La contrainte rend créatif
Le programme L'Étincelle prend fin dans quelques semaines, et tous les participants sont plus ou moins en confinement, que ce soit en France, en Suisse, en Allemagne ou aux Pays Bas.
Je leur propose chaque semaine de commenter leurs photos suite à des exercices créatifs. Beaucoup ont relevé la difficulté à pratiquer la photographie quand on ne peut sortir de chez soi qu'une heure et à un kilomètre pour prendre l'air.
Je sais la difficulté de la situation sanitaire en France et en Europe en ce moment, l'urgence dans laquelle vivent les hôpitaux, les malades qui s'accumulent, et aussi les graves conséquences sur l'économie et la vie quotidienne. La situation au Brésil où je vis n'est pas plus enviable.
Pourtant, je soutiens aux participants du programme que toutes les contraintes du monde ne doivent pas nous arrêter dans notre photographie. Nous ne pouvons pas photographier plus que ce que nous vivons, c'est une philosophie que d'accepter ce qui se présente à nous et c'est un principe que j'encourage à suivre : nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons faire. Si je ne peux photographier qu'ici, j'essaierai d'en tirer le meilleur.
La contrainte comme révélateur
Je dirais même que c'est la contrainte qui rend créatif, si l'on se force à dépasser les limites que nous voyons à nos capacités. Quand on débute en photographie, la limite est technique, l'appareil photo est notre première contrainte. Une fois la technique à peu près comprise, on essaye de remplir le cadre et on commence à penser à comment le remplir, par la composition et la nature si particulière du plan d'une photo. Certaines techniques de composition sont objectivement meilleures que d'autres, quelque soit le genre pratiqué. Bien composer, ce peut être une contrainte.
Si je veux raconter une histoire, si je cherche un principe créatif que je pourrais appliquer sur une série, un projet ou un livre, c'est une contrainte. C'est même toute l'idée des exercices que je donne aux participants à ce programme de formation : je leur donne des contraintes pour révéler une créativité.
Photo Genaro Bardy -
On photographie d'abord ce que l'on vit
À titre personnel, le premier confinement à Salvador de Bahia a duré cinq mois. J'ai commencé par participer au maximum au exercices que je proposais, à la maison. Et puis je décidai de raconter une histoire toute simple, intime, personnelle, car nous attendions la naissance de notre fille Luna. Enfin, j'ai continuer à photographier dès que je sortais, pour la moindre course, même si ça devait être quinze minutes dans un supermarché.
La photo ne s'arrête jamais, et nous aurons toujours des contraintes. Nous avons d'abord les limites que nous voulons bien nous mettre, les raisons que nous nous donnons pour ne pas photographier. Je ne vous dis pas d'absolument proposer un journal de confinement comme tout le monde, je souhaite juste souligner qu'une crise peut aussi être une opportunité. Si vous voulez photographier ou progresser dans votre démarche, vous pourrez toujours le faire. On photographie d'abord ce que l'on vit.
Photo Genaro Bardy
Dépasser ses limites
Depuis quelques mois, j'arrive à m'organiser des journées entières de photographie dans les rues de Salvador, tous les dix jours. J'essaye d'apporter la touche finale au livre dont je vous parlerai bientôt et qui prend forme. Cette semaine, je suis sorti avec une conviction : je ne m'approchais pas assez de mes sujets, des personnes que je rencontrais. J'ai réalisé que le fait d'avoir une go-pro sur le torse pour vous montrer mes shootings me limitait.
J'ai décidé pour la journée d'abandonner la go-pro et d'aller au contact des gens, d'aller leur parler. Je vous rassure, avec un masque et une distance suffisante. En dépassant cette limite, j'ai certainement passé une des meilleures journées de photographie à Salvador, de par la qualité des photos que j'ai réussi à sortir pour mon projet, et pour les rencontres qui m'ont été permises.
Quelque soit la contrainte qui se présente, nous sommes finalement tous seuls à nous mettre des limites. Ces limites doivent nous apprendre à chercher à les dépasser. Il y a des millions de photos à prendre à un instant donné. Tous les choix que nous ferons, les outils que nous choisirons, seront toujours des contraintes. C'est la contrainte qui rend créatif.
Photo Genaro Bardy - Passion parking de supermarché
Le meilleur outil que vous pouvez emmener avec vous
Quel est votre outil préféré, celui que vous emmenez partout avec vous ? Est-ce un petit appareil photo qui tient dans une poche ? un chiffon précieux pour nettoyer votre objectif ? Un porte carte ? Ils sont sans importance, un seul outil compte vraiment en photographie : votre créativité.Dans ma vie précédente j'avais la chance de voyager fréquemment à New York pour mes affaires. Pendant 4 ans je m'y rendais 3 fois par an au moins pour coordonner l'organisation d'un événement. Je passais chaque jour dans des bureaux, en rendez-vous avec des partenaires, des clients, des fournisseurs. Et quand venait le soir, ma seconde vie commençait. J'avais mon appareil photo au fond de mon sac avec une optique en plus, je visitais un nouveau quartier de New York par jour pendant 1h30 avant de trouver un endroit pour diner.Après quelques années d'exploration sans réelle maîtrise de ce que je produisais comme photos, j'ai eu envie de franchir un cap dans ma photographie. Je tombais fréquemment sur une offre de cours particuliers à New York d'initiation à la photographie documentaire, à la construction d'une narration dans sa photographie. Cela me semblait être un excellent début pour franchir ce cap.Me voici donc un samedi midi, après ma semaine de travail, me dirigeant vers ce cours que j'attends avec impatience, décidé à franchir un cap dans ma photographie. Nous avions rendez-vous dans un café au coeur du Chelsea Market, le soleil d'août chauffait le bitume et rendait le ciel presque blanc, mon sac était prêt, mes deux glorieuses optiques bien rangées, mes batteries pleines et mes cartes SD vides.
Saisissez l'inattendu
Après 5 minutes d'introduction de ma professeure, je compris que je m'étais trompé de cours. De photographie il n'était pas question, j'avais à faire à une enseignante en journalisme et en fiction, j'étais à un cours d'écriture.Ma première réaction a été de vouloir lui dire, de lui signifier leur erreur ou la mienne dans mon inscription. Mais je partais le lendemain de New York et je vis également que je ne pourrai pas suivre le cours que je souhaitais avant 3 mois. Je n'ai rien dit, je me suis dit que ce ne pourrait que m'être bénéfique. Je crois que c'est une des meilleures décisions que j'ai prises pour ma photographie.Pendant cette après-midi le long de la High-Line, j'ai appris à observer mon environnement et à le décrire tout simplement. J'ai découvert un monde que je ne soupçonnais pas, simplement en ouvrant mes yeux, en écoutant quelques conversations et en renseignant mon carnet de tout ce qui m'entourait.Je pourrais vous dire que ce carnet d'écriture est l'outil le plus important, que je l'emmène partout avec moi et que vous pourriez en faire autant. Mais en réalité l'outil le plus important, celui qui fera toujours une différence, c'est ma créativité.C'est ce que j'ai appris ce jour là en sortant de ma zone de confort. J'ai saisi cette opportunité de voir différemment, d'apprendre à raconter, de commencer à écouter avant de photographier. Evidemment j'ai pris quelques photos pendant notre exploration de la High Line, elles sont sans importance du point de vue de ma créativité, mais elles représentent pour moi ce moment décisif ou j'apprenais à écouter, à observer et à tenir le journal, écrit ou visuel, de ce qui m'entoure.3 mois plus tard je quittais ce travail que j'aimais tant avec la ferme intention de faire de la photographie ma vie. Et je garde toujours en mémoire cet après-midi ou je compris que le meilleur outil, celui que j'emmène partout avec moi, je l'avais déjà et n'avait qu'à le cultiver.—VA est un programme de 25 articles qui a pour objectif d’enseigner à un(e) photographe débutant à prendre de grandes photos. Rien que ça 🙂
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