Histoire, Reportage Genaro Bardy Histoire, Reportage Genaro Bardy

À la recherche du meilleur cacao au monde

Voulez-vous goûter le meilleur chocolat au monde ? C’est en ces termes qui paraissent toujours étonnants que commence mon aventure devant un carré de chocolat Équatorien. Est-il possible de déterminer quel est le meilleur chocolat du monde ? Tous les ans des scientifiques, gastronomes, chefs et des amoureux de chocolat se réunissent pour mettre en compétition des chocolats du monde entier. Ces mêmes scientifiques ont analysé les propriétés gustatives des différentes fèves de cacao qui composent ces chocolats et ont déterminé que parmi les 5 grandes variétés de cacao, la plus savoureuse et la plus riche gustativement se trouve dans la forêt tropicale sud-américaine à l’est de Quito en Equateur. S’il existe un meilleur cacao au monde qui permet de produire le meilleur chocolat au monde, je le trouverai sur ma route et je le goûterai.

On arrive à la création des peuples que par les routes du ciel
— René de Chateaubriand

C’est ainsi décidé et sûr de moi que je prends la route depuis Quito, en direction de la Cordillère des Andes. Cette route depuis Quito vers les plantations de Cacao de la communauté Santa Rita est un merveilleux parallèle des paradoxes de l’Equateur. Quito est dense, agité, parfois majestueux dans son cœur historique. Son identité est difficile à synthétiser, mélange d’architecture coloniale qui nous transporte dans l’Europe de la renaissance, d’une capitale vivante enclavée au coeur des montagnes, de rites africains importés par les bateaux remplis d’esclaves et de ce regard que je croise si souvent, le regard d’un montagnard qui parle peu parce qu’il manque d’air. Quito est à 3 200 mètres au-dessus du niveau de la mer, la moindre marche vous essouffle et depuis que je suis arrivé il m’est difficile de dormir ou simplement de m’acclimater à une vie normale quand chaque geste est un effort.

Je quitte donc Quito et son manque d’air vers ce qui constitue certainement la plus grande réserve d’oxygène de notre planète, la forêt Amazonienne qui déborde du Brésil vers l’est de l’Equateur. Je laisse derrière moi les 2 millions d’habitants de Quito pour un village de 800 personnes. J’abandonne le poids de notre histoire, de nos colonies et de nos guerres pour une tribu ancestrale où les légendes ont des centaines de milliers d’années.

En sortant de Quito, la route de montagne se transforme en quelques kilomètres. L’industrie périphérique de Quito disparaît comme par magie et laisse place à une montagne fascinante, totalement recouverte d’une végétation extrêmement dense, colorée d’un vert foncé qui est bien sombre dans cette journée sans soleil. Ce que je croyais être une brume est en réalité beaucoup plus grand, nous sommes au milieu des nuages, au plus haut point de notre route. A plus de 4000 mètres, nous traversons la Cordillère des Andes. C’est la route que créèrent les conquistadors espagnols à dos de cheval dans l’espoir de découvrir l’El Dorado, ces montagnes d’or que des équatoriens d’aujourd’hui disent avoir inventées pour éloigner l’envahisseur.

Sur l’autre versant, je découvre la forêt Amazonienne. Jusque là je trouvais déjà la végétation dense, mais je comprends très vite qu’ici il est impossible de faire un pas sans un coup de machette. Pendant notre descente chaque kilomètre semble abîmer la route, en quelques minutes nous avons basculé vers un chemin creusé par l’abandon, puis sur une simple piste en terre. Les quelques maisons qui bordent la route ne sont pas terminées, les murs n’ont ni fenêtres ni peintures. A l’approche du village de Santa Rita, je comprends que ce ne sont pas des maisons à l’abandon, mais un village en construction. La civilisation telle que je la connais est en train de sortir de terre. Et au bout d’un ultime chemin où notre voiture ne peut plus avancer, je mets pied à terre et serre la main de Bolivar, mon guide qui m’ouvrira les portes du mode de vie ancestral de sa tribu, les Kichwas.

“Au delà de ce rocher, c’est interdit”

Je suis accueilli dans un baraquement en bambou où les femmes préparent notre déjeuner. Quelques légumes et graines de Jacquier accompagnent un poisson mariné dans une large feuille de palmier. Une fois refermé, l'ensemble est posé sur un feu de bois recouvert de pierres qui réchaufferont nos plats. Tous ceux que je croisent m’accueillent avec un “Aly Puncha”, qui signifie “Que la lumière t’accompagne” et que mon hôte résume en “Bonjour”.

Devant notre poisson cuit, Bolivar m’explique qu’ici à Santa Rita les 800 hommes, femmes et enfants qui vivent sont “100% Kichwas et 100% producteurs de cacao”. Ils exportent dans 48 pays pour les marques de chocolat les plus prestigieuses. Bolivar ne me parle pas seulement comme un chef d’entreprise qui conquiert des marchés, il est vêtu du costume traditionnel imposé pour l’accueil des visiteurs étrangers. Il représente aussi une passerelle entre son territoire, son peuple, et le monde moderne.

Le cacao n’a pas toujours été une fève nécessaire à la transformation en chocolat. Pour les Mayas d’Amérique Centrale les fèves de cacao, l’écorce de l’arbre et la tisane qu’ils en tiraient permettait de combattre différentes affections. Le cacao était un produit précieux qui était réservé aux nobles et aux guerriers, c’était la boisson amère et épicée des dieux. Le cacao est devenu une passerelle avec l’Europe pendant la colonisation des Amériques en devenant le premier ingrédient du chocolat.

En quelques mètres, nous sommes sortis du village qui est la seule zone habitée d’un territoire préservé. Après un pont de liane sur une petite rivière chantante, la dernière hutte du village perchée sur un arbre et quelques pilotis borde un petit lac et domine la vallée. Bolivar m’explique que ce lieu est sacré et que la cabane sert au rituel des chamanes. Je comprends à demi-mot que lui-même devient guerrier chamane quand des visiteurs veulent expérimenter ce voyage spirituel. Bolivar serait un chef de village, guide, exploitant de cacao, guerrier chamane, tout à la fois ? En réalité, très peu de Kichwas s’aventurent jusqu’à la ville la plus proche, encore moins parlent convenablement espagnol. Bolivar est simplement ce lien avec le monde extérieur, pour chaque occasion.

Après une petite côte, la nature est luxuriante, brillante. Les dégradés de verts se perdent à l’infini avec les premiers rayons de soleil de la journée. L’horizon montagneux a disparu, nous sommes totalement entourés de feuilles et de branches sans que je puisse distinguer un arbre d’un autre. La forêt me semblait calme, elle est maintenant franchement bruyante. Les oiseaux, les insectes, quelques animaux que je vois remuer derrière des branchages rivalisent de cris ou de chants pour signaler notre présence.

Au plus haut de la colline, quelques rochers semblent hors de propos, comme posés là s’il était possible de les soulever, plus probablement expulsés il y a quelques millions d’années par un volcan éteint. Mais ces rochers ressemblent à des totems, on peut circuler autour. Bolivar me montre des inscriptions gravées dans la roche depuis 100 000 ans, du temps où les Kichwas étaient nomades, chasseurs et cueilleurs. Ce sont des symboles de fertilité pour les Kichwas qui marquent la fin du territoire. "Au-delà de ce rocher, c’est interdit. Là-bas, c’est le territoire d’une tribu avec qui nous n’avons pas de contact, franchir ce rocher serait vu comme un acte de guerre”.

Le meilleur cacao au monde

Devant ce rocher, à l’ombre d’immenses arbres qui tutoient le ciel, un cacaoyer. Chaque jour, les membres de la communauté de Santa Rita viennent recueillir à l’ombre de ces arbres géants des cabosses jaunes et rouges qui contiennent les fèves de cacao. Bolivar transperce le feuillage et attrape une cabosse. D’un mouvement rapide et calme il la transperce d’un coup de machette et révèle les fruits, les fèves, et un jus de cacao blanc et crémeux. Ce jus est fruité, suave, il nous apporte une fraîcheur nécessaire. Nous n’avons marché que quelques kilomètres mais l’humidité est telle que je suis déjà liquide de chaleur, je bois ce jus comme si ma survie en dépendait.

Une fois rafraîchit, j'observe le cacaoyer, ce petit arbre dont je peux toucher les branches en tendant le bras. Il paraît fragile, chétif par rapport aux arbres qui l’entourent, son bois semble délicat et précieux. J’apprends que cette variété de cacao tient son goût réputé de son mode de culture, cet arbre ne grandit qu’à l’abri de la canopée amazonienne, impossible d’en faire une culture intensive. Ce cacaoyer est dit “Nacional” par les équatoriens qui exportent en Europe et achètent les graines de cacao, pour Bolivar c’est la seule source de vie de sa tribu.

Pour moi, c’est une émotion incroyable. Ce jus de cabosse est mon Eldorado, ce goût précieux que je n’attendais pas. Je pensais explorer un monde d’épices et de saveurs boisées, je découvre un jus vivifiant et sucré. De retour aux abords du village, Bolivar prend une poignée de fèves séchées au soleil et me dit “nous allons faire du chocolat”. Je vais de surprise en surprise, alors que je croyais le chocolat réservé à des processus complexes de torréfaction et de conchage, je vais pouvoir transformer moi-même ces fèves de cacao en chocolat artisanal.

Les fèves de cacao sont chauffées sur le feu de bois qui a servi à notre déjeuner, elles sont ensuite épluchées de leur coque qui craquelle au-dessus du feu, enfin elles sont pilées dans un pot de roche volcanique. Les fèves concassées sont remises au-dessus du feu et mélangées avec de la “Panela”, un sucre de canne naturel, et de la Guayusa, une plante qui ne se trouve que dans cette vallée. Le mélange est chauffé encore quelques minutes et placé sur une feuille de Guayusa que je prends entre mes mains.

Le goût de ce chocolat artisanal est exceptionnel, une explosion de saveurs unique. La sensation est brute, comme si je goûtais à la forêt amazonienne elle-même. Je reconnais des fruits secs comme la noisette, par moment des notes florales, clairement fruitées, et aussi une épice d’un monde inconnu, alors que le sucre s’est transformé en caramel boisé. C’est une saveur incomparable, qui me renvoie instantanément à la raison de mon voyage.

Quelques années plus tôt, dans un hôtel à Paris, je découvrais le travail d’un pâtissier Français qui avait gagné les championnats du monde de pâtisserie. En lui parlant, je découvre que certains cacao proposent des saveurs plus intéressantes que d’autres, du fait de leur origine. J’ai depuis goûté des milliers de chocolats du monde entier, et le meilleur que je connaisse je le découvre à Quito, dans les locaux de Pacari. De Pacari je pars explorer leur plantations de cacao à Santa Rita et découvre la simplicité de la vie des producteurs de l’or brun. J’ai effectué le chemin inverse de ces fèves de cacao, jusqu’au cœur de la forêt amazonienne, pour trouver un arbre, une fève, une tribu et une culture uniques au monde. J’ai entre mes mains le meilleur cacao au monde, celui qui n’existera que pour un instant, le temps que je le savoure.

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Quito en noir et blanc - Film TriX 400

La photographie argentique ne m'a jamais vraiment quittée, j'ai simplement eu une année disons... différente, avec mon installation à Salvador de Bahia. Dans mon déménagement mon Yashica Electro 35 est resté dans un carton chez un ami, ce n'était pas ma priorité et j'emmenais déjà beaucoup de matériel.Lors de mon dernier séjour à New York j'ai sauté sur une occasion chez B&H, un Nikkormat qui fonctionne comme une horloge suisse et un 50mm. J'ai pu retrouver le plaisir du film, le TriX 400 pour ce qui me concerne, ma passion pour le noir et blanc étant à nouveau envahissante depuis que j'ai souhaité sortir un livre sur cette pratique.Et puis à Quito où j'étais pour écrire une histoire pour Serendipia, je tombe sur un rangefinder minuscule que j'ai eu pour une bouchée de pain. Et pour cause, il semble que l'enrouleur fonctionne moyennement, vous le verrez sur la partie droite de certains clichés.Alors me voilà dans les rues de Quito avec 2 boitiers argentiques, et un numérique pour assurer le job qui m'occupait tout de même. Le résultat me plait infiniment, et je dois bien reconnaître que la pratique évolue avec la pellicule. Le rapport au déclenchement est différent, j'ai le sentiment que chaque cliché compte un peu plus, que je fais plus attention à ce que je veux garder ou montrer.J'ai encore quelques difficultés à me régler quand les conditions de lumières sont difficiles. N'ayant de cellule sur aucun des deux boitiers, le plus souvent j'utilise une application sur mon téléphone pour évaluer la lumière et trouver le bon réglage.Mais le rendu est incomparable. Ces scans sont bien sûr intégralement pas retouché, en direct depuis Négatif+ .

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Photographie de rue à Quito

La photographie de rue est un genre à part. En l'opposant à la photographie d'architecture, on définit la photographie de rue comme "une pratique dont le sujet principal est une présence humaine, directe ou indirecte, dans des situations spontanées et dans des lieux publics" (Wikipedia).Cette présence humaine amène le plus souvent vers un cadrage serré où la ville est un contexte suggéré. Pourtant les séquences me semblent laisser paraitre une certaine idée de la ville, que cette séquence soit sur une série, une journée ou un quartier. Cette idée est de voir la ville comme un lieu de vie, qui n'aurait aucun sens si elle n'était pas habitée.J'ai le sentiment de mieux connaitre Quito en photographiant ses habitants, ses travailleurs de la voie publique ou ses visiteurs. Je continue à produire également les photos nécessaires à la commande qui m'amène ici, mais la beauté de la photographie de rue est aussi que ça ne s'arrête jamais. Il y a toujours quelqu'un à voir, une scène à découvrir ou une lumière qui révèle.J'espère que ces quelques photos vous plairont, et si vous souhaitez découvrir une sélection de 10 ans de mes photographies de rue, il est encore temps pour quelques jours de pré-commander le livre "La Ville Miraculeuse", l'objectif est presque atteint et j'espère très fort qu'il puisse voir le jour.

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