez de prendre une bonne photo par jour. En sept photos, vous aurez l’esprit du lieu.

Autre méthode. Prenez un lieu au hasard sur une carte autour de là où vous êtes, dont le nom vous inspire ou pour une raison fantasque. Passez 2h et essayez de capter l’esprit du lieu, qui comme nous l’avons vu dépend aussi de ceux qui y vivent. Prenez autant de portraits que de paysages et assemblez des diptyques, pour faire se correspondre le lieu avec ceux qui y vivent. Probablement qu’après, vous ne regarderez plus jamais ce lieu comme un autre, pour ce que vous y aurez accompli.

L’esprit du lieu, c’est notre esprit dans ce lieu qui se présente à nous.
On photographie qui on est.

Salvador, Bahia - Jan. 2022 - Photo Genaro Bardy

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5 conseils aux photographes émergents avec Martin Parr

Je suis un admirateur de Martin Parr, et j’ai trouvé dans cette récente vidéo le maximum de sagesse que l’on puisse condenser en 3 minutes et 7 secondes. Martin Parr y développe ses principaux conseils à des photographes émergents ou qui aspirent à devenir professionnels, et j’ai décidé de la traduire sans autre commentaire pour vous en proposer sa substantifique moëlle.

Vous allez probablement échouer

“À moins que vous n’ayez une obsession, au point que ce soit presque une maladie, vous ne réussirez pas.

Si vous n'avez pas cette obsession, trouvez un travail, dans un bar où ce que vous voulez. Ou alors, vous pouvez garder la photographie dans votre vie, mais il sera très improbable de gagner sa vie avec.”

- Martin Parr

Trouvez une bonne connection avec le monde qui vous entoure

“C’est la qualité de cette connection qui est vraiment importante. Vous devez trouver un sujet sur lequel vous allez travailler, un sujet qui vous tient à cœur et trouver un moyen de l’exprimer et d’en parler.

En espérant que cela vous donne le momentum de manière à ce que vous obteniez de bons travaux. C’est votre responsabilité de trouver le bon sujet.”

- Martin Parr

Apprenez l’histoire de la photographie

Vous devez beaucoup observer et apprendre d’autres photographes. Vous devez apprendre l’histoire de la photographie et trouver des enseignements dans ce que ces photographes ont accompli. Puis vous pourrez appliquer cela à votre propre travail.

En faisant ça, vous pourriez avoir l’opportunité rare de développer votre propre voix ou style et vous pourriez devenir un(e) photographe avec sa voix particulière.

- Martin Parr

Identifiez votre style

La plupart des gens échouent parce que ça a l’air extrêmement simple. Vous prenez un appareil, vous n’avez même plus besoin de travailler votre exposition, et juste en faisant ça beaucoup pensent qu’ils ont du mérite. Mais on doit être capable de voir une de vos photos et de savoir tout de suite que c’est VOUS qui l’avez prise et pas quelqu’un d’autre.

- Martin Parr

Les bonnes photos sont (très) rares

Quand on est dehors avec un appareil, on espère que c’est un de ces jours où l’on prend une de ces photos exceptionnelles, mais ça n’arrive pas souvent. La plupart du temps, on est déçu, mais il faut être prêt pour cette possibilité, pour ce moment où une bonne photo va apparaître. Mais pour arriver à ça, il faut accepter de prendre beaucoup de mauvaises photos. On a beaucoup plus de mauvaises photos que de bonnes photos.

Parfois on se déplace, on se documente et on est là où il faut. Mais le problème en photographie c’est qu’il faut être là avant que l’événement n’arrive. Vous ne pouvez pas être là après que ça arrive.

Et il faut continuer à sortir, jour après jour, et prendre beaucoup de mauvaises photos avec l’obsession de trouver ces photos exceptionnelles. On a probablement pas plus de 10 photos exceptionnelles dans une année, et c’est déjà réussi d’en avoir 10, c’est incroyable. Il y a beaucoup d’années où Martin Parr dit n’avoir qu’une seule bonne photo.

C’est difficile de définir ce que constitue une bonne photo, mais quand on en voit une on le sait.

- Martin Parr

Photos Martin Parr / Magnum Photos



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11 citations sur la photographie de rue - Streetwise

11 photographes, 11 citations, 22 photos issus du livre Streetwise de l’agence Magnum. Difficile de commencer par quelqu’un d’autre :

Henri Cartier Bresson

« C’est une illusion de croire qu’une photo est faite avec un appareil... Elles sont faites avec l’œil, le cœur et la tête »
— Henri Cartier Bresson

Mexico, 1963 - Henri Cartier Bresson - Magnum Photos

Mexico, 1963 - Henri Cartier Bresson - Magnum Photos

Gueorgui Pinkhassov

« La seule chose qui compte est la curiosité »
— Gueorgui Pinkhassov

Gueorgui Pinkhassov / Magnum Photos

Gueorgui Pinkhassov / Magnum Photos

Herbert List

« Les photos que j’ai prises spontanément étaient souvent plus puissantes que celles que j’ai composées avec soin. J’ai saisi leur magie juste en passant »
— Herbert List

Herbert List / Magnum Photos

Herbert List / Magnum Photos

Christopher Anderson

« Je recadre de manière conséquente, pour éliminer toute information de contexte. J’essaye d’être conscient émotionnellement des personnes que je photographie »
— Christopher Anderson

Christopher Anderson / Magnum Photos

Christopher Anderson / Magnum Photos

Sergio Larrain

« Ne forcez jamais les choses, sinon l’image perdrait de sa poésie. Suivez votre instinct et rien d’autre »
— Sergio Larrain

Sergio Larrain / Magnum Photos

Sergio Larrain / Magnum Photos

Bruno Barbey

« Je suis rarement immobile, toujours en mouvement »
— Bruno Barbey

Bruno Barbey / Magnum Photos

Bruno Barbey / Magnum Photos

Elliott Erwitt

« J’observe, j’essaye de divertir, mais je veux avant tout des photos qui ont une émotion »
— Elliott Erwitt

Elliott Erwitt / Magnum Photos

Elliott Erwitt / Magnum Photos

Nikos Economopoulos

« Quelle que soit l’histoire, elle doit être contenue dans chacune des images individuelles »
— Nikos Economopoulos

Nikos Economopoulos / Magnum Photos

Nikos Economopoulos / Magnum Photos

Bruce Gilden

« Aucune importance si vous êtes un caïd ou une femme au foyer. Le sujet est ce à quoi vous ressemblez - comment vous vous habillez, la forme de votre visage ou votre coiffure folle »
— Bruce Gilden

Bruce Gilden / Magnum Photos

Bruce Gilden / Magnum Photos

Bruce Davidson

« Je suis dans la photo, croyez-moi. Je suis dans la photo, mais je ne suis pas la photo »
— Bruce Davidson

Bruce Davidson / Magnum Photos

Bruce Davidson / Magnum Photos

Jonas Bendiksen

« Quand je suis dans la rue, j’essaye de laisser toute réflexion derrière »
— Jonas Bendiksen

Jonas Bendiksen / Magnum Photos

Jonas Bendiksen / Magnum Photos

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Le coeur secret de ce qui est connu

Choisir les photographes qui vous inspirent est à mon avis une des étapes les plus importantes pour votre progression dans cette pratique. Si vous suivez ma production de photo à Salvador, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’Alex Webb est celui qui me guide dans mon exploration photographique.

Je suis pleinement concentré sur le livre que je vais vous présenter mardi prochain, mais je souhaitais tout de même vous partager quelques vers du livre Slant Rhymes qu’Alex Webb a écrit et photographié avec sa femme Rebecca Norris Webb.

La traduction qui suit est exécutée par mes soins, les photos sont issus du livre Istanbul, City of a Hundred Names d’Alex Webb.

« A slow, ambling walk seems the right rhythm for photographing a city. Its easy pace lets me to drift through the streets, my instincts alert but my mind wandering. Walking allows me to absorb a city and to lose myself in a city.
And all the while, its unhurried tempo keeps me open to whatever I may encounter around the next corner —the unexpected, the unknown, or sometimes the secret heart of the known. »
— Alex Webb
« Une marche lente et saccadée semble être le bon rythme pour photographier une ville. Ce rythme est facile, il me permet de dériver, mon instinct prêt et l’esprit libre. Marcher me permet d’absorber une ville et de me perdre dans une ville.
Et alors, ne pas être pressé me laisse ouvert à tout ce que je pourrais rencontrer au prochain croisement : l’inattendu, l’inconnu, ou parfois le cœur secret de ce qui est connu. »
— Alex Webb
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5 Leçons de Photographie avec Bruno Barbey

Bruno Barbey est un photographe reporter et journalistefranco-suisse, né le 13 février 1941 à Berrechid au Maroc sous protectorat français et mort le 9 novembre 2020. Il fut membre de l’agence Magnum dès 1966 et membre de l’Académie des beaux-arts de 2016 à 2020.

Fasciné par le cinéma néo-réaliste italien, il débute en 1962 un essai photographique sur les Italiens, en séjournant pendant plusieurs semaines et à de nombreuses reprises en Italie. Ce qui lui donnera l'occasion de réaliser son premier livre et de rencontrer Henri Cartier Bresson et Marc Riboud.

Il serait difficile d'énumérer ici sa longue et brillante carrière, notons que Bruno Barbey est connu pour avoir photographié les révoltes ouvrières et étudiantes de Mai 68. Il a également photographié les émeutes étudiantes à Tokyo. En 1970, il réalise avec Jean Genet un reportage sur les Palestiniens, en 1971 et 1972, il couvre la guerre du Vietnam, notamment la bataille d'An Lộc.

Il amorce en 1972 un travail au long cours sur le Maroc, pays de son enfance, avec le désir de sauver une mémoire en train de se perdre. Plusieurs livres, avec des textes de Jemia et J. M. G. Le Clézio et de Tahar Ben Jelloun, en seront publiés dans les années 1990 et 2000.

En 2016, Bruno Barbey est élu membre de l’Académie des beaux-arts de l'Institut de France, en même temps que Sebastião Salgado et Jean Gaumy, à la suite de la création de deux nouveaux fauteuils dans la section de photographie, ce qui fait de lui un monument de la photographie Française.

La plupart des textes de Bruno Barbey cités ici sont issus du livre Magnum Histoires. Voici 5 leçons de photographie avec Bruno Barbey.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Apprenez à lire le rythme de la rue

« Il y a certains rythmes qu’on apprend à connaître. Quand on est dans la rue, on regarde autour de soi, on est regardé et l’on comprend les signaux qui s’échangent à travers les regards. Le Maroc est visuellement très séduisant mais il exige beaucoup de temps et de patience. Ça fait partie du défi et du plaisir. J’étais récemment en Ouzbékistan, où les gens se laissent facilement prendre en photo. On peut photographier comme on veut sur les marchés et dans les lieux publics, composer comme on veut, en un sens, ce sont des conditions idéales pour un photographe. L’Égypte et l’Inde sont aussi des endroits où il est facile de travailler. Tandis qu’au Maroc, un photographe doit apprendre à se confondre avec les murs. Pour prendre une photo, il faut soit aller vite, avec tous les risques que cela comporte, soit faire preuve d’une patience infinie. Par rapport au temps passé là-bas, j’ai pris beaucoup moins de bonnes images au Maroc qu’à peu près partout ailleurs. C’est le contraire de l’Italie où les gens adorent être photographiés et n’ont pas de complexes devant l’objectif. C’est comme s’ils vous disaient : « Prenez-moi comme je suis. » Cela dit, au Maroc, le jeu n’est pas dépourvu de charme. »
— Bruno Barbey

Chaque culture propose un rapport à l'image différent, et cela aura des conséquences pour la ou le photographe qui travaille dans la rue ou dans des lieux publics. Je garde en mémoire mon premier séjour au Rajasthan, où j'étais interrompu régulièrement dans mes photos pour poser avec des passants ou des touristes Indiens qui cherchaient parfois à lier une amitié.

Ici à Salvador, quand je demande la permission personne ne refuse une photo, mais toutes mes rencontres commencent avec un pouce levé et un sourire béat. Je baisse l'appareil, je discute, je cherche à sortir la personne de la pose. J'essaye de trouver une attitude naturelle ou fidèle à ce que je perçois de la personne. Mais le rapport à l'image est très particulier, partout au Brésil et plus encore à Bahia. C'est alors difficile de retranscrire des ambiances et la vie du Nordeste qui se passe essentiellement en extérieur, dans la rue ou ailleurs, quand tout le monde cherche à poser dès qu'il voit un objectif. Pour d'autres raisons que Bruno Barbey, je cherche aussi à être discret, mais je m'expose à passer pour un voyeur ou un voleur de photos, ce qui est très mal pris par ceux qui s'en rendent compte.

En tout état de cause, ce que je retiens ici est le besoin d'adapter sa pratique photographique à la culture du lieu où l'on se trouve. Sans cette réflexion, on ne peut accéder qu'aux photos basiques vues mille fois ailleurs.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

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Se méfier de la compassion et des photos qui changent le monde

« À l’époque, il y avait beaucoup de magazines capables de consacrer entre huit et vingt-quatre pages à un essai photographique dont on pouvait vraiment être fier, et ce fut une période très productive de ma vie professionnelle. J’ai ainsi pu obtenir d’importantes publications dans des magazines comme Life, Paris-Match, Stern et National Geographic. Aujourd’hui le photojournalisme est en déclin. Je le pratique encore : par exemple, pendant l’invasion irakienne, j’ai accepté une commande de Time pour photographier le sud de l’Irak quand les Américains s’en sont emparés en 1991 pendant la première guerre du Golfe. Je me suis intéressé aux marines américains patrouillant les champs de pétrole en feu et souhaitais éviter de montrer les corps Irakiens morts. Je ne pense pas que les photos de cadavres apportent beaucoup à l’histoire de la guerre : on en voit sans arrêt à la télévision. Bien sûr, il faut rendre compte de la guerre, mais c’est devenu une sorte d’industrie. Je suis devenu méfiant envers la « compassion ». Certains photojournalistes privilégient des endroits visuellement forts en espérant que leurs images vont changer le monde, mais je n’en suis pas si sûr, malheureusement. Dans la pratique photojournalistique actuelle, il y a parfois plus de photographes que de combattants, ou plus de photographes que de réfugiés. »
— Bruno Barbey

N'ayant pas le début du commencement de la moitié de l'expérience de Bruno Barbey, j'aurai du mal à commenter cette proposition. Cependant, j'ai également l'impression que la profession de photojournaliste a toujours été au coeur des bouleversements des médias, et ils ont étés permanents depuis que la photographie existe. J'ai le sentiment que chaque nouvelle génération de photojournalistes se réfère aux précédentes comme à un âge d'or utopique où les médias avaient de l'argent qui coulait à flot.

Oui, les temps ont changé. La photographie numérique a facilité l'accès à ce métier. Les réseaux sociaux ont donné la possibilité à certains photographes de devenir leur propre média, de distribuer directement leurs photos. Cela a aussi donné la possibilité je crois à beaucoup plus de monde de pouvoir vivre de la photo par des canaux nouveaux, avec de nouvelles manières de faire. Et je ne peux pas me résoudre à m'en plaindre. C'est ainsi, les manifestations ou les événements médiatiques sont couverts par beaucoup de photographes. La compétition est intense, parfois. Je vois cela comme une obligation à être original, à se remettre en question et à être toujours plus indépendant des clients ou des rédactions.

Je suis peut-être un doux utopiste, mais j'ai la conviction que si l'on travaille sur le sujet qui nous tient à coeur sans avoir de commande, si le sujet est bien traité, les photos exceptionnelles prennent leur indépendance et dépassent complètement le photographe. Une photo peut faire le tour du monde en une journée grâce à ces réseaux tant décriés, et si le photographe n'en tire pas toujours un profit direct, il a la possibilité aujourd'hui de profiter des conséquences et des opportunités que cela lui donne. En revanche, je suis d'accord avec Bruno Barbey, les photos qui changent le monde sont trop rares pour que cela puisse constituer un objectif.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

Photographie de rue et droit à l'image

« Aujourd’hui, en France, la photographie de rue devient difficile en raison des nouvelles lois sur le droit à l’image. On m’avait demandé de prendre des photos pour un livre sur Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. J’ai accepté parce que je les avais déjà photographiés. J’habitais Montparnasse où ils avaient passé la moitié de leur vie et j’aimais retrouver les lieux qu’ils avaient fréquentés comme Le Dôme, La Coupole et Les Deux Magots. Mais quand j’ai commencé discrètement à déclencher, un vigile est venu m’interrompre : « Avez-vous contacté notre service de relations publiques pour avoir l’autorisation de photographier ? ».
On ne peut plus photographier librement à Paris. La moitié des images que j’ai prises pour cette commande ont été refusées l’éditeur parce qu’elles représentaient des personnes qu’on pouvait reconnaître. On m’a dit : « Si c’est pour avoir des procès, on ne publie pas. Ou alors vous refaites les photos, mais sans les gens. Pourquoi ne pas prendre la terrasse du café avec les consommateurs de dos ? » Aujourd’hui des avocats opportunistes sont spécialisés dans la traque des photographes pour gagner de l’argent sur leur dos et celui des utilisateurs. »
— Bruno Barbey

Je suis en respectueux désaccord. Les temps ont changé, c'est un fait établi. Il est certainement plus difficile aujourd'hui de pratiquer la photo de rue avec les problèmes que pose le droit à l'image. Mais le droit à l'expression artistique existe, même avec des personnes qui seraient reconnaissables sur les photos. Et le droit à l'image est un droit opposable. Cela veut dire que prendre la photo est autorisé. Vous ne vous exposez à un problème que dans le cas d'une diffusion qui porte préjudice à la personne photographiée, et c'est à elle de prouver ce préjudice.

La principale conséquence néfaste du droit à l'image est ce que certaines personnes croient savoir, y compris d'après mon expérience chez des personnes représentant l'autorité publique. Mais la nécessité de documenter le monde et l'expression artistique des photographes seront toujours pour moi plus importants que ces changements culturels qui font grincer les dents.

Connaissez votre droit et restez droit dans vos bottes. J'irais même jusqu'à dire que j'espère un jour un joli procès médiatique pour faire connaître ces problèmes. Mais les procès ne concernent, oh surprise, que ceux qui attaquent des médias en espérant un joli chèque au bout.

Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

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Travailler avec des écrivains

« Je consacre principalement mon temps à la réalisation de livres et d’expositions. Je m’intéresse aux compositions minimalistes et aux ingrédients simples. J’aime travailler avec des écrivains qui ont une grande connaissance des thèmes que je photographie comme J.-M. G. Le Clézio, Tahar Ben Jelloun, Paul Bowles, Arthur Clarke, Dom Morales et Czesław Miłosz. »
— Bruno Barbey

Je trouve fascinant de voir qu'un des photojournalistes les plus reconnus disent ne s'intéresser qu'à son travail d'auteur et d'artiste. Peut-être que travailler sur l'actualité, ou sur un sujet institutionnel, est surtout un moyen d'améliorer sa pratique. Mais l'objectif d'un grand photographe comme Bruno Barbey était d'être libre de travailler sur les sujets qui le passionnaient. Cette liberté était le fondement de l'agence Magnum, je crois que ces principes sont toujours d'actualités quand on voit les projets que les membres de cette prestigieuse agence mettent en avant.

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Photo Bruno Barbey

Photo Bruno Barbey

La photographie est universelle

« La Photographie est le seul langage qui peut être compris dans le monde entier. »
— Bruno Barbey

Voir vient avant les mots. Je n'avais jamais réalisé que la photographie était un langage absolument universel, compris de tous. Et il est certain que tout le monde peut comprendre la beauté transcendentale des photographies de Bruno Barbey.

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Être là

La particularité de la photographie documentaire, du reportage ou de la photographie de rue est le besoin d'être là. Mettez un peintre ou un écrivain dans une salle blanche, donnez-lui des toiles ou de quoi écrire, sa seule limite est son imagination. Il peut peindre ou décrire un paysage, un portrait, il peut peindre de manière abstraite ou écrire de la poésie.

Mettez un photographe dans la même pièce, il peut toujours produire une photo blanche, grisouille, voire même noire, il peut réaliser un auto-portrait. Mais la nature de la photographie documentaire est d'enregistrer le monde. Un photographe de rue ne peut jamais vraiment compter sur son imagination. Il doit interagir avec ce qui l'entoure pour produire une photo.

C'est aussi l'une des plus grandes forces de cette photographie. Aucun autre medium, à l'exception du film documentaire, ne peut prétendre : "voici ce qui est arrivé". Le photographe a peut-être choisi où se tenir et quand déclencher, mais la photographie documentaire aura toujours cette relation unique avec le monde, avec le temps, et donc avec l’histoire.

Mes lectures m'ont mis sur le chemin d'Anders Ericsson avec son livre Peak: Secrets from the New Science of Expertise, où il décrit ses études et travaux avec certains des plus grands experts de leur domaine. Sans dévoiler quoique ce soit, car je le commence à peine, ce livre démontre que pour progresser il est nécessaire de se confronter à des problèmes de plus en plus difficiles, de toujours repousser les limites de sa zone de confort.

Pour ma photographie, le plus grand mur qui s'élève sur mon chemin, c'est la photographie documentaire. Je n'ai jamais cherché à pousser plus avant mes premières expériences au Mali, où je savais déjà que j'avais besoin "d'être là". Ce constat m'a frappé alors que je sortais enfin de chez moi après notre deuxième confinement pour produire quelques photos dans Salvador. Je veux plus, je suis déterminé à produire des photos qui aient un plus grand impact social, d'abord en documentant chez moi, à Salvador.

Alors je m'organise, je commence à préparer, à étudier. J'espère arriver à être là, malgré la peur.

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

Feira de Sao Joaquim - Salvador, Bahia April 2021 - Photo Genaro Bardy

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Je sais que je ne sais rien

Je ne pourrai jamais savoir ce sera une photo avant de la prendre. Une grande part du plaisir en photographie réside dans cette question : "à quoi est-ce que ça pourrait ressembler ?" ; "que signifie cette image ?".

Pour anticiper le résultat d'une photo, vous avez vos connaissances sur la nature d'une photographie, son exposition, sa mise au point, sa planéité, sa composition. Vous disposez éventuellement du projet que vous avez défini, son sujet, l'angle que vous avez choisi, la manière d'en rendre compte et les contraintes artistiques que vous vous imposez.

En dehors du cadre de l'image et du projet, la photographie est par essence une improvisation, une activité intensément intuitive que vous essayez de diriger dans une voie, selon votre vision.

On a jamais le temps, en photographie. Vous pourrez toujours essayer de contrôler au maximum le contexte et l'environnement dans lequel vous produirez vos photos, vous ne pourrez pas transformer cette création en autre chose qu'un espoir.

La photographie est même le plus souvent un espoir déchu, une espérance vaine. Avec un peu d'expérience, j'arrive à anticiper mon taux de photos "acceptables", c'est à dire livrables à un client qui a besoin des photos pour communiquer. Ce taux est faible, beaucoup trop faible. Si ma démarche a pour objectif d'accrocher les photos à un mur ou de les assembler dans un livre, comme pour les villes désertes, alors le taux de réussite est dramatiquement bas.

Desert in New York, 5th Avenue -Thanksgiving 2016- Photo Genaro Bardy

En portrait, j'aimerais toujours avoir plus de temps pour expérimenter, tester des angles, des expressions. Mais le temps disponible des personnes dont je fais le portrait est aussi précieux que le mien. Quand je produisais les villes désertes, j'avais mis comme contrainte au projet que toutes les photos d'une même ville soit prises le même jour. C'était alors une course contre la montre, qui m'a plutôt servi. Je n'avais pas d'autre choix que de réussir, et vite. Mais j'avais besoin d'au moins une semaine de repérages dans les villes que je ne connaissais pas pour optimiser mon parcours.

On ne sait jamais ce que l'on va trouver. En photographie de rue, on est toujours ignorant. J'adore cet état de pleine ignorance, il me rend toujours curieux. Je cherche alors des scènes, des choses originales à voir que je n'aurais jamais vu si je n'avais pas la photographie comme passeport. Mais en architecture, en portrait, ou pour n'importe quel projet, je ne sais jamais rien. Pour n'importe quelle photo, pour tous ces déclenchements que je ne verrai qu'une fois et que je disqualifierai en un instant, j'aurai cet espoir ignorant.

Peut-être que cette photo sera belle. J'aimerais savoir ce que ça donnera en photo.

Pelourinho Salvador, Bahia - Sept 2020 - Photo Genaro Bardy

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