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5 leçons de photographie avec Hannah Price

Hannah Price est née à Annapolis, dans l’état du Maryland. Aujourd’hui installée à Philadelphie, cette photographe, mais aussi documentariste a consacré des années de sa carrière à saisir les nuances des identités raciales et des perceptions sociétales. 

C’est en 2014 qu’Hannah Price est diplômée du programme de photographie de la Yale School of Art MFA, recevant le prix Richard Benson pour son excellence en photographie. Au cours des dernières années, les photos de Price ont été exposées dans plusieurs villes des États-Unis, quelques-unes résidant dans la collection permanente du Philadelphia Museum of Art. Hannah est devenue membre de l'agence Magnum en 2020.

Hannah Price a crée de nombreux projets qui ont rencontré un succès, notamment City of Brotherly Love, de renommée mondiale, qui montre les harceleurs de rue (“catcalling” en anglais), que la photographe a rencontré à Philadelphie. 

Dans cet article, j’ai envie de vous faire découvrir Hannah Price à travers 5 leçons de photographie inspirantes.

5 leçons de photographie avec Hannah Price

Avant toute chose, il me paraît important de vous en dire davantage sur le projet Cursed by Night qu’a créé Hannah Price. Cette série a fait l'objet d'une exposition au Philadelphia Photo Arts Center. Voici comment la photographe décrit ce travail :

Cursed by Night est une série où j’ai construit un concept où les hommes noirs sont maudits par la société à cause de la couleur de leur peau. Les images sont en noir et blanc et ont toutes été prises de nuit avec la lumière disponible, ce qui fait que mes expositions durent au moins 8 à 12 secondes. La noirceur de la nuit agit comme une toile de fond et un linceul ; visuellement, mes sujets se fondent dans l’obscurité, mais conceptuellement, ils sont obscurcis par elle, ce qui fait allusion à la perception de la société selon laquelle les hommes noirs sont une menace et sont dangereux. De ce fait, mes spectateurs n’ont pas accès à la personne réelle dans chaque photographie, ce qui leur permet de ne voir qu’en noir et blanc ou d’avoir de la sympathie pour une projection d’une personne.
— Hannah Price

1- La photographie est plus qu’un art, c’est un appel au changement

Je pense que la photographie peut contribuer aux perceptions erronées de la société. Tout dépend de l’esprit du spectateur. Les gens font ce qu’ils veulent et nous ne pouvons pas contrôler les expériences des autres - les gens voient en fonction de leur propre expérience. Personne ne choisit sa vie, son lieu ou ses origines. Idéalement, à mon avis, si la société était plus intégrée, un groupe de personnes diverses pourrait avoir des expériences diverses, et il y aurait moins de problèmes sociaux. Comme j’ai choisi de donner aux gens des photographies, j’essaie de les inciter à réfléchir à ce qu’ils voient devant eux : si leur propre projection est vraie ou non, dans leur situation. Et potentiellement, je les aide à réfléchir à la réalité des images, et à la réalité de ce qu’ils voient dans leurs propres expériences, passées ou possibles.
— Hannah Price

Selon Hannah Price, la photographie peut contribuer aux changements des modes de pensée sociétaux actuels, non pas en montrant ou en dénonçant, plutôt en posant une question et en proposant une réflexion. Elle peut, à son échelle, permettre de faire avancer les choses. Cependant, les points de vue sont tellement différents, à travers nos propres expériences passées ou notre éducation, nous développons des idées souvent bien ancrées. La photographie permet tout de même au public de s’interroger, de réfléchir, de percevoir les différences entre la réalité des images et la réalité de ce qu’ils perçoivent eux-mêmes.

2- Le rôle du photographe est de communiquer pour une cause

Mon rôle en tant que photographe est de communiquer visuellement. Et personnellement, pour Cursed by Night, je veux documenter la vie et la politique tout en ajoutant un concept d’horreur. Le noir est inséparable d’un réseau dense de connotations figuratives presque toutes négatives : impureté, péché, mort, mal. Le profilage racial des hommes noirs existe depuis toujours en Amérique. Utiliser des techniques visuelles pour forcer une conversation sur ce problème social particulier était mon objectif personnel. J’espère surtout faire réfléchir les gens sur leur propre réaction face aux hommes noirs, même si l’œuvre est sombre et présente des hommes noirs innocents sous un jour négatif (ce que fait le profilage racial). Cette imagerie flagrante me permet de parler du concept et de la façon dont il affecte la vie de personnes innocentes - parfois en leur ôtant la vie. Je propose également de parvenir à une compréhension de la différence entre la réalité et les perceptions entretenues par les personnes non noire, ce qui est la seule façon pour nous de contribuer à mettre fin à cette malédiction.
— Hannah Price

L’objectif premier d’Hannah Price dans son projet Cursed by Night est de faire réfléchir et de changer les mentalités sur une cause qui lui est importante et très personnelle. C’est aussi ça, la photographie : communiquer visuellement, avec des images plus touchantes, percutantes et significatives. C’est pour elle, une documentation de la vie, et aussi un message politique. Les techniques visuelles qu’Hannah Price utilise dans ses photographies sont là pour accentuer son propos et dénoncer le problème social qu’elle veut montrer. La technique photographique est au service de son message.

3- La photographie s’apprend, mais surtout, elle se ressent

Je crois être très différente de la plupart des photographes ; je ne prête pas intentionnellement attention à ce qui se passe dans la photographie contemporaine. Je la découvre par hasard sur Internet ou lors de visites occasionnelles de musées. Sauf si je donne un cours, où je m’informe pour informer les étudiants. Pour mon travail personnel, je fais ce que j’ai envie d’exprimer et je me soumets parfois à des opportunités, parfois non.
— Hannah Price

Hannah montre une candeur infinie dans le monde de l’art contemporain, mais je ne pourrai jamais vous conseiller de procéder ainsi. Il me semble primordial de connaître les photographes qui ont travaillé sur le sujet ou le projet qui vous occupe. C’est le seul moyen d’évaluer la qualité de son travail et de vérifier l’originalité du message ou de la proposition qu’il porte.

4- Le quotidien comme inspiration

Les artistes qui m’influencent changent tout le temps. Cependant, je m’inspire surtout de la vie de tous les jours, que ce soit la mienne, celle de ma famille, de mes amis ou de ce que je vois sur le plan politique dans les actualités.
— Hannah Price

Avec les années, personnellement je cherche des influences ou des artistes ou photographes que je prends comme modèles en fonction du projet qui m’occupe. Quand j’ai commencé mon livre sur Salvador de Bahia, je suis devenu boulimique du travail d’Alex Webb, notamment au Mexique où je trouvais des lumières et des ambiances tropicales similaires.

Et depuis l’année dernière avec la résidence à Port Fréjus, j’ai travaillé sur un sujet au long cours qui évolue au fur et à mesure de ma pratique et de l’écriture (encore limitée) de mon prochain livre. Mais j’ai toujours deux ou trois photographes qui sont des références pour mon travail, même quand je suis sur un travail plus personnel.

5- Comment approcher ses sujets

Si je suis intéressée pour photographier un inconnu dans la rue, je l’observe discrètement pour avoir une idée de son caractère et je m’approche lentement de lui en disant “excusez-moi”. Je me présente, je lui dis que je suis photographe et pourquoi je suis intéressée pour le prendre en photo. Cependant, il arrive que les gens me parlent d’abord et que je poursuive la conversation - pour finalement leur demander la permission de les photographier
— Hannah Price

Vous pouvez avoir une approche de la photographie de rue qui laisse plus de chance au hasard et à l’exploration, ou simplement prendre l’habitude comme Hannah d’aller voir les gens et de leur expliquer votre démarche. Personnellement, je fais les deux, en fonction de l’envie du moment ou de la nature de la scène.

Mais si vous refusez d’aller parler au gens ou de les prendre en photo, je crois que vous passez simplement à côté de la meilleure des expériences en photographie : les rencontres, la curiosité et l’empathie. Quelque soit le sujet qui vous occupe, on photographie toujours un peu à propos de soi, et jusqu’à preuve du contraire nous sommes des êtres humains.

Allez parler aux inconnus, vous serez surpris de la gentillesse et de l’amitié que vous rencontrerez, surtout envers des photographes ou des artistes.



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5 leçons, Photojournalisme Genaro Bardy 5 leçons, Photojournalisme Genaro Bardy

5 leçons de photographie avec Raymond Depardon

Raymond Depardon, né le 6 juillet 1942 à Villefranche-sur-Saône, est un photographe, réalisateur, journaliste et scénariste français. Considéré comme l'un des maîtres du film documentaire, il a créé l'agence photographique Gamma en 1966 et est membre de l’agence Magnum depuis 1979.

Je ne prétends pas ici explorer sa carrière de manière exhaustive, je retiens simplement les textes et réflexions qui ont particulièrement résonné en moi. Ces textes sont principalement tirés du livre Histoires de l’agence Magnum.

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Photographier son quotidien

Je venais d’une famille rurale depuis plusieurs générations. Je pense que la photographie était en moi. Un jour je l’ai découvert, c’est devenu plus fort et je m’y suis réfugié. La photographie était devenue vitale. Elle me faisait exister et me permettait d’exprimer ma curiosité. Je sentais à l’époque que la photographie n’appartenait qu’à moi. C’était le seul monde où j’étais heureux.
J’ai pris mes premières photos vers douze ans, avec l’appareil de mon frère. C’était des images des animaux de la ferme, des matchs de football à l’école. Et puis j’avais une incroyable volonté : un jour j’ai appris que Louis Armstrong venait à Lyon, à trente kilomètres. Je suis parti sans autorisation, presque sans argent et j’ai réussi à me glisser près de la scène. Je photographiais mon univers, les copains, les filles, mes parents, la ferme. La photographie m’a d’abord permis de sentir que j’existais. Tout le monde me disait : « Tu pourras me montrer tes photos ? », et cela m’a donné de la force malgré ma timidité et mon inhibition.
— Raymond Depardon

Quelqu’un à qui on n’a jamais dit : “Viens à mon anniversaire, et prends ton appareil photo” ne devrait pas vraiment être autorisé à s’appeler photographe. Mais la photographie est pour moi d’abord un plaisir quotidien, une excuse pour voir ou vivre, une raison de créer un peu tout le temps.

Et puis, une belle photo est aussi une œuvre d’art, au sens qu’elle a le pouvoir “d’arrêt esthétique” dont parle si bien Joseph Campbell. Le photographe a le même pouvoir qu’un guitariste : il peut inspirer et transporter, uniquement par la pratique de son art. Oui, je rêve parfois avoir été photographe pendant mon adolescence.

La photographie est un moyen d’expression, c’est une raison de vivre et la création d’un lien social. La seule vraie question, c’est pourquoi tout le monde n’est pas photographe ? OH WAIT.

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Photo Raymond Depardon - © Magnum

La photographie est une résistance

À l’école, j’étais le seul fils de paysan parce que la ferme de mes parents n’était qu’à un kilomètre et demi de Villefranche-sur-Saône et j’étais donc rattaché aux enfants de la ville. J’en souffrais un peu et j’avais un sentiment de résistance et de colère. Je pourrais résumer ça avec une phrase qu’on entendait beaucoup après la guerre : «S’il n’y avait pas de paysans, vous mangeriez des clous. » Gilles Deleuze parle de la création et de la motivation générées par une résistance ; comment la résistance permet de sortir de soi-même. Et je me dis que c’est la chance que j’ai eue, d’avoir été isolé.
— Raymond Depardon

Raymond Depardon était autant photographe que journaliste, ce qu’il dit très bien plus bas. Cette résistance qu’il évoque est-elle une opinion ou une révolte ? Est-ce que Raymond Depardon montrerait son engagement dans les sujets qu’il traite, plutôt que dans la pratique de la photographie comme art ? Faire de la photographie sa vie, professionnelle ou non, est pour moi une forme de résistance. On ne choisit pas de consacrer sa vie à la photographie par hasard, j’y crois profondément.

Je pense avoir fait le choix de la photographie pour des raisons très personnelles, voire spirituelles, parce que cette pratique est pour moi le chemin qui m’apporte le plus de joie dans ma vie. Mais je l’ai choisie aussi pour résister à ce que je croyais devenir. Les choix au début de ma vie professionnelle correspondait à ce que mes tuteurs voulaient de moi, ou plutôt à ce que j’imaginais qui leur ferait plaisir ou les rendraient fier. Je me souviens avoir voulu travailler dans la communication et la publicité parce que je me disais que je pourrais être au contact de personnes créatives, sans même me rendre compte que je pourrais être cette personne créative.

Quand j’y repense, le plus drôle dans mon parcours est d’avoir travaillé comme commercial pour un studio de photographie sans jamais toucher un appareil ! Quelques années plus tard, je choisissais la photographie comme résistance à la caricature de vie de bureau d’un jeune cadre dynamique qui était devenue mon quotidien.

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Photo Raymond Depardon - © Magnum

La lumière, c’est le bonheur et le cadre, c’est la douleur

Je ne sais pas si la photographie peut changer les choses, mais en tout cas elle donne à voir. Elle permet de mieux se connaître les uns les autres ; et elle me permet de m’extraire des fausses théories sur le monde. Je ne dis pas que j’ai la vérité, mais je pense que cela m’aide à être plus universel, plus tolérant, plus ouvert sur les choses.
Je me souviens d’avoir un jour écrit une phrase sur mes photos de San Clemente, dans des hôpitaux psychiatriques en Italie : « La lumière, c’est le bonheur, et le cadre, c’est la douleur. » La lumière, c’est le bonheur parce qu’on est des chasseurs de lumière, l’essence de la vie repose sur ça. Mais il faut donner un point de vue, faire des choix, et de là vient le cadre.
Mon passé, ma culture, mon parcours, ma solitude, ma vie sentimentale sont des éléments qui déterminent ma façon de cadrer et de voir les choses. C’est assez douloureux.
— Raymond Depardon

La lumière, c’est le bonheur et le cadre, c’est la douleur.
La lumière, c’est le bonheur et le cadre, c’est la douleur.
[Répéter 10X]

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Histoire ou instant décisif

Comme photographe, je me situe plutôt dans la catégorie des raconteurs d’histoires, je suis dans le récit. Je n’appartiens pas à l’école de l’« instant décisif ». [...] Quand nous étions à Gamma, nous étions plus sensibles aux travaux de Don McCullin qu’on voyait dans les suppléments du Sunday Times qu’à ceux des fondateurs de Magnum, qui étaient un peu abstraits pour nous. L’école française, influencée par Cartier-Bresson, ne nous atteignait pas trop dans les agences de presse. J’étais un photographe et un journaliste. Je vivais avec des événements.
— Raymond Depardon

Cette distinction entre ces “écoles” de photographies est intéressante. Est-ce que vous cherchez la photographie parfaite ou est-ce que vous cherchez à mieux raconter des histoires et des histoires plus intéressantes ? Cela me renvoie à cette discussion avec un ami photographe dont je tairai le nom puisque nous parlions d’autres. En quelques mots, d’autres commentaient son travail en disant qu’il ne cherchait qu’à “faire des plaques”, qu’il était un photographe de “singles”. Je ne trouve pas qu’il y ait un quelconque problème avec le fait de chercher des photos uniques, fortes, et d’assembler des livres qui aient des structures narratives qui ne soient pas classiques, comme le ferait plutôt un photojournaliste ou un photographe documentaire.

Pour moi cette distinction est exactement la même qu’en littérature où vous trouverez des écrivains de romans et des poètes. Reproche-t-on à Alex Webb de ne faire que des singles ? Je crois qu’il y a la place pour des dramaturges et des romanciers, pour des Alexandrins et des Haïku. J’aime autant Victor Hugo ou James Joyce que William Shakespear. De même, je respecte autant Alec Soth que Jonas Bendiksen, qui ont pourtant des méthodes narratives assez différentes.

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Le récit que contient une série d’images

Je suis retourné à la ferme [de mes parents] en partie parce que j’avais peur d’oublier. Je voulais rendre hommage à mes parents et je voulais aussi montrer qu’il n’est pas nécessaire d’aller au bout du monde pour prendre des photos. En fait, quand j’étais jeune, à la ferme, autour de moi, devant moi, il y avait des photographies à faire et que je n’ai pas prises et je le regrette. Mais je n’avais jamais vu une photo de Walker Evans, je ne pouvais pas savoir.
[...] La façon dont j’ai travaillé sur la ferme et la façon dont je travaille aujourd’hui ne sont pas celles du photojournalisme. Mais c’est toujours de la narration. Je reste intéressé par le récit que contient une série d’images. La narration peut prendre la forme de photographies sur un mur, d’un livre, d’une carte postale. Cela peut être une histoire différente, racontée différemment, mais elle est influencée par le photojournalisme. Je respecte toujours le photojournalisme. On y a tous cru et il nous a permis de voir le Biafra, Israël ou le Chili. Il nous a permis de voir au-delà de nous-mêmes.
— Raymond Depardon

Quand Raymond Depardon parle de son retour à la ferme de ses parents, dont il tirera le livre La ferme du Garet, je retrouve cette prise de conscience essentielle qui nous amène à photographier ce que nous connaissons le mieux. Ce sont ces photos qui ont le plus de profondeur, et finalement le plus d’intérêt pour les autres.

Si l’on est pas capable de photographier en bas de chez soi, dans son jardin ou dans sa cuisine, comment peut-on prétendre photographier ailleurs ? Un livre photo ne se fait pas en 15 jours de vacances dans un pays plus ou moins exotique. Un projet photo révèle le cœur secret de ce qui est connu.

Photo Raymond Depardon - © Magnum

Photo Raymond Depardon - © Magnum

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Inspiration Inspiration

Martin Parr et les 100 Livres

Est-ce que la vie d'après, ce sera des conversations sur HouseParty et des lives sur Instagram ? En tout cas le pendant en est bien rempli. Parmi les millions de conversations à domicile qui pullulent sur Youtube, je vous invite à observer les échanges entre photographes de l'agence Magnum. Le principe est simple, deux photographes de l'agence tirés au hasard se posent trois questions.

Le hasard est bien fait, il a réuni Martin Parr et David Alan Harvey, deux monuments de la photographie contemporaine.

https://www.youtube.com/watch?v=Lf_XAfZhn_o
Martin Parr vs David Alan Harvey

Voici ce que j'ai appris sur Martin Parr qui m'a surpris ou émerveillé :

Martin Parr a publié 110 livres

110 livres ! Martin Parr travaille sur deux nouveaux ouvrages en ce moment, sa production prolifique n'est pas près de s'arrêter. Probablement que personne au monde n'a toute la collection, à part un musée anglais vigilant.

Je me souviens m'être procuré The Last Resort à la MEP, il est malheureusement laissé derrière moi lors de mon installation au Brésil. C'est un livre que je trouve toujours extra-ordinaire, tellement simple et magique dans le message social qu'il porte.

Martin Parr rappelle ici que le livre est le meilleur véhicule pour la photographie. C'est une certitude, si nous ne travaillons pas sur un livre actuellement, nous passons certainement à côté de l'objectif majeur du photographe.

Allez, juste pour me motiver : à raison de deux livres par an, il me faudrait encore 53 ans pour rejoindre cette production. Franchement avec les progrès de la médecine, c'est jouable.

Martin Parr était enseignant avant de rejoindre Magnum

Je ne vais pas vous mentir, c'est l'information qui m'a le plus marqué dans cette discussion. Avant de rejoindre Magnum et de pouvoir exercer son regard dans les shootings les plus prestigieux, Martin Parr nous apprend que sa principale source de revenu était l'éducation à la photographie.

Parmi ses enseignements, l'exercice à Cuba pendant le Workshop de David Alan Harvey est savoureux :

"Pas de voitures américaines, et pas de jolies filles".

Martin Parr

Depuis que je suis au Brésil, l'éducation est devenue dominante dans ma vie. Pour mon plus grand bonheur, travailler sur des contenus et exercices pédagogiques a certainement fait de moi un meilleur photographe. Mais j'ai toujours dans un coin de ma tête que peut être l'enseignement se mettrait en travers de ma pratique.

Bien sûr que non, on peut être un bon photographe et un bon professeur, en tout cas j'essaye de le devenir. Ce que j'ai vraiment perdu dans la transition, ce sont des commandes commerciales ou institutionnelles. Et je travaille certainement plus sur des projets personnels maintenant.

Collectionné et Colectionneur

Non seulement Martin Parr est extrêmement prolifique, collectionné par les plus grandes institutions, mais il collectionne lui-même les livres photo. Il en a eu de toutes sortes et de tous les genres, ses livres sur l'histoire du livre photo sont remarquables.

On apprend dans cette interview qu'il a vendu sa collection de plus de 13 000 livres au Tate Museum, ce qui lui a permis de recueillir les fonds pour la Fondation Martin Parr.

Je suis rassuré, mon obsession pour les livres photo peut avoir une fin, un jour :)

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Pour conclure, je tiens également à vous renvoyer vers le travail fabuleux de David Alan Harvey, un des photographes que j'admire le plus. Vous pouvez aussi explorer Burn Magazine (en Anglais), qu'il dirige.

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Comment travailler votre jeu de jambes en photographie de rue

La principale caractéristique de la photographie professionnelle qui me surpris quand je commençais à vivre de la photo : sa physicalité. C'est aussi pour cette raison que j'ai choisie et poursuivie cette carrière, mais j'ai tout de même été étonné par ce que les prises de vue peuvent demander en énergie, à quel point elles peuvent être épuisantes.

La photographie de rue est une performance physique

En photographie de rue, une des premières vidéos que j'ai regardé sur le sujet montrait Henri Cartier-Bresson en train de danser comme un pantin funambule autour d'un passant dans les rues de Paris. J'étais débutant en photographie et passionné par Henri Cartier-Bresson, je regardais ses arabesques du corps comme un moustique fasciné par une flamme d'allumette.

J'y vois maintenant autre chose : de la composition. Pour mieux connaître la photographie, je reconnais maintenant la recherche d'un moment, d'un bon cliché pour un sujet qui l'a intéressé.

Regardez ses jambes, ses pieds, vous verrez le lien direct entre la composition et le mouvement du corps. Les photos, c'est comme les crêpes, elles ne vont pas se faire toutes seules. Et comme une poêle a besoin d'être bien beurrée, le photographe a besoin de travailler son jeu de jambes.

Le moment parfait est une recherche

Contrairement au peintre qui plante ses pieds dans la vase en misant tout sur son jeu d'index, l'auriculaire levé vers le ciel, le photographe est un animal prédateur. L'oeil vif, la bave aux lèvres et parfois le flash haut perché, il chasse le 1/125 de secondes qui fera mouche.

Si la photographie est physique, le cliché parfait, lui, est une recherche permanente. La cause est toute simple, expliquée dans cette phrase de Raymond Depardon qui devrait être tatouée sur l'épaule, à côté d'un triangle d'exposition :

Si je savais comment faire des grandes photos, je ne ferais que ça.

Raymond Depardon

La pratique de la photographie est une recherche, on ne décide pas d'avoir une grande photo. On en a l'intuition, mais en réalité chacun de nos déclenchements est un espoir. Quiconque a édité quelques milliers de clichés sait qu'une grande photo est une rareté, dont on ne maîtrise pas vraiment la production.

Pour chercher, il faut marcher. Si je voulais vous donner une méthode simple de recherche et de composition en photographie de rue, quelle que soit la scène, l'événement ou la situation :

  • Commencez par déclencher tout de suite tout droit ce que vous avez vu d'intéressant, en essayant de composer à la volée. Le Giga Octet ne vaut rien, profitez-en ;

  • tournez autour de votre sujet. L'angle à 45° de chaque côté, plongée, contre plongée, 90° de chaque côté et puis allez vérifier de l'autre côté, selon d'où vient la lumière ;

  • combinez tout cela avec 3 valeurs de plan : plan large, plan moyen, plan serré. Avoir un zoom ne facilitera rien, il faudra souvent vous approcher, parfois vous éloigner.

Voilà comment pour une seule et unique photo, je viens de résumer 37 clichés différents, tous pris depuis un endroit différent (vous pouvez compter). Évidemment cette théorie est impossible, pour la simple raison que les moments intéressants passent trop vite.

En réalité, avec l'expérience vous aurez travaillé un arsenal de compositions avec lesquelles vous serez à l'aise et vous arriverez à réduire le nombre de clichés à prendre, parce que vous saurez quand vous en aurez un bon instantanément, au déclenchement. Vous travaillerez seulement quelques valeurs de plan pour pouvoir éventuellement raconter cette petite histoire de différentes manières. Et puis vous aurez rarement plus de deux angles intéressants sur une scène.

La composition, c'est le jeu de jambes

Mais le jeu de jambes, lui, sera toujours là. Il sera au service de votre composition, de cette recherche. On pourrait même juger du talent d'un photographe uniquement en le regardant bouger.

Et d'ailleurs, c'est possible et c'est même tout simple. Le jeu de jambes d'un photographe peut et doit s'étudier. Tout comme je vous conseillerais de vous entraîner à regarder des photos en analysant les éléments techniques employés, notamment la focale ou la distance au sujet ; je vous recommande d'étudier et d'analyser le jeu de jambes d'autres photographes.

Comment ?

Et bien la qualité d'un photographe se juge sur une planche-contact, ou sur une série de 36 déclenchements si vous travaillez avec un appareil électrique et une carte mémoire plutôt qu'une pellicule.

La planche-contact dit tout du photographe. Comment il a bougé, ce qu'il a vu, quand il a déclenché, s'il a eu besoin de rafale. Plan large, plan moyen, plan serré, tout y est.

Pour commencer à étudier des planches contact, je vais vous renvoyer vers un livre, encore. Il vous permettra d'étudier le travail, et donc aussi le jeu de jambes de certains des plus grands photographes au monde : ceux de l'agence Magnum dans le livre Contact Sheets. (Le lien est vers la version US, la VF étant à plus de 200€).

La planche-contact pour étudier le mouvement du photographe

À force de recommander des livres, je vais finir par créer un Photo-Book Club par abonnement avec un livre par mois. Et si c'était une bonne idée ? Note pour plus tard : créer un Photo-Book Club.

Commençons par étudier une photo iconique d'un de mes photographes préférés, le Chihuahua d'Elliot Erwitt.

Elliot Erwitt, contact sheet for “Chihuahua,” New York City (1946) (© Elliot Erwitt / Magnum Photos)

La séquence est merveilleuse. Elle commence par deux femmes qui se parlent devant un diner (restaurant) au coin d'une rue de Manhattan, l'une d'elle portant son adorable petit chien. Le premier cliché capturé est un plan moyen, testé en plusieurs versions. Les premières photos ont manifestement déclenché une discussion du photographe avec ces deux femmes, s'ensuit une série de plans serrés, avec la complicité de la propriétaire du Chihuahua qui participe à la séance photo en le posant au sol.

Notez que le cliché retenu par Elliot Erwitt est très largement recadré, au nom d'une composition parfaite. Cette planche-contact me replonge dans mes innombrables rencontres en Toscane ou à New-York qui ont eu pour cause ma passion infinie pour les canidés, mais je m'égare.

Poursuivons sur un sujet plus difficile, avec les évènements de mai 1968, sous l'oeil de Bruno Barbey.

Bruno Barbey, contact sheet for student protests in Paris (1968) (© Bruno Barbey/Magnum Photos)

La séquence permet d'appréhender le travail dans le cas d'un événement, où les scènes sont en mouvement permanent.

La planche-contact commence au plus près des policiers, dans leur dos. Elle se poursuit avec une série de plans larges interrompus par quelques manifestants qui passent devant le photographe. Puis une charge de police occupe le photographe sur 4 clichés. La séquence se termine sur une barricade.

Notez déjà comment chacune des photographies est rigoureusement composée, quelle que soit la valeur de plan. Vous pouvez ensuite apprécier directement le travail d'édition, le choix des photos les plus fortes et le ratio, implacable : 6 photos retenues sur une séquence de 36. C'est le ratio d'un grand maître, à plus forte raison quand j'aurais aisément gardé les 32 autres.

Terminons enfin l'exercice sur une photo du premier livre de Martin Parr, Last Resort.

Martin Parr, contact sheet for The Last Resort (1985) (© Martin Parr / Magnum Photos)

Cette mini planche-contact montre en huit photos comment Martin Parr a travaillé les scènes et exploité la sérendipité inhérente au procédé photographique. Il utilise ici cinq clichés en étant positionné au même endroit. Il travaille la scène avec une seule valeur de plan, et ne garde qu'un cliché, celui où la femme se retourne.

Appliquez ces principes dans l'analyse de vos photos

Il ne vous reste plus qu'à vous procurer Magnum Contact Sheets si vous souhaitez étudier la manière de travailler de certains des plus grands photographes du 20e siècle.

Vous pouvez également analyser vos séries de clichés pour identifier les manques en composition ou les mouvements que vous auriez pu créer. Puis vous pourriez commencer à identifier votre ratio de photos gardées, non pas pour moins déclencher, plutôt pour varier les valeurs de plan et mettre en pratique lors de votre prochaine session, avec votre jeu de jambes.

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Le meilleur livre photo au monde est disponible à -50%, mais pas pour longtemps

interieur livre Magnum planche contact

Comment définiriez-vous le 'meilleur livre photo au monde' ? Pas facile. Il faudrait réunir plusieurs paramètres assez rares :

  • Présenter le travail de plusieurs photographes au talent incontestable ;
  • Les périodes couvertes sont étendues, les sujets sont divers ;
  • Le travail de chaque photographe est commenté, expliqué, analysé en profondeur ;
  • L'objet est magnifique, j'ai envie d'y retourner régulièrement.

Et bien le livre qui réunit tous ces critères existe. Il s'appelle Magnum : Planches-contactsNon seulement ce livre est massif et splendide, l'impression est remarquable, mais la manière dont le travail des photographes de l'agence Magnum est présenté est unique en son genre. Les planches contacts de chaque série de photos permettent littéralement de rentrer dans leur tête, de voir leurs déplacement au moment des prises de vues. Vous pouvez découvrir s'ils composent un cadre et attendent la scène parfaite ou s'ils suivent un sujet dans ses déplacements, les choix de photos de leurs éditeurs ou d'eux mêmes, les photos qui n'ont pas été retenues, celles qui ont été en balance...Ce livre est un beau livre, très beau même, il représente surtout une école de photo-journalisme à lui tout seul. Et comble du bonheur, il en reste 4 exemplaires à - 50% au moment où j'écris ces lignes à l'Hôtel de Ville de Paris à l'exposition Magnum, dont l'entrée est gratuite et ouverte à tous jusqu'au 31 mars 2015. Cette expo est d'ailleurs remarquable si vous aimez les photos de Paris en noir et blanc.

Planche contact d'Elliott Erwitt pour la photo "Kitchen Debate" avec Khrouchtchev et Nixon

Une photo publiée par Genaro Bardy (@naro1) le

 Le meilleur livre photo au monde (pour moi) est donc à 50€ au lieu de 100€. Je n'ai pas hésité une seconde j'en ai pris un exemplaire, il en restait 4 quand je suis parti samedi, je serais vous je courrais m'en procurer un.Tiens, il en reste encore un exemplaire aussi sur Amazon à ce prix-là, vous pouvez-même vous faire livrer :)

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