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5 Leçons de photographie avec Sabine Weiss

Les photographes dont les photos parviennent à m'émouvoir à chaque fois sont rares. Ces rencontres sont précieuses, je tenais à vous partager cette découverte récente de Sabine Weiss.

Sabine Weiss, née Sabine Weber le 23 juillet 1924 à Saint-Gingolph, est une photographe d'origine suisse naturalisée française en 1995. Elle est, aux côtés de Robert Doisneau, Willy Ronis, Édouard Boubat et Izis, l'une des principales représentantes du courant de la photographie humaniste française.

Je ne prétends pas explorer ici l'entièreté de l'immense carrière de Sabine Weiss. Je préfère extraire de mes quelques recherches cinq enseignements qui ont résonné et qui peut-être parleront aux photographes qui lisent ce blog. Sans attendre, voici les 5 leçons de photographie de Sabine Weiss.

Photographe artisan plutôt qu'artiste

Un photographe n'est pas un artiste, c'est d'abord un artisan. Je passais du coq à l'âne en permanence. J'ai fait beaucoup de photographies humanistes, mais je préfère me qualifier d’artisan photographe, car j’ai aussi fait d’autres types de photographies qui requièrent plus de technique. Tout ce que je faisais en couleur, pour la publicité ou la mode, était bien plus compliqué que le noir et blanc à la sauvette !

Sabine Weiss

J'ai gardé en mémoire cette phrase de mon ami photographe Groisillon Alain Roupie : "Je suis un photographe limace, je laisse ma bave partout".

J'ai eu la chance de travailler pour des magazines, pour des associations, dans le voyage ou la voile, avec des enfants, des ados ou des personnes plus âgées, j'ai pu faire des images dans la rue, sur des événements ou en studio, en reportage, en documentaire ou pour de l'actualité. Quelle que soit la situation, c'est toujours passionnant.

Aujourd'hui, j'ai réduit mes activités à l'enseignement à distance et à la production de livres, mais ça n'enlève en rien ma volonté un jour de continuer à me mettre au service d'intentions créatives de clients qui ont besoin de mes photos avec un objectif précis. Du moment que la photo est ma vie, je me considère heureux.

Je garde aussi au creux de mon cœur ce souvenir de voir travailler un autre de mes mentors, Hervé Hugues. À chaque instant, à chaque lieu que nous visitions entre Naples et Séville, il avait cette capacité de produire un volume incroyable de photos remarquables, parfaites. Il semblait savoir répondre à toutes les situations.

Comme Sabine Weiss, je nous crois artisans de l'image, fabricants de photographie. Les projets personnels et artistiques sont fabuleux à créer et accomplir, mais je crois aussi que l'on peut trouver des photos exceptionnelles quand on produit pour les autres.

Je n’aime que les photographies prises dans la rue, au hasard des rencontres, car alors j’étais libre et parce qu’il s’agit d’êtres humains. Mais lorsqu’on me demandait de photographier des ministres, des tableaux ou des usines, je le faisais. Vous savez, je n’ai pas été malheureuse de faire de tout.

Sabine Weiss

Si je le pouvais, je serais dans la rue chaque jour pour rencontrer des gens et des photos. D'ici là, je resterai un artisan de l'image.

Photo Sabine Weiss

Photographier l'instant

Contrairement à Doisneau ou Brassaï, les photographies de rue et les reportages de Sabine Weiss n'étaient jamais mis en scène. Je me retrouve complètement dans cette démarche, même si j'admire cet autre modèle qui consiste à mettre en scène autant que possible, comme Steven Mc Curry.

Toutes les photos que je prends sont entièrement dans l'instant. Ce que j'aime faire est un instantané. Même s'il n'y a personne, j'aime le click, click, click. Je n'attends jamais.

Sabine Weiss

Je crois que c'est avant tout une question de personnalité. Préférer l'instant tel qu'il se présente est un choix qui a des conséquences sur la manière de produire ses photos. Préférer l'instant n'empêche pas de mettre en scène, par exemple pour un portrait, mais cela pousse au maximum à la discrétion si vous voulez vous approcher.

Par ailleurs, je n'hésite pas à prendre des libertés avec la vérité en effaçant certains éléments si cela peut rendre une photo meilleure, et que je ne travaille pas sur un sujet lié à l'actualité (ce qui ne m'est plus arrivé depuis longtemps).

Enfin, en situation de reportage où ma présence est connue et acceptée, comment savoir à quel point la personne devant l'objectif "joue" son rôle? Non, vraiment, ce n'est pas une histoire d'honnêteté, seulement de goût et de procédé. Ce sont simplement les images que je préfère.

Photo Sabine Weiss

Photo Sabine Weiss

Photo Sabine Weiss

La photographie de rue est devenue impossible

Selon Sabine Weiss, il est impossible aujourd'hui de prendre des photos dans la rue tel qu'elle le faisait, prenant exemple du jour où elle a voulu prendre en photo une fillette dans un bistro :

Le père a vu que j'avais photographié sa fille. Ils me sont tombés dessus avec un copain, j'ai dû enlever la photo de mon appareil. Ils m'ont dit, heureusement que vous avez l'âge que vous avez, sinon on vous cassait la gueule.

Sabine Weiss

Je suis en respectueux désaccord. Mon expérience m'a montré qu'il est toujours possible de prendre des photos dans la rue. Je trouve même que la photographie de rue est un art nécessaire qui relate de notre époque, même si les photos sont noyées dans les millions qui sont produites chaque jour.

C'est un fait, la mauvaise compréhension de ce qu'est le droit à l'image et l'évolution parfois très négative de notre rapport à l'image a des conséquences. Mais je crois aussi qu'en expliquant sa démarche, en restant droit dans ses bottes tout en étant pédagogique si nécessaire, on peut produire, garder et publier des photographies prises dans la rue. Même des photos dites humanistes.

Ces photographies sont peut-être devenues plus difficiles, mais pas impossibles.

Photo Sabine Weiss

Photo Sabine Weiss

Photo Sabine Weiss

Le noir et blanc est plus facile

J'ai une passion constante pour le noir et blanc, qui revient fréquemment dans ma vie de photographe par périodes plus ou moins longues. Des photographies en couleur qui résistent à l'épreuve du temps sont pour moi plus rares à trouver et plus difficiles à produire.

J’aime le noir et blanc mais au départ ce n’était pas un choix. Il ne faut pas oublier qu’au début de ma carrière, il n’y avait pas de film couleur. Quand ils sont arrivés, ils étaient lents et difficiles à utiliser. Il fallait des films différents pour l’extérieur et l’intérieur. De plus, on ne pouvait pas mélanger les lumières. Les résultats étaient atroces. Avec les photographes de l’époque, on utilisait donc le noir et blanc car c’était plus rapide mais aussi par habitude. Au final, tout mon travail lucratif de commande est en couleur tandis que mes photographies intimes et personnelles sont en noir et blanc.

Sabine Weiss

Le noir et blanc, d'abord, c'est plus facile à faire. Ca donne l'occasion de surprendre des scènes qui me touchaient plus. Des sujets qu'on voit, qui vous touchent, que vous ne mettez pas en scène. Les gens ne voient même pas que vous photographiez, et s'ils le voient ils sourient. Si vous dites quelque chose, ils posent.

Sabine Weiss

Sabine Weiss nous parle ici d'un temps que beaucoup d'entre nous ne peuvent pas connaître. Le noir est blanc n'est plus une contrainte ou imposé, c'est devenu un choix artistique.

En revanche, je crois qu'il est plus facile d'apprendre la photographie et les particularités de la nature d'une image quand on ne s'encombre pas l'esprit avec la couleur. À titre personnel, j'ai commencé presque exclusivement en noir et blanc pendant quelques années et n'ai développé quelques compétences en couleur qu'en devenant professionnel, croyant (sûrement à tort) que le noir et blanc me limiterait.

Photo Sabine Weiss

Photo Sabine Weiss

Photo Sabine Weiss

Le portrait fugitif

Le portrait est une de mes activités favorites en photographie. Les outils sont les mêmes, mais la pratique est absolument différente, et tout aussi passionnante.

Pour réaliser un portrait, il faut aller vite, c'est très fugitif. Il y a des personnalités qu'on peut diriger, comme Joan Miró, qui avait beaucoup de fantaisies. Par contre, je n'aurai jamais demandé à Giacometti de faire quoi que ce soit. La vie d'un photographe est remplie d'anecdotes.

Sabine Weiss

Pour moi un bon portrait est d'abord une rencontre, il dépende de la qualité de la relation que vous arriverez à établir avec la personne photographiée. C'est aussi une recherche constante et une improvisation permanente avec l'environnement.

J'ai eu la chance de tellement de rencontres merveilleuses en commande pour des portraits, je pourrai ne produire que cela.

Photo Sabine Weiss

Photo Sabine Weiss

Photo Sabine Weiss

Interviews

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https://youtu.be/qKX5fwfGT08

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5 leçons de photographie avec Daido Moriyama

J'ai découvert Daido Moriyama quand je me suis intéressé à Tokyo, alors que je devais m'y rendre pour écrire une histoire et réaliser Desert in Tokyo. Daido Moriyama est certainement une des raisons de mon retour à la photographie de rue comme pratique dominante.

Daido Moriyama dit pratiquer la photographie "instantanée", qui est ce que j'ai trouvé de mieux pour traduire "Snapshot Photography". Icône vivante de la photographie de rue Tokyoïte, on ne compte plus les livres et expositions qui présentent le travail de Daido Moriyama. Cet artiste est une institution au Japon, littéralement à travers la fondation à son nom, tout en pratiquant la photographie qui peut paraître la plus simple à réaliser.

Ses photos semblent prises rapidement, sans chercher la complexité. C'est simple et pourtant percutant, chaque image est pensée et provoque une émotion décidée par son auteur. La photographie de Daido Moriyama montre une physicalité différente de tout ce que j'ai pu observer, dans la manière qu'il a de produire ses photos. Par bonheur, Daido Moriyama propose dans son livre How I Take Photographs de le suivre dans ses pérégrinations Tokyoïte dans 5 quartiers différents, où il détaille sa pratique et sa manière d'appréhender la photographie.

Toutes les citations présentées ici sont extraites de ce livre et traduites de l'anglais par mes soins. Je ne saurai trop vous recommander de vous le procurer si vous voulez commencer à explorer l'œuvre de Daido Moriyama.

À la lecture de How I Take Photographs, plusieurs fois je me suis dit que je n'oserais pas proposer ces photos dans un livre, qu'elles pourraient paraître banales. Et pourtant, en série elles donnent parfois une impression de légèreté, à d'autres moments une pesanteur presque morbide. C'est un monde que je reconnais, et qui est aussi absurde et dur à apprécier. Le monde de Daido Moriyama a quelque chose de simple et rassurant : il est aussi moche que dans mes souvenirs, et aussi beau que la vérité.

Voici 5 leçons de photographie par le grand maître Daido Moriyama.

Le moment accidentel

La photographie instantanée, c'est capturer un mouvement naturel, l'expression de ce qui se trouve devant vous. C'est comme pêcher au filet. Votre désir vous pousse à le lancer. Vous lancez le filet, puis vous ramenez ce qui s'est passé - c'est un moment accidentel.

(...) Prenez des instantanés sur vos trajets quotidiens. C'est un bon moyen de comprendre votre propre pouvoir d'observation sur les choses les plus communes. Prendre des photos, encore et encore, vous entraînera à devenir de meilleurs photographes. (...) Toutes les techniques que vous apprendrez dans la rue peuvent servir en photographie commerciale.

Daido Moriyama - How I Take Photographs

Je préfère nettement la notion de moment accidentel à celle galvaudée d'instant décisif. Une photographie est un accident, car même si je crois composer, anticiper ou vouloir une photographie, je ne sais jamais vraiment ce que donnera le déclenchement. Et je ne saurai certainement pas si l'idée furtive que j'ai eue et qui me poussa au déclenchement donnera une photo qui fonctionne. En photographie de rue, et probablement dans tout autre genre, une photo est un essai bien plus souvent raté que réussi.

C'est pour cette raison qu'il me semble essentiel de pratiquer un maximum dans son quotidien. Cela sert à mieux se connaître, mais surtout cela sert à expérimenter des cadrages, des lumières, des angles ou des points de vue. En tout cas, ce fut ma manière de progresser. Je sais qu'il existe des photographes qui déclenchent peu, je suis définitivement dans les pas de Daido Moriyama sur ce point, boulimique du déclenchement.

Photo Daido Moriyama

Photo Daido Moriyama

Photo Daido Moriyama

L'endroit où vous ne seriez jamais allé

Il y a quelque chose d'unique dans le quartier de Ginza, aussi élégant et luxueux soit-il. (..) Ginza est spécial, propose quelque chose de différent par rapport à des endroits plus rugueux, comme Shibuya ou Harakuju, et spécialement Shinjuku. On ne devrait jamais écarter quoi que ce soit par principe. Particulièrement avec la photographie, vous devez absolument tout essayer. Bien sûr, clairement, tout le monde a ses préférences, et personne ne peut tout aimer. Mais si vous êtes trop pointilleux pour essayer quelque chose de nouveau, vous finirez par passer à côté de l'essentiel.

Daido Moriyama - How I Take Photographs

Je suis un adepte de l'expérimentation, sur les sujets, les lieux, les histoires. Quand je suis bloqué, je me demande où je n'aurais jamais eu l'idée d'aller prendre des photos. S'y rendre est presque toujours une bonne idée.

Une section entière du livre How I Take Photographs est consacrée à Daido Moriyama qui prend la place du passager pendant ses voyages en voiture. Personnellement, je monte toujours à la place du passager quand je le peux. Je m'y sens comme un enfant dans une montagne russe. Je vais voir des choses que je n'aurais jamais vues si je n'avais pas décidé de les photographier. Des formes, des pancartes, des scènes, le monde pressé de partir ou de rentrer.

Il y a quelque chose de nonchalant et paresseux de laisser les photos venir à soi, de ne pas marcher pour aller les chercher. Il faut accepter ce qui vient vers soi, que ce soit des montagnes, des rivières, des autoroutes ou des scènes de rue.

Photo Daido Moriyama

Photo Daido Moriyama

Photo Daido Moriyama

Attention maximale

Je vois beaucoup de jeunes, je suppose des étudiants, avec un appareil à la main qui marchent dans la rue. C'est très bien, mais si vous prenez des photos de manière aléatoire, je ne pense pas que vous arriviez à ce qu'il y a de plus important, qui est d'avoir une compréhension de ce que vous faites, de ce que vous voulez capturer.

Avec un appareil, vous arriverez à faire passer une image ou une autre pour une photo, mais ce n'est pas suffisant, pas sans un minimum de conscience.

C'est pourquoi je dis toujours à mes étudiants de choisir leur sujet et de l'observer attentivement. Donnez d'abord votre attention maximale, et ensuite prenez une photo. Et prenez beaucoup de photos. Parce que vous ne verrez pas ce que c'est à moins de prendre beaucoup de photos.

Daido Moriyama - How I Take Photographs

La photographie de rue, ça démarre comme un diesel. Ça prend un moment pour se mettre en route. Et puis, par l'observation ou la sérendipité, on essaye un cliché. Puis un autre. Puis tiens, et si j'allais là. Oh cette belle lumière. Tiens, comme il est curieux lui. En donnant toute mon attention à la prochaine photographie, je rentre dans cette zone où je vois comme la première fois, où tout devient une image possible. Ce moment de conscience est comme une méditation, seul cet instant compte et je ne veux qu'une chose : voir ce que ça donnera si je déclenche.

Photo Daido Moriyama

Photos Daido Moriyama

Photo Daido Moriyama

Photos Daido Moriyama

Chercher une meilleure photo

Qu'est-ce que j'attends ? et bien... rien de particulier. Juste que quelque chose arrive, n'importe quoi vraiment. Je n'attends pas quelqu'un ou quelque chose de spécifique pour aider ma composition. Mais si vous attendez, peut-être que quelque chose arrivera.

Et ce n'est pas à propos de la lumière non plus. Il n'y a pas de problème avec la lumière - je le sais sans avoir besoin de le vérifier.

Je me concentre uniquement sur le moment. Je pense à chaque instant profondément. Comment est-ce que je vais prendre ces prochaines photos ? Peut être qu'un passant au premier plan serait meilleur ? Peut-être que j'irai dans l'embrasure d'une porte ? Mais je ne vais pas m'obséder avec ça. Je me demande toujours comment est-ce que je vais prendre les prochains clichés. Je considère mes options, et cherche une manière de réaliser une meilleure photo.

Daido Moriyama - How I Take Photographs

Attendre est presque toujours une bonne idée. Et chercher une meilleure photo est pour ainsi dire le seul moyen de la trouver.

C'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet.

Photo Daido Moriyama

L'appareil n'a aucune importance

J'ai toujours dit que l'appareil que vous utilisez n'a aucune importance. (...) Regardez, si vous avez un reflex ou un appareil grand format entre les mains, vous allez inévitablement penser à votre composition. Avec un appareil compact, vous avez juste à viser et photographier. De plus, un appareil si petit a une qualité d'image étonnante. Si les appareils compacts n'étaient que des jouets, et que je n'obtenais pas une image de bonne qualité, je ne m'en serais jamais servi pour tout ce que je fais, ce serait seulement de temps en temps. Enfin, de toute façon je n'ai jamais aimé trimbaler des sacs, des appareils lourds ou des trépieds. Si un appareil est petit, léger, et prends de bonnes photos, et bien que demander de plus ?

Daido Moriyama - How I Take Photographs

C'est une évidence, chaque appareil aura une une incidence sur vos mouvements, il transformera vos prises de vues. Avec un appareil compact, je vise et je déclenche, c'est aussi bête que ça. J'obtiens une liberté de mouvement incomparable.

Photographier uniquement avec un appareil compact me donne une liberté maximale pour m'approcher de mes sujets. Si je n'ai pas l'air d'un photographe, tant mieux, la vanité n'a jamais donné de meilleurs clichés.

J'ai découvert avec l'acquisition d'un Ricoh Gr que Daido Moriyama avait participé à la conception du premier modèle argentique, et qu'il utilisait encore ces modèles, anciens ou récents. Ce n'est pas une surprise, et cela me conforte dans cette décision d'alléger toujours plus le matériel qui m'accompagne au quotidien.

Daido Moriyama dans ses oeuvres

Photo Daido Moriyama

Photo Daido Moriyama

À titre personnel, Daido Moriyama me donne en vie de toujours photographier plus. Plus de noir, plus de couleurs, plus de personnages, plus de mon quotidien, plus de rencontres urbaines de chair, de métal et de béton.

Tout ce qui m'importe est que ce qui est en face de moi soit intéressant ou non.

Daido Moriyama - How I Take Photographs

Pour vous procurer le livre How I Take Photographs , ça se passe par ici.

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5 leçons sur la photographie de rue avec Elliot Erwitt

Photo Elliott Erwitt

Elliot Erwitt est un photographe mondialement connu basé à New York mais constamment en voyage. Il est membre de l'agence Magnum depuis 1958, sa carrière continue depuis plus de 60 ans et il a été exposé dans de nombreux musées prestigieux. Elliott Erwitt est une sommité de la photographie et un grand maître de la photographie de rue.

Ces enseignements seront souvent illustrés par des photographies issues du livre Elliott Erwitt's NEW YORK dont je prends conscience à l'instant en commençant cet article que je possède un exemplaire signé. Je pense en avoir fait l'acquisition lors de l'une de ses expositions à Paris, mais rien n'est moins sûr. Je suis en tout cas un fan absolu du travail d'Elliott Erwitt, de son regard et de sa drôlerie, je ne peux pas imaginer présenter certains grands maîtres de la photographie de rue sans Elliott. Il représente une de mes inspirations majeures en photographie.

Eloge de la sérendipité

La sérendipité est la conjonction du hasard heureux qui permet au chercheur de faire une découverte inattendue d'importance ou d'intérêt supérieurs à l'objet de sa recherche initiale, et de l'aptitude de ce même chercheur à saisir et à exploiter cette « chance ». (Wikipédia)

Les photos d'Elliott Erwitt sont un éloge de la sérendipité, un hymne au hasard heureux et à la chance provoquée. La photographie de rue est une pratique qui est pleine de petits moments anodins, intéressants, curieux. La curiosité, voilà, c'est la qualité du photographe de rue. Et notre curiosité, notre soif de voir est étanchée par la sérendipité qui ne manquera pas d'arriver, si et seulement si nous sortons de chez nous pour faire des photos.

Photo Elliott Erwitt

USA. New York City. 1949.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York. 1968.

Déambuler sans direction ou plan

Que vous soyez en train de découvrir une nouvelle ville ou que vous exploriez en bas de chez vous, laissez-vous porter par l'instinct, ne faites aucun plan. Elliott Erwitt explique régulièrement ne faire aucun plan quand il explore une ville, je crois que c'est la meilleure manière de pratiquer la photo de rue.

Trop souvent j'ai une idée pré-conçue de là où je souhaite aller, de ce que je voudrais voir ou photographier. Mais chaque fois que je décide d'aller photographier et d'avancer sans but ni trajectoire je découvre des scènes merveilleuses, une lumière incroyable ou un sujet inattendu. Ne soyez pas un touriste, restez un explorateur.

Quand j'emmène des groupes à New York, j'aime improviser en fonction de la météo, d'un ferry raté qui me fait aller dans une autre direction, d'envies soudaines ou d'inspirations sur des lieux photographiés par certains que j'admire. Je laisse toujours une place à l'inattendu, je crois que la photographie de rue devrait toujours être pratiquée ainsi.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1953.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1950.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York. 1954.

Ne pas se soucier de la technique

Certaines des photos du livre Elliott Erwitt's New York ne sont tout bonnement pas justes techniquement. Mise au point approximative, notamment sur la photo de couverture ! Flou avec une vitesse qui pourrait paraître trop lente. Les exemples sont nombreux et ne posent aucun problème.

L'émotion passe devant la technique, le moment est plus important que la photo elle-même. C'est une leçon d'humilité et de curiosité, regardons avant de déclencher, observons plutôt que de régler. Et ne regardons pas nos photos quand nous sommes dehors, nous pourrions laisser passer un moment merveilleux.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

Travailler toute sa vie

Tous les moments sont bons, même lors de commandes et de travaux qui peuvent paraître inintéressants. On retrouve dans Elliott Erwitt's New York quantité de clichés issus de son activité de photographe professionnel, des photos qui sont clairement des commandes. Et on trouve des moments de tendresse de son quotidien, des moments de vie de tous les jours. La photographie peut être tellement personnelle, intime, simple et profondément subtile en même temps. La photographie ne s'arrête jamais. C'est pourquoi je croie que pour devenir un meilleur photographe il faut se servir de son appareil tout le temps, toute sa vie.

Elliott Erwitt travaillera littéralement toute sa vie, aussi. Lors d'une interview en 2017 il explique alors à l'âge de 88 ans que ses 4 ex-femmes et 6 enfants ne lui laisseront jamais le temps d'une retraite pourtant bien méritée. Je me sens totalement concerné par cette observation, j'ai commencé bien trop tard et je ne mets jamais d'argent de côté, je sais que j'irai au bout et travaillerai tout ce que je pourrai. Ce qui ne me pose aucun problème, à part de ne pas pouvoir travailler en permanence sur des projets personnels. Mais les commandes sont aussi des occasions de voir autrement et différent.

Photo Elliott Erwitt

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1954. Jazz alto saxophonist Paul DESMOND.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1950.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York, New York. 1954. Third Avenue El.

Ne pas se prendre au sérieux

Les livres d'Elliott Erwitt sont pleins de drôlerie, de moments facétieux. Ces photos ne sont jamais des situations inconfortables ou honteuses, juste une pointe d'amusement souvent mêlée à une infinie tendresse. Ou parfois simplement un chien qui a une sacrée gueule.

Je partage avec Elliott un amour infini des chiens, dont nous sommes les meilleurs amis (et pas l'inverse). Je lui dois également la popularisation du 'Dogview', principe de prise de vues où le photographe se met à la hauteur d'yeux du chien.

La photographie n'est pas une question de vie ou de mort, c'est bien plus sérieux que ça ! Travailler sérieusement sans se prendre au sérieux, voilà un mantra fabuleux à garder des photos d'Elliott Erwitt.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1977.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

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