3 étapes pour définir un projet photo
Déterminer ou choisir un projet photo sur lequel travailler sur une longue période de temps peut être l’une des étapes les plus difficiles dans le parcours d’un photographe. Cet article est destiné aux photographes qui essayent de donner un sens a leur photographie, à ceux qui souhaitent explorer la photographie artistique, journalistique ou documentaire. Quel que soit votre avancée dans votre pratique, vous avez certainement compris que la photographie ne s’expérimente presque jamais avec des photos uniques, individuelles, sans aucune connection entre elles.
Que ce soit pour un client, une histoire, un livre ou une exposition, il est toujours nécessaire de penser la séquence de photographies, de construire à partir d’une idée ou d’un principe qui va permettre au spectateur de comprendre le message que vous portez. L’ensemble de photographies qui composent cette séquence, je l’appelle projet, mais ce pourrait être un sujet pour un média ou une exposition pour une galerie.
Pour avancer dans votre photographie, le mieux est de définir vous-même les sujets ou les projets personnels sur lesquels vous souhaitez travailler. Ce sera toujours plus satisfaisant de réaliser des photos que vous aimez voir, et qui portent le message que vous aimeriez transmettre. J’essaye ici de suivre un processus simple en trois étapes pour explorer vos options, vous devriez ainsi avoir un outil que vous pouvez immédiatement utiliser pour vous aider à avancer de manière significative.
Je vous propose trois étapes pour découvrir un projet photo personnel :
Choisir une idée
Créer un principe narratif
Aligner vos photos sur ce principe narratif
Choisissez une idée
À chaque instant, autour de moi, j’ai une possibilité infinie de photographies. C’est pour cela que toute photographie, que l’on veuille ou non, en dit autant sur le photographe que sur le sujet photographié. Selon le même principe, les possibilités de projet photo sont par essence infinies. De plus, il est à peu près certain que chaque sujet que vous choisissez a déjà été traité par des photographes, des auteurs ou des artistes avant vous.
Norman Vincent Peale peut nous éclairer sur le pouvoir du choix :
« Le plus grand pouvoir que nous ayons est le pouvoir de choisir. C'est un fait, si vous avez toujours tâtonné sous le poids des difficultés, vous pouvez choisir d'être joyeux, à la place. Vous pouvez décider de choisir le bonheur. Si vous avez tendance à avoir peur, vous pouvez la surmonter en choisissant d'avoir du courage. Le chemin et la qualité de la vie de chacun sont déterminées par les choix qu’il fera ».
Si je vous cite ici l’auteur le plus connu sur la pensée positive, c’est pour essayer de lever le dernier doute dans votre esprit : choisissez d’abord un projet ou un sujet qui vous plaît à vous. Ne vous laissez pas submerger par ceux qui aurait pu mieux traiter le sujet, ils ont eux-même été inspiré par d’autres artistes ou d’autres histoires avant eux. Choisissez l’idée que vous voulez défendre, le sujet que vous voudriez faire connaître. Choisissez ce qui vous passionne et apprenez à savoir pourquoi. Si vous ne savez pas pourquoi un projet vous intéresse, comment voulez-vous que cela concerne quelqu’un d’autre ?
En faisant un choix, vous vous donnez une direction. Une fois que vous déterminez une direction conforme à vos valeurs, vous commencerez à voir les photos qui y correspondent un peu partout. Si vous poursuivez dans cette direction avec sincérité, il n'y a aucune raison pour que vous ne puissiez pas accomplir votre objectif.
Pour déterminer cette direction, le sujet ou le projet que vous pouvez choisir, vous devez comprendre la différence entre ce que vous photographiez et le message d’une photo. Il est nécessaire de définir à propos de quoi seront vos photos pour donner une meilleure fondation à votre projet.
Alors, pour commencer, faites une liste de ce qui vous intéresse ; des choses que vous avez toujours appréciées, qui vous font vous sentir mieux, qui vous incitent à aller de l'avant. Vous aimez la nature ? Vous aimez la mer ? Aimez-vous aider les autres ? Un projet peut se définir aussi simplement que ça : “J’aime marcher dans la forêt”. C’est ce principe tout simple qui sous-tend le projet Borealis du photographe Jeroen Toirkens.
Peu importe ce qui vous intéresse, notez-le et répondez à ces questions :
Qu’est-ce que vous aimez faire ?
Qu'est-ce que vous aimez dans cette activité et pourquoi ?
Comment pourriez-vous ne faire que cela ?
Créez un principe narratif
L'étape suivante consiste à examiner la liste que vous venez d’écrire et à découvrir s'il existe un thème récurrent. Quoi qu'il en soit, essayez d'identifier un thème central avec une phrase déclarative courte et précise. Ce sera la prémisse de votre projet. Il peut s'agir d'une citation d'une personne célèbre ou d'une philosophie qui vous a influencé. Bien sûr, avec le temps, cette prémisse pourra évoluer, mais le principe restera la même.
À partir de cette prémisse, explorez les manières dont votre photographie pourrait l’exprimer, choisissez une forme narrative qui permettra de présenter ce projet ou ce principe. Pour développer cette idée, avez-vous besoin d’une série de portraits ? Devez-vous enquêter pour mieux comprendre, réaliser un reportage ? Cette idée est-elle liée à un lieu ? Auquel cas je vous suggérerai toujours de choisir des lieux facilement accessibles, proches de là où vous vivez, pour toujours pouvoir travailler sur votre projet sans le soumettre à un voyage. Tous les genres photographiques sont concernés, ce qui est important est qu’ils soient au service de votre projet, c’est à dire du message que vous avez défini. Vous pouvez bien sûr en combiner plusieurs, chacun s’adaptant aux canaux de diffusion que vous allez choisir.
Il sera également pertinent de mieux connaître les photographes qui ont déjà traité de ce sujet. Existe-t-il des livres photo qui ont été publiés ? Des reportages dans des publications plus ou moins prestigieuses ? Des expositions ont-elles déjà été proposées ? Pour chaque projet que vous trouverez, analysez comment les photos ont été réalisées et demandez vous pourquoi est-ce que le projet fonctionne. Tout le travail que vous proposerez sera une nouvelle pierre à un édifice déjà commencé. Il pourrait être intéressant de choisir un nouvel angle ou un nouveau message sur le sujet choisi, mais parfois vous préférerez vous mettre dans les pas de ceux qui vous ont précédé.
Enfin, choisissez les meilleurs canaux de diffusion de votre projet ou sujet. Chaque canal de diffusion a ses propres règles qui vont impacter l’édition, le choix des photos, la forme narrative la plus appropriée pour diffuser ce projet. Est-ce que vous allez le proposer à un média ou une ONG ? Est-ce que vous en ferez un Zine, voire un livre ? Est-ce que vous créerez un compte instagram uniquement pour ce projet ? Le cas d’Instagram est intéressant, maintenant qu’ils assument ne plus être une application de partage de photo. Il est facile de comprendre que le même projet ne sera pas expérimenté de la même manière dans des publications, des stories, des reels ou sur IGTV. Instagram est devenu tellement tentaculaire que vous devrez adapter la forme narative aux moyens que vous choisirez. Le principe est identique quel que soit le média choisi, vous devrez adapter la forme narrative qui sert le mieux votre projet.
Alignez vos photos sur ce principe narratif
La dernière étape consiste à tracer votre chemin vers votre objectif à commencer à produire les photos qui serviront le ou les principes narratifs choisis. En réalisant les premières photos qui répondent à votre objectif, vous aurez la satisfaction de voir le projet naître et grandir. Vous vous apercevrez également que les photos sont plus faciles à réaliser quand vous définissez une intention, quand elles répondent à un objectif précis.
La réalisation d’un projet personnel est particulièrement enthousiasmante, si vous avez défini une prémisse qui vous procure un grand plaisir.
Comment Zora Murff travaille sur un livre photo
Je souhaite partager plus de travaux de photographes contemporains, qui travaillent encore, plutôt que des grands-maîtres déjà passés à la postérité. Je vous propose donc de découvrir aujourd'hui le travail de Zora Murff en nous intéressant à la manière qu'il a de mener un projet photographique. Ce que j'appelle ici la réalisation d'un projet prend le plus souvent la forme d'un livre. Le livre photo est pour moi le meilleur véhicule pour la photographie, quelque soit le genre photographique ou les sujets traités. Si vous voulez constituer un livre intéressant ou cohérent, cela demandera une telle somme de travail qu'il prendra d'abord la forme d'un projet photographique pour son auteur.
L'une des meilleures ressources que j'ai pu trouver sur la réalisation de projets photographiques est le livre Photowork de la fondation Aperture, et je vous propose d'en extraire ici quelques enseignements du travail de Zora Murff qui y est présenté. Photowork contient en tout des interviews de 40 photographes et si vous voulez progresser dans votre démarche photographique, et lisez l'Anglais, je ne saurais trop vous le recommander.
L'idée du projet vient en premier
Pour moi l'idée vient en premier, avant de commencer à prendre des photos. Je ne suis pas très prolifique et je lis beaucoup, je recherche et réfléchis avant de m'embarquer dans un nouveau projet. Les idées sont éparpillées entre mes blocs, des bouts de papier, et mon téléphone. Quand je me sens prêt à recommencer à produire des images, je consulte ces idées et soit je les recrée, soit je garde mes yeux ouverts quand je photographie.
Zora Murff
Je trouve intéressant d'observer comment travaillent d'autres photographes, spécialement quand la pratique est radicalement différente. Personnellement les idées viennent en produisant des photos, par la déambulation, la sérendipité des rencontres ou une impression sur l'esprit du lieu. La lecture, les recherches et l'expérimentation viennent après avoir trouvé une idée.
Zora Murff procède lui d'abord par des lectures et des recherches et je trouve important de rappeler à quel point cette partie est importante dans le travail photographique. Quand je dois travailler ou écrire sur une nouvelle destination, je lis autant que je peux sur le lieu : des articles d'actualités, de la fiction par des auteurs étrangers ou des documentaires produits localement. Toute cette recherche vient nourrir une réflexion, et même si je trouve mes idées en photographiant, je dois me rappeler à quel point la photographie est influencée par mes connaissances et recherches sur un sujet.
Un projet photo est une introspection
Quand j'étudiais la psychologie, le premier jour d'un cours sur la méthode de consultation, le professeur nous a dit : "Avant de pouvoir aider qui que ce soit avec ses problèmes, il faut d'abord régler les vôtres". Mon approche dans la réalisation d'un projet est d'abord introspective, puis je me tourne vers l'extérieur. Mes projets commencent avec une série de questions, j'utilise la photographie comme un moyen de travailler sur ces réponses. Quand je sens que j'ai commencé à gérer mon enjeu personnel dans ce travail, je commence à faire ces connections externes.
Récemment, j'ai beaucoup pensé à certaines contradictions dans mon travail. J'écoutais un podcast qui expliquait comment le racisme scientifique est inclut dans les politiques migratoires. La rhétorique libérale est souvent utilisée pour déprécier la xénophobie. Mais pour travailler à la réconciliation, il faut bien se regarder dans le miroir pour devenir responsable de notre passé. Des mouvements comme Black Lives Matter ou Me Too ne sont pas nés d'un aveuglement à l'auto-critique. Ce qui arrive autour de vous a une grande influence sur ce que vous désirez produire.Zora Murff
Un livre photo en dit tout autant sur le sujet que sur son auteur. Je crois que la photographie est essentiellement une démarche introspective. La photographie est un langage rapide, presque instantané, mais les émotions auxquelles il fait appel sont tout aussi intenses. Je crois également que les sujets que l'on choisit de montrer sont importants, la photographie a une conséquence et porte un message social. Si je décide de photographier des phares avec un trépied, je suis malgré moi porteur d'un message sur le tourisme moderne. Le travail de Zora Murff me force à voir qu'il n'y a pas de photographie anodine. Le message d'un projet projet photo est tout aussi important que son contenu.
Le projet est-il plus important que les photos individuelles ?
Oui et non. Un projet photo est un véhicule intéressant, et je pressens que la photographie est sur le point de s'y résoudre. Je pense aussi que la croissance rapide de publication de livres photo - à la fois comme véhicule pour un projet et comme accomplissement personnel- engendre le sentiment que ce serait une règle en photographie. Mais je suis intéressé par ce que pourrait être la prochaine manière de présenter son travail.
À propos de la production de photos individuelles, je suppose que ça dépend de comment la personne travaille. Pour moi, J'évalue les images individuellement pour tout le temps repousser les limites du travail que je produis, que je sois dans la réalisation d'un projet ou dans la production d'une photo juste parce que.Zora Murff
Certaines photos du dernier livre de Zora Murff, 'At No Point in Between' (2019, malheureusement épuisé), peuvent paraître moins fortes. Un plan aérien en noir et blanc d'une zone pavillonnaire en bordure d'autoroute, des photographies de coupures de journaux, et beaucoup d'autres clichés à priori étonnants. Ces photos prennent tout leur sens uniquement dans le cadre du projet en question, de l'histoire qui est racontée. Je pense notamment au fabuleux domino visuel entre ces policiers américains qui prêtent serment et un immeuble abandonné avec la signalisation qui y répond.
Cependant la recherche de photos exceptionnelles est pour moi le quotidien d'un photographe, que ce soit dans l'analyse des photos, l'édition ou la constitution d'un projet photo. Chercher en permanence à améliorer des photos individuelles est ce que je trouve de plus intéressant. Mais parfois, on ne peut pas utiliser des photos exceptionnelles sans également raconter avec du contexte ou des détails qui mettent en valeur l'histoire.
Trouver sa voix
Si je souhaite que ma voix soit différente ? Tout le temps. Il y a tellement de travaux forts et qui ont du sens, beaucoup d'artistes que j'admire. Mais ma voix sera toujours ma voix. Je crois que c'est une autre manière de grandir comme artiste - ne pas copier le travail des autres - mais de trouver l'inspiration et de l'utiliser comme un outil pour se mettre un défi de produire quelque chose de nouveau et d'étonnant.
Zora Murff
Trouver sa voix unique en photographie est une recherche qui relève effectivement de l'inspiration d'autres photographes et de l'intérêt que l'on trouve à certaines photographies ou à des styles particulier. Il m'apparaît pourtant presque impossible de définir pour soi un style avant de commencer à photographier. Il me semble que le style est un commentaire a posteriori.
De la même manière, je n'imagine pas qu'il soit possible de vraiment copier le travail d'autres photographes, en tout cas dans le genre qui m'occupe le plus,
en photographie de rue. On peut analyser et éventuellement imiter une manière de produire des photos, et c'est même je crois recommandé pour trouver ce que l'on aime produire comme photos et où sa photographie se situe par rapport aux anciens, mais la copie est à proscrire.
Comment savoir qu'un projet est fini
Mes deux derniers livres Corrections (publié en 2015) et At no Point in Between (2019) ont été fabriqué en presque trois ans, y compris le temps consacré à la recherche. Cependant, chacun de ces livres étaient rattachés à mes études, donc il n'y avait pas vraiment de date limite.
Zora Murff
Voilà une question qui n'apporte pas de réponse simple : au bout de combien de temps ou de photos est-ce qu'un projet atteint son terme ? J'ai le sentiment qu'un projet ne se termine jamais vraiment, en tout cas pour moi je ressens que je suis plutôt celui qui s'est épuisé intellectuellement. Je crois que certains projets que je n'ai pas poursuivi ont pris fin d'eux mêmes, d'abord parce que je ne croyais plus avoir quelque chose à dire.
Les deux projets principaux sur lesquels je travaille actuellement sont en cours depuis déjà deux ans. J'espère pouvoir en sortir un d'ici la fin de l'année, mais je sais déjà que le second a probablement besoin d'une bonne année supplémentaire.
Pour continuer à suivre le travail de Zora Murff, suivez-le sur Instagram ou explorez son site.
Combien de bonnes photos sur une journée de photographie de rue ?
https://www.facebook.com/genaro.bardy.photographer/videos/353961449121316/
Photographie de rue à la première personne - Salvador de Bahia, Pelourinho
Combien de bonnes photos obtenez-vous en une journée de photographie de rue ? Cela va dépendre de la manière dont vous allez définir ce qu'est une bonne photo.
En ce qui me concerne, si je reviens d'une sortie en photographie de rue avec une seule bonne photo pour un projet, je m'estime heureux. Également, sur un voyage photo je suis heureux si j'ai une bonne photo par jour. Bien sûr, je ne parle pas de photos "convenables', dont je pourrais me servir pour un client.
Si je photographie pour un client, je produirai et enverrai beaucoup plus de photos acceptables, qui fonctionnent. Je serais un photographe très cher si je n'étais capable de livrer qu'une seule photo par jour à un client. Alors, comment j'arrive à ce ratio d'une bonne photo pour une journée de prise de vues ?
Je vois 3 différents niveaux de qualité en photographie :
Les photos qu'un magazine pourrait acheter. Ce sont des images professionnelles qui racontent parfaitement l'histoire d'un client. Ces images sont parfaites à bien des égards, elles servent simplement l'histoire d'un autre, que ce soit un client ou d'un média. C'est l'étalon basique pour analyser ses photos : demandez-vous "est-ce que je pourrais voir cette photo dans un magazine ?". Si la réponse est non, c'est que vous avez encore du travail.
Des images qui pourraient être dans un livre ou une exposition. Ce sont vos meilleurs travaux, les 10-15 images parfaitement conçues et qui fonctionnent entre elles. Ce sont les photos qui tiennent au mur et qui ensemble racontent une histoire ou un projet. Ce genre de photos, je suis content si j'en ai une par jour.
Le troisième et dernier niveau, ce sont les photos qui ont leur place dans un musée. Je ne pense pas que vous puissiez décider d'en produire. Ce sont des images avec une vie qui leur est propre, ce sont les autres qui vous demandent de les voir. La plupart d'entre nous n'en produirons probablement jamais, en tout cas ça ne me préoccupe pas plus que ça puisque je ne décide rien ici.
Alors quand je travaille sur livre photo, ce qui est le cas dans le petit film que vous pouvez voir plus haut, je vise le 2ème niveau. Les photos sur lesquelles je peux revenir avec plaisir, celles que je peux accrocher sur un mur. Si je ne suis pas à ce niveau là, je ne considère pas les photos pour mon livre.
Cette vidéo est tournée au Pelourinho, la vieille ville de Salvador de Bahia, où j'habite. J'y suis allé pour prendre des photos d'innombrables fois, c'est mon endroit par défaut où je traîne pour prendre des photos de rue. Et j'ai la chance d'avoir obtenu ce jour-là une photo parfaite pour mon projet, pour le livre sur lequel je travaille.
Photo Genaro Bardy
My Soul so Cool from the Bath of Light - Salvador de Bahia, Pelourinho - Sept 2020
Pour aller plus loin :
Comment commencer un projet en photographie de rue
Photographier en série est la recette du bonheur. Voir un projet éclore, s'accomplir, est le summum du plaisir en photographie. Certains vous diront que c'est la seule manière de procéder, je suis en désaccord avec cette assertion radicale.
La photographie peut être extrêmement simple et rester un petit journal de votre vie quotidienne. La photographie peut aussi être utile de manière tout à fait pratique pour communiquer l'existence ou l'avancée d'une activité. Quand je photographie mon fils, je n'ai pas d'intention de publier, d'exposer ou d'assembler les photos dans un livre, ce n'est pas un projet et ça reste pour moi de la photographie.
Mais si vous voulez aller plus loin dans votre expression artistique, une seule voie : le projet photographique, quelque soit la forme finale qu'il prenne.
Explorons ici quelques moyens d'initier un projet photographique.
Une obsession
Un projet photographique devrait commencer par ce que vous pouvez photographier pendant 5 ans sans jamais vous lasser. Un projet est avant tout une obsession.
J'ai personnellement une obsession avec New York que je n'aurai jamais fini d'explorer, si je ne m'y installe pas un jour je sais que j'ai encore quelque chose à aller chercher. Dès que mon projet "Ville Déserte" a commencé j'ai eu mes yeux sur New York qui est pour moi la capitale du monde. J'ai commencé un autre projet à New York avec une autre obsession, concentrée sur les couleurs primaires. Quand j'ai un projet en tête et qu'il s'accroche, j'ai l'impression qu'il me reste à l'esprit en permanence, que je ne peux plus le lâcher tant que je n'en ai pas sorti un objet fini. Pour moi cet objet fini est un livre, mais cela pourrait prendre d'autres formes : un diaporama, un film, pourquoi pas un Leporello.
Alex Webb parle de l'obsession dans son livre On Street Photography and the Poetic Image, quand il décrit son processus d'écriture de livres. Il explique qu'une grande partie du projet est de découvrir la nature particulière de son obsession, sans vraiment en connaître la fin. La plupart de ses projets commencent par une phase exploratoire autour d'une destination particulière. Puis l'obsession nait et grandit après une découverte.
Photo Genaro Bardy - Primal NYC
Photo Genaro Bardy - Primal NYC
Photo Genaro Bardy - Primal NYC
Photo Genaro Bardy - Primal NYC
Le succès
Pour débuter un projet, commencez par analyser vos photos qui ont eu du succès dans le passé. Quelles en sont les caractéristiques ? Que racontent-elles ? Pourriez-vous réaliser cette même série là où vous vous trouvez maintenant ? Dans d'autres endroits ?
Mes villes désertes ont commencé parce que je suis arrivé pour une semaine de travail (dans ma vie passée) à New York la veille de l'ouragan Irene en 2011. Toutes les télés étaient en boucle, Brooklyn avait déjà des zones inondées par les pluies incessantes et le couvre-feu était recommandé à partir de la fin de journée. J'ai descendu Manhattan le long de la 5ème avenue depuis Mid-Town vers le quartier financier à travers Greenwich Village. Plus j'avançais, plus la ville se vidait de ses habitants. J'ai édité mes photos pendant la nuit de l'ouragan et publié mes photos le lendemain matin sur mon blog, Facebook et Flickr. Ce projet était tout simple et s'appelait alors "Le Calme avant Irene". À l'époque c'était mes photos qui avaient été le plus partagé, et probablement la seule fois où l'une d'elles était en page d'accueil de Flickr.
3 ans plus tard, alors que je commençais mon activité de photographe professionnel, je me suis demandé comment je pouvais reproduire ce type de photos, sans personne. Parce que je voulais travailler à Paris et que je ne pouvais pas prévoir les ouragans, j'ai essayé de me demander quelle serait la nuit la plus calme de l'année. Noël était un mois plus tard, j'ai fait un rapide repérage et tracé un parcours pour la nuit de noël pour réaliser un maximum de photos, c'était un essai. L'ouragan est alors arrivé pour mes photos qui ont été reprises dans des dizaines d'articles. Une fois le principe éprouvé à Paris, j'ai eu mes yeux sur Londres, Rome, Tokyo, et bien sûr New York pour continuer le projet.
Photo Genaro Bardy - Le Calme avant Irene - New York, 2011
Photo Genaro Bardy - Le Calme avant Irene - New York, 2011
Une histoire
C'est ici que vous devez prendre conscience qu'un projet photographique peut simplement être un projet d'auteur, indépendamment du moyen qui est utilisé pour raconter une histoire, en l'occurence des photos.
Nous avons tous des histoires que nous racontons à des amis ou des nouvelles connaissances. Quelqu'un dans votre famille qui a un parcours étonnant ? C'est une histoire. Un lieu pour lequel vous avez un attachement particulier ? Vous connaissez certainement des dizaines d'histoires de ceux qui le peuplent.
La particularité d'une histoire est à priori la notion temporelle. Une histoire ça commence par "il était une fois" et ça finit par "ils vécurent heureux" si vous vous appelez Disney. Vous aurez des personnages dont vous voudrez réaliser des portraits, des lieux dont vous aurez besoin de paysages ou de détails, quantité d'éléments qui composeront votre histoire, ils seront toujours liés par le temps : vous aurez un début, un incident, un sujet, qui évoluera dans le temps. L'ensemble va constituer un arc narratif.
Et puis vous trouverez des histoires qui ne respectent aucun code, qui ont des manières originales d'être racontées. En cinéma par exemple Christopher Nolan est connu pour jouer avec les codes narratifs en modifiant les structures temporelles classiques.
Vous trouverez autant de manières de raconter une histoire que d'histoires, vraiment. Mais si vous voulez débuter un projet, commencez par l'histoire que vous connaissez et qui fascine quand vous la racontez. Photographiez ses personnages, ses lieux, et utilisez l'évolution dans le temps pour la développer.
Le hasard
Marchez de manière aléatoire, perdez-vous en prenant des directions au hasard, au fil d'inspirations spontanées. Robert Adams explique qu'il ne pourrait jamais commencer un projet en écrivant à l'avance ce qu'il devait photographier. Ce sont les photos issues d'explorations aléatoires qui donneront une idée à posteriori.
Pour Robert Adams la plupart des livres commencent par une marche et des photos, sans aucun plan. Quand on connait le travail dantesque réalisé pour ses livres, on pourrait dire que le hasard se transforme alors... en obsession.
Photo Genaro Bardy - My Soul so Cool from the Bath of Light - Salvador de Bahia, 2018
Photo Genaro Bardy - My Soul so Cool from the Bath of Light - Riohacha, 2019
Photo Genaro Bardy - My Soul so Cool from the Bath of Light - Bogota, 2019
L'ancien
Revisitez d'anciennes séries de photos et demandez-vous ce que certaines pourraient avoir en commun. Pourquoi avoir choisi une photo plutôt qu'une autre ? Est-ce que cette raison tient encore aujourd'hui ? Et si vous commenciez à assembler certaines photos de séries qui n'ont rien à voir, comment pourriez vous continuer ce que vous commencez à raconter ?
Un projet photo ne va pas révolutionner le monde de l'art, il ne doit pas être un statut ou une épreuve de vanité. C'est simplement un assemblage de photos, accompagné de textes plus ou moins longs. Cela peut paraître basique, mais je suis convaincu que vous aurez besoin de pratique en projets photographiques pour progresser, que vous avez besoin d'éprouver et de rater des projets comme on rate des photos. Commencez par un projet basique en re-visitant des photos déjà réalisées.
Photo Genaro Bardy - Underdogs - New York, 2010
Photo Genaro Bardy - Underdogs - New York, 2011
Un titre
Notez des titres dans un carnet, dès que vous voyez un assemblage de mots qui feraient un bon titre de projet. Un titre que vous auriez envie d'explorer comme lecteur, un bon mot, un jeu de mots, une phrase qui chante, une poésie en prose, tout ce qui vous passe sous les yeux et qui ferait un bon titre.
Je crois qu'il n'y a rien de plus beau qu'un joli carnet avec une belle écriture, mais j'écris de manière totalement désordonnée mes carnets ne ressemblent à rien. Personnellement j'utilise Google Keep (Application Android et Web), qui me permet de synchroniser entre mon ordinateur et mon téléphone. Puisque j'ai pris la fâcheuse habitude de lire tout ce qui n'a pas de photos sur l'application Kindle de mon téléphone, je copie les passages qui m'intéressent dans Keep.
Puis demandez-vous comment vous pourriez réaliser un projet photo à partir de chaque titre. Commencez à établir la liste de photos dont vous pourriez avoir besoin pour développer un titre. Marie Lemeland avec qui nous avons réalisé La Ville Miraculeuse y explique avoir pris ce titre d'un poème de Paul Nougé. Ce poème serait d'ailleurs une excellente source pour plein de projets photo :)
Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse - Paris, 2018
Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse - Salvador, 2019
Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse - Shanghai, 2015
L'inspiration
Le moyen le plus facile de commencer un projet photographique est de s'inspirer des grands maîtres. Prenez un projet qui vous intéresse ou vous fascine et demandez-vous : si je devais réaliser un projet similaire, à ma manière, comment est-ce que je ferais ?
Est-ce que c'est un plagiat ? de la copie ? du vol ? Bien sûr que non. Partez du principe que toutes les photos on été faites et que tous les projets ont été réalisés. Ce que vous pouvez proposer sera toujours une adaptation d'un principe déjà vu ailleurs. Me concernant j'ai découvert après "Desert in Paris" que Masataka Nakano avait déjà proposé ce principe avec Tokyo Nobody. Si le principe est identique, les différences sont majeures : Masataka a réalisé son livre sur 10 ans essentiellement le matin, alors que chacune de mes villes désertes sont capturées sur une seule nuit, toujours pendant une fête familiale (Noël à Paris, Londres ou Rome, Thanksgiving à New York, le jour de l'an à Tokyo). Et ça n'a pas empêché d'autres photographes de proposer Paris désert, à d'autres occasions.
https://www.youtube.com/watch?v=nJPERZDfyWc
Tout est remix. Inspirez-vous des plus grands photographes et adaptez les projets que vous aimez à votre sauce, avec votre patte, votre oeil. Si vous croyez en une histoire, c'est une raison suffisante pour commencer à la raconter. Si vous étiez écrivain, vous ne vous empêcheriez pas d'écrire un roman policier parce que ça a déjà été fait.
Pour nourrir votre inspiration, je vous propose deux livres qui contiennent quantité de projets passionnants :
The Photobook: A History Volume III by Martin Parr - Une histoire des livres photo par le génial Martin Parr. Les premiers volumes feraient l'affaire mais celui-ci est plus récent et donc à mon avis plus pertinent.
Magnum histoires - Ce livre est nettement moins cher et regroupe les histoires de séries de photos des grands maîtres de l'agence Magnum. Chaque histoire pourrait être une inspiration pour vous, et ce prix pour un livre si gros et beau c'est le meilleur cadeau que vous pouvez vous faire.