L’esprit du lieu

Salvador, Bahia - Jan. 2022 - Photo Genaro Bardy

À nouveau, je passe le plus clair de mon temps à la maison. La faute à Omicron et à mes ambitions. Si je veux les satisfaire, je dois passer ce temps à développer mes activités derrière un ordinateur. Cela me donne le temps de passer au moins 2 heures par jour à simplement jouer avec mes enfants avant qu’ils n’aillent à l’école, car un jour il faudra bien nous séparer. Mais cette situation m’empêche aussi de simplement sortir et “aller voir”, de prendre un quartier au hasard à Salvador et d’aller y poser un regard.

Pendant presque 18 mois, je me donnais toujours un objectif dans mes sorties en photographie de rue, parce que j’avais décidé d’écrire un livre pour lequel j’ai su assez vite que je voudrais parler de mon rapport à ce lieu où notre famille s’est rencontrée et construite : Salvador. Aujourd’hui, je n’ai plus cette contrainte, car le livre est écrit et publié. Pourtant, je continue à sortir et explorer autant que je peux, pour aller chercher des photos, mais surtout pour me plonger dans l’esprit du lieu.

Qu’est-ce qui nous rattache à un endroit ? Qu’est-ce qui caractérise l’émotion que nous ressentons quand nous redécouvrons un lieu que nous aimons ? Cette question est fascinante parce qu’elle est double. Cela dépend toujours du lieu lui même, comment il s’est construit, ce qui le compose, le climat qui l’entoure et le peuple qui l’habite. Et puis, cela dépend avant tout du regard que l’on veut bien poser dessus. L’émotion que je ressens devant un lieu dépend d’abord de moi, le regard que je pose est en réalité un voyage intérieur.

Dans mes explorations, j’ai découvert que ce qui nous rattache à un lieu dépend de son histoire et en même temps de notre histoire, de ce que nous y avons vécu. Rien ne remplace dans mon esprit le lieu sacré où j’ai grandi, son odeur, le vent salé, la mine renfrognée par la brume et le sourire du cœur des gens de Guérande. Justement, c’est ainsi parce que l’esprit du lieu dépend de ce que nous y avons fait et de ce que nous y faisons. C’est un lieu commun, ce qu’y font les adultes en essayant d’organiser le bordel ambiant et ce qu’y font les enfants en poussant les portes et les cris, ce que font ces générations définit leur rapport au lieu.

Le monde est un inextricable bordel et nous ne pourrons rien y faire au delà de notre cercle, autant l’accepter. Notre cercle, c’est là où nous posons notre regard. Et, si je décide de poser un regard neuf, d’accepter ce qui m’entoure, alors , parfois, j’arrive à le rendre beau dans un cadre au 1/125e de seconde. J’ai alors trouvé l’esprit du lieu, qui n’est en réalité que mon esprit et mon émotion que je projette. L’esprit du lieu dépend autant de moi que de ce qui le compose.

Comment vous en rendre compte par vous même ? Prenez un lieu familier, exactement là où vous résidez, et partez dans 7 directions différentes pendant une semaine, en marchant pendant 1/2h, puis en revenant, et essayez de prendre une bonne photo par jour. En sept photos, vous aurez l’esprit du lieu.

Autre méthode. Prenez un lieu au hasard sur une carte autour de là où vous êtes, dont le nom vous inspire ou pour une raison fantasque. Passez 2h et essayez de capter l’esprit du lieu, qui comme nous l’avons vu dépend aussi de ceux qui y vivent. Prenez autant de portraits que de paysages et assemblez des diptyques, pour faire se correspondre le lieu avec ceux qui y vivent. Probablement qu’après, vous ne regarderez plus jamais ce lieu comme un autre, pour ce que vous y aurez accompli.

L’esprit du lieu, c’est notre esprit dans ce lieu qui se présente à nous.
On photographie qui on est.

Salvador, Bahia - Jan. 2022 - Photo Genaro Bardy

Genaro Bardy

Photographer & Writer

and now I guess… Youtuber

Dad of two, husband of the One

https://instagram.com/genarobardy
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