Comment s'approcher en Photographie de Rue

S'approcher des inconnus que l'on rencontre en photographie de rue est l'une des choses les plus difficiles à accomplir dans tout type de photographie, pour une raison simple: la peur.

Quand nous débutons en photographie de rue, nous ne savons pas comment les gens vont réagir, nous ne voulons pas gêner ou être vus comme des intrus. Et surtout, cela peut sembler bizarre d'admettre que oui, nous sommes en train de prendre cette photo. Même si nous en avons le droit, même si c'est dans un lieu public, nous ne voulons pas ressembler à ce que certains prennent pour un voleur.

Alors pourquoi recommander de s'approcher de plus en plus de vos sujets en photographie de rue ? Pour une autre raison simple : l'empathie. Vous rapprocher de vos sujets vous permettra de montrer plus d'empathie dans votre photographie. On perçoit mieux ce que ressent le sujet dans ce type d'images. On se sent plus proche (duh!), plus intime, on peut tellement mieux comprendre la personne ou à la scène que l'on regarde. C'est vrai en portrait, c'est vrai pour toute photographie éditoriale, et c'est vrai en photographie de rue, où le sujet principal n'est pas la rue mais ceux qui la fréquentent.

Le photographe légendaire de l'agence Magnum Robert Capa a eu cette phrase restée à la postérité :

Si vos photographies ne sont pas assez bonnes, vous n'êtes pas assez près.

Robert Capa

Alors, comment vous rapprochez-vous des personnes que vous croisez en photographie de rue ? Vaincre cette peur est aussi l'un des thèmes principaux des ateliers de photographie de rue que je mène à Paris, Londres ou New York, et je voulais vous donner aujourd'hui 3 conseils que vous pouvez appliquer rapidement dans votre photographie.

Les photos sur lesquelles je m'appuie et que vous pouvez voir ici ont été prises la semaine dernière dans le quartier de Bonfim à Salvador de Bahia où je vis, mais vous pouvez appliquer ces principes n'importe où. Je vous montre dans la vidéo beaucoup de photos que je ne garderai pas, pour que vous puissiez voir à quel point il est possible de s'approcher.

3 conseils pour s'approcher en photographie de rue

Faites partie de la scène

Parlez aux gens, obtenez des informations sur ce qui se passe devant vous. Les autres vous verront en train de photographier mais si vous faites connaître votre présence, vous faites maintenant partie de la scène, vous devenez un personnage de l'histoire. Vous êtes le photographe.

Je ne suis pas quelqu'un qui reste silencieux ou neutre quand je photographie, je vais parler aux gens autant que je peux. Pour clarifier les choses, je ne parle pas tout le temps à tout le monde et la plupart du temps je prends ma photo et passe mon chemin. Mais si je veux me rapprocher, j'irai souvent parler aux gens et je demanderai simplement ce qui se passe.

Plus vous en saurez sur un sujet, meilleures seront vos photos. Si vous voyagez et que vous photographiez dans une nouvelle ville, demandez simplement aux personnes qui y vivent de vous raconter leur histoire ou celle du lieu, et continuez à photographier tout en parlant. Vous serez surpris par le genre d'images que vous obtiendrez ainsi.

Pour mieux capturer cette scène avec ce cheval abandonné, je suis simplement allé parler aux gens.

Ne ressemblez pas à un photographe

Si vous vous approchez très près des gens pour prendre des photos, cela vous aidera tellement de NE PAS ressembler à un photographe. Si vous ressemblez à ce que les gens pensent être un photographe professionnel, ils vous demanderont pourquoi vous photographiez et ils risquent de gâcher une scène simplement en étant conscient de votre présence.

C'est la raison pour laquelle les appareils compacts sont si populaires en photographie de rue. Si vous êtes discret et que vous ressemblez à n'importe qui, vous n'aurez généralement aucun problème à prendre des photos très près.

En ce qui me concerne, je suis un gringo à Slavador et mon portugais n'est pas parfaitement courant. Avec un appareil photo compact, je ressemble à un touriste et la plupart des gens ne font pas attention au fait que je prenne des photos.

Utilisez donc des appareils compacts, et éventuellement un sac photo très léger, évitez les gros reflex et les zooms. Quant à moi, j'essaye de ne prendre aucun sac. J'ai juste un Ricoh GRII et maintenant une Gopro sur la poitrine pour pouvoir vous montrer ma production.

Une bonne tête de touriste masqué

Commencez par demander la permission

Si vous avez trop peur de vous lancer et de vous rapprocher des gens, mon conseil serait de commencer par demander la permission. Si vous débutez en photographie de rue, commencez simplement par faire des portraits. Lorsque vous voyez quelqu'un d'intéressant, allez le voir, montrez votre appareil photo et demandez en souriant si vous pouvez faire un portrait.

Déjà, vous serez surpris du nombre de personnes qui seront simplement d'accord et vous demanderont probablement d'envoyer la photo. Ensuite, cela vous habituera à parler et à interagir avec des inconnus.

Lorsque vous avez fait cela plusieurs fois et que vous êtes plus à l'aise avec le processus, arrêtez de demander la permission avant de photographier. Commencez à prendre des photos pendant que vous approchez quelqu'un, si vous êtes repéré en train de prendre des photos, alors vous demandez la permission de photographier et de faire un portrait. Et juste comme ça, vous serez passé de l'autre côté du miroir, où vous serez très proches de vos sujets.

Lire la suite

Combien de bonnes photos sur une journée de photographie de rue ?

https://www.facebook.com/genaro.bardy.photographer/videos/353961449121316/

Photographie de rue à la première personne - Salvador de Bahia, Pelourinho

Combien de bonnes photos obtenez-vous en une journée de photographie de rue ? Cela va dépendre de la manière dont vous allez définir ce qu'est une bonne photo.

En ce qui me concerne, si je reviens d'une sortie en photographie de rue avec une seule bonne photo pour un projet, je m'estime heureux. Également, sur un voyage photo je suis heureux si j'ai une bonne photo par jour. Bien sûr, je ne parle pas de photos "convenables', dont je pourrais me servir pour un client.

Si je photographie pour un client, je produirai et enverrai beaucoup plus de photos acceptables, qui fonctionnent. Je serais un photographe très cher si je n'étais capable de livrer qu'une seule photo par jour à un client. Alors, comment j'arrive à ce ratio d'une bonne photo pour une journée de prise de vues ?

Je vois 3 différents niveaux de qualité en photographie :

  • Les photos qu'un magazine pourrait acheter. Ce sont des images professionnelles qui racontent parfaitement l'histoire d'un client. Ces images sont parfaites à bien des égards, elles servent simplement l'histoire d'un autre, que ce soit un client ou d'un média. C'est l'étalon basique pour analyser ses photos : demandez-vous "est-ce que je pourrais voir cette photo dans un magazine ?". Si la réponse est non, c'est que vous avez encore du travail.

  • Des images qui pourraient être dans un livre ou une exposition. Ce sont vos meilleurs travaux, les 10-15 images parfaitement conçues et qui fonctionnent entre elles. Ce sont les photos qui tiennent au mur et qui ensemble racontent une histoire ou un projet. Ce genre de photos, je suis content si j'en ai une par jour.

  • Le troisième et dernier niveau, ce sont les photos qui ont leur place dans un musée. Je ne pense pas que vous puissiez décider d'en produire. Ce sont des images avec une vie qui leur est propre, ce sont les autres qui vous demandent de les voir. La plupart d'entre nous n'en produirons probablement jamais, en tout cas ça ne me préoccupe pas plus que ça puisque je ne décide rien ici.

Alors quand je travaille sur livre photo, ce qui est le cas dans le petit film que vous pouvez voir plus haut, je vise le 2ème niveau. Les photos sur lesquelles je peux revenir avec plaisir, celles que je peux accrocher sur un mur. Si je ne suis pas à ce niveau là, je ne considère pas les photos pour mon livre.

Cette vidéo est tournée au Pelourinho, la vieille ville de Salvador de Bahia, où j'habite. J'y suis allé pour prendre des photos d'innombrables fois, c'est mon endroit par défaut où je traîne pour prendre des photos de rue. Et j'ai la chance d'avoir obtenu ce jour-là une photo parfaite pour mon projet, pour le livre sur lequel je travaille.

Photo Genaro Bardy

My Soul so Cool from the Bath of Light - Salvador de Bahia, Pelourinho - Sept 2020

Pour aller plus loin :

Lire la suite

La photographie est l'expression d'un désir

Alors que j'étais en train de préparer le dernier module de formation du programme L'Étincelle, je tombe dans mes recherches deux fois sur la notion de désir en photographie, à quelques heures d'intervalle dans "On Composition and Improvisation" de Larry Fink et "How I Take Photographs" de Daido Moriyama.

Ces deux passages m'ont intéressé, chacun à leur manière. C'est donc l'occasion pour moi de vous les retranscrire et de partager quelques photos des deux remarquables photographes qui en sont les auteurs.

Larry Fink et l'immédiateté du désir

J'aime m'approcher, donner un sentiment d'intimité. Ce n'est pas seulement à quel point je suis proche de mon sujet, mais aussi à quel point je me sens proche. Le critique John Berger écrivait ceci dans son essai à propos de Caravage. Il suggère que son travail est à propos de l'immédiateté du désir, et je dirais que cela est également vrai dans mon travail. L'appareil photo peut faire ressortir un antagonisme ou le narcissisme intense du sujet. Le sujet peut faire l'amour à la caméra. Le sujet peut faire la haine à la caméra. Ils peuvent lui faire nombre de choses.

Ce que j'essaye de faire est de percer ce qui est hostile ou harmonieux dans notre relation et d'aller au cœur de ce qui crée cette énergie. Ceci implique d'être connecté à l'émotion ou à la sensualité. Je ne parle pas de sensualité comme un désir sexuel ou d'une répulsion à un niveau superficiel. Je parle des sens - tous les sens - du bout des doigts jusqu'au bout de la langue.

Larry Fink

Daido Moriyama dans ce monde inconnu et étranger

Quelles capacités sont les plus utiles à un Photographe de rue, dans ce monde inconnu et étranger ? [...] Bien sûr un œil aiguisé est fondamental. Et bien sûr vous devez être vigilant, sensible, réactif, à l'aise dans votre corps, pour pouvoir répondre aux stimuli autour de vous immédiatement.

Mais au-dessus de tout, vous devrez avoir du désir. Ce désir que le photographe doit sentir au moment où il déclenche. Si vous n'avez pas de désir, vous ne verrez pas ce qui est devant vous. Je parle du désir que l'on ressent au moment qui vous pousse à déclencher. Le désir est tout autour de nous, il y en a une quantité disponible gigantesque, infinie.

Il est important d'être vrai vis-à-vis de ce désir. Pour prendre une photographie qui est digne de tout cet intérêt et pleine de sens, vous devez devenir un avec ce désir quand vous déclenchez.

Daido Moriyama


Que serait la photographie, si elle n'était pas l'expression d'un désir de son auteur ?

Lire la suite

Aurez-vous toujours peur de photographier dans la rue ?

Depuis quelques jours il est à nouveau possible en France de sortir de chez soi sans permission. Pas pour toutes les régions, dans un rayon de 100km et sous certaines conditions pour les transports publics ou les écoles. On est pas sortis des ronces.

La bonne nouvelle, c'est qu'une bonne partie d'entre vous avez maintenant la possibilité de sortir de chez vous pour photographier. Fini les séances d'auto-portraits à la fenêtre ou de lamentation sur notre appareil photo qui prend la poussière.

Est-ce que ce déconfinement amènera plein de photographes dans la rue ? Probablement pas. Et ce pour une raison très simple : la peur.

La photographie de rue est la raison d'être principale de mes formations, c'est une expertise qui est peu enseignée. Et dans cette discipline, le principal frein au progrès ou même à simplement essayer est LA PEUR. Oui, j'aime bien penser que la photographie est un sport, qu'un genre photographique est une discipline et une photo une performance. Ça ne change rien à l'histoire, c'est juste une manière de me motiver.

Je suis donc prêt à parier que nous ne verrons pas beaucoup plus de photographes de rue dans les jours à venir. Mais si je peux vous aider sur la peur, je ne vais pas me priver.

Voici 3 méthodes qui doivent vous aider sur vos peurs. Je limite à 3 pour que vous puissiez les pratiquer rapidement.

Demandez la permission

Il pourrait paraître étonnant de conseiller de demander la permission en photographie de rue. Est-ce que je ne perds pas un moment authentique en réalisant un portrait ?

Alors, déjà non. Qui a dit que la photographie de rue devait toujours être volée ? Personne. Ou j'men fous.

Et puis nous sommes là pour travailler sur la peur de photographier des inconnus. Le meilleur moyen de progresser sur la peur est de s'y confronter, d'aller vers les autres, vers quelqu'un qui vous intéresse, sans forcément lever son boitier ou lui mettre dans le nez.

Allez vers quelqu'un dont vous aimeriez une photo et dites :

  • "Bonjour, j'étudie la photographie. Est-ce que je pourrais prendre une photo de vous ?"

Ou toute autre version que vous trouvez polie et agréable. Vous avez le droit de sourire quand vous vous approchez ;)

Quand vous aurez demandé 10 fois la permission, vous verrez que la peur de photographier commencera à s'atténuer.

Pelourinho, Salvador de Bahia 2020 - Photo Genaro Bardy

Posez des questions

Passez du temps avec les personnes que vous photographiez. Vous en apprendrez plus sur eux, vous verrez plus d'attitudes et de détails dans leur comportement, tout ce que vous pourrez utiliser dans vos photos.

Posez des questions simples, comme si vous essayez de comprendre en 5 minutes qui ils sont et ce qui les intéresse. Ce sera perçu de manière amicale dans 90% des cas, et dites-vous que c'est légitime puisque vous avez déjà demandé si vous pouviez prendre des photos. Vous êtes photographe :)

Proposez toujours d'envoyer la photo plus tard, prenez les coordonnées des personnes dont vous avez le portrait. Et puis envoyez effectivement la photo ! Je suis parfois coupable sur cette partie.

L'idée ici est de vous faire travailler votre scène pour aller chercher de meilleurs clichés.

Pelourinho, Salvador de Bahia 2020 - Photo Genaro Bardy

La règles de 3

La règle de 3 est simple :

  • Quand vous voyez quelqu'un d'intéressant, vous avez 3 secondes pour faire 3 pas en avant et déclencher

Les moments intéressants en photographie de rue passent trop vite :

  • Soyez prêts sur vos réglages,
  • Observez avec toute votre attention,
  • Quand vous avez une intuition, ne réfléchissez pas,
  • Marchez en direction de votre sujet et déclenchez.

L'idée est de ne pas laisser le temps à de fausses excuses. La peur viendra toujours par des chemins de travers : "j'ai pas le bon réglage", "il avait l'air bizarre", "je suis trop loin"...

Ne laissez pas le temps à la peur de s'installer et de justifier l'abandon de cette pratique. C'est difficile, mais ça ira mieux à partir de la 3ème fois.

1 pas en avant, 2 pas en avant, 3 pas en avant, déclenchez. En 3 secondes.

Pelourinho, Salvador de Bahia 2020 - Photo Genaro Bardy

Si vous ne le faites pas pour vous, faites le pour moi

Ironie de l'histoire, alors que nous sommes à la maison depuis deux mois, le confinement strict arrive à Salvador de Bahia, dans notre quartier. Les statistiques du Covid-19 ne faiblissent pas, malgré la fermeture de tous les commerces et écoles. Je vais donc continuer à shooter à la maison...

Mais j'espère bien voir vos photos, où que vous soyez ! Vous avez un site ou un compte Instagram où vous partagez vos photographies de rue ? Laissez-le en commentaire, je serai heureux d'aller voir ça.

Lire la suite

Comment travailler votre jeu de jambes en photographie de rue

La principale caractéristique de la photographie professionnelle qui me surpris quand je commençais à vivre de la photo : sa physicalité. C'est aussi pour cette raison que j'ai choisie et poursuivie cette carrière, mais j'ai tout de même été étonné par ce que les prises de vue peuvent demander en énergie, à quel point elles peuvent être épuisantes.

La photographie de rue est une performance physique

En photographie de rue, une des premières vidéos que j'ai regardé sur le sujet montrait Henri Cartier-Bresson en train de danser comme un pantin funambule autour d'un passant dans les rues de Paris. J'étais débutant en photographie et passionné par Henri Cartier-Bresson, je regardais ses arabesques du corps comme un moustique fasciné par une flamme d'allumette.

J'y vois maintenant autre chose : de la composition. Pour mieux connaître la photographie, je reconnais maintenant la recherche d'un moment, d'un bon cliché pour un sujet qui l'a intéressé.

Regardez ses jambes, ses pieds, vous verrez le lien direct entre la composition et le mouvement du corps. Les photos, c'est comme les crêpes, elles ne vont pas se faire toutes seules. Et comme une poêle a besoin d'être bien beurrée, le photographe a besoin de travailler son jeu de jambes.

Le moment parfait est une recherche

Contrairement au peintre qui plante ses pieds dans la vase en misant tout sur son jeu d'index, l'auriculaire levé vers le ciel, le photographe est un animal prédateur. L'oeil vif, la bave aux lèvres et parfois le flash haut perché, il chasse le 1/125 de secondes qui fera mouche.

Si la photographie est physique, le cliché parfait, lui, est une recherche permanente. La cause est toute simple, expliquée dans cette phrase de Raymond Depardon qui devrait être tatouée sur l'épaule, à côté d'un triangle d'exposition :

Si je savais comment faire des grandes photos, je ne ferais que ça.

Raymond Depardon

La pratique de la photographie est une recherche, on ne décide pas d'avoir une grande photo. On en a l'intuition, mais en réalité chacun de nos déclenchements est un espoir. Quiconque a édité quelques milliers de clichés sait qu'une grande photo est une rareté, dont on ne maîtrise pas vraiment la production.

Pour chercher, il faut marcher. Si je voulais vous donner une méthode simple de recherche et de composition en photographie de rue, quelle que soit la scène, l'événement ou la situation :

  • Commencez par déclencher tout de suite tout droit ce que vous avez vu d'intéressant, en essayant de composer à la volée. Le Giga Octet ne vaut rien, profitez-en ;

  • tournez autour de votre sujet. L'angle à 45° de chaque côté, plongée, contre plongée, 90° de chaque côté et puis allez vérifier de l'autre côté, selon d'où vient la lumière ;

  • combinez tout cela avec 3 valeurs de plan : plan large, plan moyen, plan serré. Avoir un zoom ne facilitera rien, il faudra souvent vous approcher, parfois vous éloigner.

Voilà comment pour une seule et unique photo, je viens de résumer 37 clichés différents, tous pris depuis un endroit différent (vous pouvez compter). Évidemment cette théorie est impossible, pour la simple raison que les moments intéressants passent trop vite.

En réalité, avec l'expérience vous aurez travaillé un arsenal de compositions avec lesquelles vous serez à l'aise et vous arriverez à réduire le nombre de clichés à prendre, parce que vous saurez quand vous en aurez un bon instantanément, au déclenchement. Vous travaillerez seulement quelques valeurs de plan pour pouvoir éventuellement raconter cette petite histoire de différentes manières. Et puis vous aurez rarement plus de deux angles intéressants sur une scène.

La composition, c'est le jeu de jambes

Mais le jeu de jambes, lui, sera toujours là. Il sera au service de votre composition, de cette recherche. On pourrait même juger du talent d'un photographe uniquement en le regardant bouger.

Et d'ailleurs, c'est possible et c'est même tout simple. Le jeu de jambes d'un photographe peut et doit s'étudier. Tout comme je vous conseillerais de vous entraîner à regarder des photos en analysant les éléments techniques employés, notamment la focale ou la distance au sujet ; je vous recommande d'étudier et d'analyser le jeu de jambes d'autres photographes.

Comment ?

Et bien la qualité d'un photographe se juge sur une planche-contact, ou sur une série de 36 déclenchements si vous travaillez avec un appareil électrique et une carte mémoire plutôt qu'une pellicule.

La planche-contact dit tout du photographe. Comment il a bougé, ce qu'il a vu, quand il a déclenché, s'il a eu besoin de rafale. Plan large, plan moyen, plan serré, tout y est.

Pour commencer à étudier des planches contact, je vais vous renvoyer vers un livre, encore. Il vous permettra d'étudier le travail, et donc aussi le jeu de jambes de certains des plus grands photographes au monde : ceux de l'agence Magnum dans le livre Contact Sheets. (Le lien est vers la version US, la VF étant à plus de 200€).

La planche-contact pour étudier le mouvement du photographe

À force de recommander des livres, je vais finir par créer un Photo-Book Club par abonnement avec un livre par mois. Et si c'était une bonne idée ? Note pour plus tard : créer un Photo-Book Club.

Commençons par étudier une photo iconique d'un de mes photographes préférés, le Chihuahua d'Elliot Erwitt.

Elliot Erwitt, contact sheet for “Chihuahua,” New York City (1946) (© Elliot Erwitt / Magnum Photos)

La séquence est merveilleuse. Elle commence par deux femmes qui se parlent devant un diner (restaurant) au coin d'une rue de Manhattan, l'une d'elle portant son adorable petit chien. Le premier cliché capturé est un plan moyen, testé en plusieurs versions. Les premières photos ont manifestement déclenché une discussion du photographe avec ces deux femmes, s'ensuit une série de plans serrés, avec la complicité de la propriétaire du Chihuahua qui participe à la séance photo en le posant au sol.

Notez que le cliché retenu par Elliot Erwitt est très largement recadré, au nom d'une composition parfaite. Cette planche-contact me replonge dans mes innombrables rencontres en Toscane ou à New-York qui ont eu pour cause ma passion infinie pour les canidés, mais je m'égare.

Poursuivons sur un sujet plus difficile, avec les évènements de mai 1968, sous l'oeil de Bruno Barbey.

Bruno Barbey, contact sheet for student protests in Paris (1968) (© Bruno Barbey/Magnum Photos)

La séquence permet d'appréhender le travail dans le cas d'un événement, où les scènes sont en mouvement permanent.

La planche-contact commence au plus près des policiers, dans leur dos. Elle se poursuit avec une série de plans larges interrompus par quelques manifestants qui passent devant le photographe. Puis une charge de police occupe le photographe sur 4 clichés. La séquence se termine sur une barricade.

Notez déjà comment chacune des photographies est rigoureusement composée, quelle que soit la valeur de plan. Vous pouvez ensuite apprécier directement le travail d'édition, le choix des photos les plus fortes et le ratio, implacable : 6 photos retenues sur une séquence de 36. C'est le ratio d'un grand maître, à plus forte raison quand j'aurais aisément gardé les 32 autres.

Terminons enfin l'exercice sur une photo du premier livre de Martin Parr, Last Resort.

Martin Parr, contact sheet for The Last Resort (1985) (© Martin Parr / Magnum Photos)

Cette mini planche-contact montre en huit photos comment Martin Parr a travaillé les scènes et exploité la sérendipité inhérente au procédé photographique. Il utilise ici cinq clichés en étant positionné au même endroit. Il travaille la scène avec une seule valeur de plan, et ne garde qu'un cliché, celui où la femme se retourne.

Appliquez ces principes dans l'analyse de vos photos

Il ne vous reste plus qu'à vous procurer Magnum Contact Sheets si vous souhaitez étudier la manière de travailler de certains des plus grands photographes du 20e siècle.

Vous pouvez également analyser vos séries de clichés pour identifier les manques en composition ou les mouvements que vous auriez pu créer. Puis vous pourriez commencer à identifier votre ratio de photos gardées, non pas pour moins déclencher, plutôt pour varier les valeurs de plan et mettre en pratique lors de votre prochaine session, avec votre jeu de jambes.

Lire la suite

Ce que j'ai découvert en photographiant comme Alex Webb

Je considère que le travail de recherche et d'inspiration comme une des meilleures méthodes de progression en photographie, avec la construction de projets photographiques.

Je poursuis mon exploration du travail des grands photographes de rue que j'admire en essayant de m'inspirer directement de leur travail. Après vous avoir effectivement montré leurs photos ou projets (ici pour Alex Webb), je tente à mon humble niveau de reproduire leur type de composition emblématique, ou du moins ce que je peux analyser ou en percevoir.

Alex Webb est le photographe dont le travail m'obsède le plus depuis l'année dernière, il est naturel pour moi de continuer cette série avec lui.

Commençons par définir "photographier comme Alex Webb". Il est impossible de synthétiser le travail d'Alex Webb de plusieurs décennies en un seul type de composition, tout comme il serait stupide de prétendre arriver à atteindre la même qualité. Mais on peut retrouver un terme qui qualifie le travail d'Alex Webb dans la plupart des livres ou articles que j'ai trouvé sur lui : "Complexe".

Une photographie complexe, ça pourrait vouloir dire tout et son contraire. Ce que j'ai essayé de faire ici et depuis plusieurs mois à différents endroits, est de combiner plusieurs scènes ou sujets distincts dans une même photographie, au moins 3, en essayant également de combiner un arrière-plan et un avant-plan pour donner de la profondeur à la photographie et donc... de la complexité.

Voyons maintenant ce que cela m'a permis de découvrir :

Une composition complexe est une recherche active

Le moment parfait ne m'attend pas pas au coin de la rue, il va falloir aller le chercher, ça va demander du travail et un investissement personnel.

Les photographies complexes ont demandé un gros effort parce qu'il m'a fallu en même temps :

  • commencer par voir une scène qui rentrerait dans un cadre assez large,

  • tout en "reniflant" un potentiel de premier plan,

  • ou en espérant des scènes multiples, en anticipant des mouvements qui rentreraient dans le cadre.

Je ne pouvais voir aucun de ces éléments avant parfois de m'approcher très près de mes sujets. Ces compositions sont une exigence et un travail de recherche extrêmement prenant, elles demandent une attention totale.

J'ai eu du mal à m'y consacrer pleinement avec des personnes qui m'accompagnaient, que ce soit un groupe de Photographes du Monde ou un ami à Salvador quand j'ai le sentiment que je dois avancer. Ce type de composition me prend encore pas mal de temps, je suis totalement mobilisé par cette recherche probablement parce que je n'y suis pas encore habitué.

Ce qu'il est important de retenir ici est que travailler sur un type de composition prend du temps et du travail, je ne peux pas y arriver du premier coup ou avec une sortie ou deux.

Photo Genaro Bardy - New Yorkers, Nov 2019

Photo Genaro Bardy - Boipeba, Jan 2020

Photo Genaro Bardy - Bogota Colombia, Sep 2019

Les compositions complexes ont amélioré mon "jeu large"

Je ne sais pas comment définir ce point autrement qu'avec une analogie au sport. Ce que j'essaye de dire ici est que j'avais une certaine tendance à toujours travailler avec la même distance avec mes sujets, à partir de 5 ou 10 mètres.

Ceci pouvait avoir pour conséquence qu'en photographie de rue je privilégiais un zoom pour isoler un sujet ou tout simplement que j'avais abandonné purement et simplement la photographie de rue avec des scènes de vie telle que je la pratique aujourd'hui.

J'avais été aspiré par les commandes où je travaillais toujours avec un zoom 24-70 pour le boîtier avec une focale large, ou par les paysages et l'architecture qui peuvent être prisés dans les voyages-photo.

Je réalise maintenant que j'avais oublié ce qui m'avait passionné initialement en photographie et que j'ai retrouvé en m'inspirant d'Alex Webb : une pratique très proche des sujets avec un "oeil" large, la majeure partie du temps avec une focale fixe de 28mm. En pratiquant à répétition ainsi, j'ai le sentiment d'avoir très nettement amélioré mon "jeu large", alors qu'avec Bruce Gilden j'ai pu exploré le "jeu proche" voire le jeu dangereux.

Toutes les photos montrées ici, je ne les aurais pas faites avant, ni même cherchées, ce sont des compositions qui viennent compléter mon arsenal à disposition quand je suis dans la rue.

Photo Genaro Bardy - Cidade Baixa Salvador, Jan 2020

Photo Genaro Bardy - Carnaval Salvador Fuzuê, Feb 2020

Photo Genaro Bardy - Festa Iemanjá Salvador, Feb 2020

Ne pas avoir peur du regard caméra

Cette recherche de compositions complexes m'a aidé à comprendre un autre élément en photographie de rue : qu'il le veuille ou non, le photographe fait toujours partie de la photo.

Je m'explique. En m'approchant très près de mes sujets en essayant de remplir le cadre avec différentes scènes, j'ai souvent des regards dans ma direction au moment de mon déclenchement. Intuitivement je pourrais me dire qu'un regard caméra fait franchir au sujet le 4eme mur, on "voit que le sujet me voit", ce qui pourrait faire croire que le moment naturel est perdu. Ce n'est absolument pas le cas.

Quelle que soit la photographie, le photographe fait partie du message, de l'émotion qui est transmise. Quand on observe une photo, quelle que soit la scène, naturelle ou pas, on sait que le photographe était là. On réagit bien sûr à une construction picturale, à une composition, aux couleurs, au moment représenté, mais on sait toujours qu'il y avait un photographe pour déclencher.

Certaines photographies d'Alex Webb sont fascinantes pour moi, même avec un regard caméra, ou peut-être même à cause du regard caméra ! La photographie n'a pas à être impérativement naturelle, prise sur le vif et non posée ("candid" en anglais qui n'a pas d'équivalent) pour être réussie et transmettre une émotion forte.

Photo Genaro Bardy - Salvador, Feb 2020

Photo Genaro Bardy - New Yorkers, Nov 2019

Photo Genaro Bardy - Salvador, Feb 2020

Les compositions d'Alex Webb demandent beaucoup de pratique

J'ai commencé à pratiquer ce type de compositions en Colombie au mois de septembre dernier et j'ai continué depuis à New York et chez moi à Salvador. J'ai eu plus de succès à Salvador, j'ai pu croire à un moment que les compositions d'Alex Webb soient plus adaptées à un climat tropical. C'est vrai d'un certain point de vue, les forts contrastes et les ambiances tropicales sont mis en valeur par cette approche, mais je crois surtout que j'ai progressé avec la mécanique et pris l'habitude d'aller chercher ce type de composition.

Je comprend maintenant que je ne peux pas simplement décider de réaliser des photographies comme Alex Webb, comme une envie de photographier. Par opposition il est relativement "facile" de décider de se positionner à un mètre de ses sujets, avec ou sans flash, la contrainte est tellement forte qu'elle impose presque un type de cadrage et donne un résultat immédiat.

Les compositions "complexes" d'Alex Webb sont un heureux hasard qui résulte de quantité de paramètres. Non seulement il me faut décider de m'approcher ou d'avoir un point de passage très près de ma caméra, mais je dois travailler encore et encore mon regard avec ce petit mantra qui l'accompagne en permanence : "More", plus de gens, plus de scènes, plus d'éléments qui rentrent dans le cadre.

Photo Genaro Bardy - Cidade Baixa Salvador, Fev 2020

Photo Genaro Bardy - Cidade Baixa Salvador, Fev 2020

Photo Genaro Bardy - Salvador, Fev 2020

Une inspiration vient compléter votre photographie

Si vous vous inspirez du travail d'un photographe, vous ne remplacerez pas ce que vous photographiez déjà, ça viendra en plus. Je ne crois pas que l'on puisse dire qu'une seule de ces photographies ressemble vraiment à celles d' Alex Webb. Elles restent représentatives de mon regard, et de personne d'autre.

Par ailleurs travailler comme cela ne m'a jamais empêché de continuer à photographier comme j'en ai l'habitude. Quand je vois une scène, un regard ou un geste que j'ai l'habitude de photographier, je continue à le prendre. Mon inspiration d'Alex Webb m'a simplement permis de voir plus et plus souvent, dans des moments où je ne serais jamais allé chercher des photos auparavant. Et quel bonheur de voir plus souvent, d'aller renifler une scène que je crois complexe et après quelques mouvements de trouver un moment où tout se met en place.

Le résultat n'est jamais celui que j'aurais pu espéré, il y a un élément de surprise encore très fort pour moi, certainement parce que je pratique depuis relativement peu de temps. Mais c'est aussi parce qu'une "bonne" photographie est un moment rare, un cadeau que le présent fait au photographe qui décide d'aller le chercher.

Photo Genaro Bardy - Salvador, Fev 2020

Photo Genaro Bardy - Cartagena Colombia, Sep 2019

Photo Genaro Bardy - Salvador, Fev 2020

Photo Genaro Bardy - New York, Nov 2019

Lire la suite

Lancement Fujifilm X100 V et Tatsuo Suzuki - La polémique absurde

Lors du lancement du nouveau boitier Fujifilm X100V, le fabricant Japonais a réalisé une série de vidéos mettant en avant plusieurs ambassadeurs de la marque. Le Fujifilm X100 étant réputé pour la pratique de la photographie de rue, il était normal et légitime de promouvoir la pratique de Tatsuo Suzuki.

Le jour du lancement la méthode de prise de vue de Tatsuo Suzuki a créé la polémique et des centaines de commentaires agressifs rejetant la pratique du photographe, qui s'approche au plus près de ses sujets dans les rues de Tokyo. Devant la masse de commentaires négatifs, Fujifilm a tout d'abord retiré la vidéo de Youtube (vous pouvez encore la voir ici avant qu'elle ne soit attaquée par Fujifilm et éventuellement retirée à nouveau), puis retiré toute mention de Tatsuo Suzuki de son programme X Ambassador.

Voilà les faits et pour rester mesuré je dirais que je suis en total désaccord avec l'attitude de Fujifilm vis à vis de son ambassadeur et de son travail, et bien sûr je suis en vive opposition avec tous ceux qui condamnent les méthodes du photographe.

Pour commencer, voici la vidéo en question qui a été ré-uploadée par un utilisateur sur Youtube. Je la commence à la 43ème seconde pour que vous puissiez voir Tatsuo Suzuki effectivement en train de prendre des photos.

https://youtu.be/Wy2YzUvHDq0?t=43

Film de Promotion au lancement du Fujifilm X100V - Tatsuo Suzuki

Ce type de polémique est fréquent sur Internet mais continue à me surprendre. Voici deux articles en anglais des sites Fstoppers et Petapixel :

Les sites Petapixel et Fstoppers sont clairement en compétition sur le volume de trafic et à l'heure où j'écris ces lignes ces 2 articles sont les plus partagés sur leurs sites respectifs. Fstoppers a publié l'article d'un photographe qui s'éloigne radicalement des faits de la polémique, Andy Day s'en prend directement à Tatsuo Suzuki et je dois dire que ça me fout en boule. Essayons de prendre ses principaux arguments, ils ne sont finalement pas si nombreux.

Le titre : "Est-ce qu'avoir un appareil Fuji vous donne le droit d'être odieux ?"

Ce titre est écrit pour accentuer les réactions en commentaires. Évidemment sur le plan du principe personne ne veut être odieux (ou infect selon comment on traduit "Obnoxious"), mais quel est le rapport avec le droit ? Et avec le Fuji X100 qui est clairement un élément de contexte ici ? Aucun. Ce titre est écrit pour plaire à Google (comme le mien hein) et pour accentuer la polémique.

Je comprends très bien que l'on puisse trouver cette méthode de prise de vue intrusive ou dérangeante. Je suis pourtant persuadé également que cette méthode est nécessaire à ce type de photo, avec des personnes en gros plan dans leur quotidien. Ces photos sont nécessaires à titre documentaire et je les trouve personnellement magnifiques, totalement représentative d'un mouvement artistique en photographie.

Mais le sujet n'est pas là ! Les personnes sont-elles dérangées dans leur quotidien ? Parfois oui, c'est assez évident dans la vidéo. Peut-être Tatsuo Sizuki gagnerait a être un peu plus engageant ou souriant avec ceux qu'il croise. Mais a-t-il le droit de procéder ainsi ? Oui bien sûr. C'est autorisé et je trouve personnellement cela utile à la photographie.

Ce titre est un clickbait et ni Andy Day ni Fstoppers ne devraient en être fiers.

https://www.instagram.com/p/B65hAewBAqS/

https://www.instagram.com/p/B5swnYqBLan/

Il photographie sans éthique

Voilà le passage qui m'énerve particulièrement :

"This style of shooting is reminiscent of photographer and self-confessed provocateur Bruce Gilden who established a reputation for in-your-face flash photography. “I have no ethics,” says Gilden, proud of his supposed bravery for the proximity of his images, essentially explaining that he is so arrogant that he doesn’t care."

Andy Day dans l'article FStoppers

Prendre une phrase hors contexte "Je n'ai pas d'éthique" de Bruce Gilden sans aucun lien vers une source pour se faire son idée est du journalisme de bas étage. Oui Bruce Gilden est arrogant et provocateur, décrié pour ses méthodes par certains des plus grands noms de la photographie.

Mais regardez le travail de Bruce Gilden, ses portraits, ses photographies de rue. C'est un corpus splendide, qui me prend à la gorge par sa vérité et les émotions qu'il transmet. Je voulais justement écrire sur Bruce Gilden et cette polémique m'en empêche, ce n'est que partie remise.

Quand à Tatsuo Suzuki, il n'a jamais renié une éthique dans son travail, quel coup bas de lui attribuer des idées de Bruce Gilden. Il reconnait vouloir provoquer des réactions, et manifestement ça ne plait pas à la majorité de ceux qui voient sa vidéo, mais comme pour Bruce Gilden regardez son travail et essayez de me dire que cet homme n'a pas d'empathie.

Pour moi l'erreur ici a surtout été dans la production de la vidéo par Fujifilm qui n'a pas assez montré les photos de Tatsuo Suzuki avant de le montrer en train de shooter dans Tokyo.

https://www.instagram.com/p/B67QsyYpAe_/

https://www.instagram.com/p/B2XGvpkhSiz/

https://www.instagram.com/p/B3adIcQBFCf/

Ce type de photo montre plus l'ego du photographe

Je pense qu'on atteint des sommets ici :

"The concept — elevated by the likes of Magnum and the art world in general — of the photographer as a big game hunter, a heroic, often hyper-masculine figure who bravely sets out into the world to deploy his mastery over technology to create art is one that has become tired. The online reaction to Suzuki’s work is an indication that audiences are starting to see beyond the surface of the resulting images and into the arrogant, ego-driven unpleasantness that goes into their creation."

Andy Day in Fstoppers

Je suis sidéré par ce passage. Quel photographe de rue se proclame un héros des temps modernes ? Aucun. Tout au plus un sociologue ou un artiste, oui. Le summum est atteint par Andy Day en justifiant sa diatribe avec le qualificatif "souvent hyper-masculin". Pour moi c'est la démonstration que cet article est fait pour énerver et appeler au commentaire, je ne crois pas qu'on puisse être aussi stupide inconsciemment.

La méthode peut PARAITRE agressive, mais elle est légale et tout se passe dans un espace public. Andy Day laisse entendre que la photographie de rue n'aurait pas encore eu son moment #MeToo ? Mais de quelle agression parlons-nous ici ? Il n'y en a aucune, il suffit de regarder la vidéo.

Comment peut-on se réjouir que les réseaux sociaux permettent d'arrêter une pratique supposée du passé ? Andy Day est photographe... Je suppose qu'il n'a jamais travaillé autrement qu'avec des mannequins ou en commande.

Je suis au contraire désespéré que les réseaux sociaux donnent de la voix à tous ceux qui ne comprennent pas ce qui est en train se passer devant leur yeux et pourquoi ces photos sont importantes. Je suis encore plus atterré par la réaction de Fujifilm qui aurait dû tenir bon, soutenir son photographe, et profiter de la polémique pour sortir grandi de cet épiphénomène.

Les photos de Tatsuo Suzuki ne sont pas à propos de son ego, il suffit de passer 5 minutes sur son travail pour s'en rendre compte.

https://www.instagram.com/p/B7_C01hhlA1/

https://www.instagram.com/p/B6VFf0Qha1q/

https://www.instagram.com/p/B5C974fhEC7/

Lire la suite

Surmonter ses peurs en photographie de rue

La peur est le premier frein à la photographie de rue, commençons par vous en affranchir pour photographier plus libéré.

Toute la difficulté en photographie de rue réside dans sa pratique, dans le fait de surmonter la peur de photographier des inconnus sans leur demander la permission.

Personnellement j'ai loupé des dizaines, des centaines, probablement des milliers de photographies depuis que j'ai commencé la photographie de rue il y a 12 ans, uniquement parce que j'ai eu peur. Cela peut prendre plusieurs formes :

  • "je n'ai pas osé"

  • "je n'ai pas voulu le/la déranger"

  • "le moment est passé"

Parfois je prendrai l'excuse d'avoir à avancer parce que je suis en route vers une destination, d'autres fois parce que mon appareil photo n'est pas prêt. Toutes ces raisons sont en réalité des expressions de la peur. La peur de photographier dans la rue ne disparait jamais vraiment pour moi, j'ai juste appris à composer avec.

En d'autres termes, si vous voulez progresser en photographie de rue, vous devez avant toute chose prendre confiance en vous et surmonter vos peurs.

Connaissez vos peurs

La première étape pour surmonter ses peurs de la photographie de rue est de verbaliser ces peurs et d'effectivement les noter sur un bout de papier.

Allez-y je vous laisse 5 minutes.

Je suis sympa vous pouvez même écrire ici :

[________________________]

[________________________]

[________________________]

[________________________]

[________________________]

Toutes les peurs que j’entends exprimées lors de mes workshops tournent toujours autour des mêmes éléments, qui sont des variations des mêmes peurs que voici avec mes réponses :

  • Peur d’être ridicule

Cette peur est normale, naturelle. Les photographes de rues sont des bêtes curieuses avec leur appareil qui ne sert pas aux selfies, dirigé vers les autres. Ils s'approchent et s'immiscent parfois dans la vie des gens.

Le ridicule, vraiment ? Si vous prenez deux secondes pour réfléchir au ridicule de la situation vous verrez que le ridicule est rare. Et quand bien même vous vous trouviez ridicule, vous savez que cela n'a jamais tué personne.

Quand j'entends cette peur exprimée, je sais qu'elle correspond à un(e) photographe qui a très peu pratiqué, qui débute en photographie de rue.

Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse Paris, 2011

  • Peur d’être agressé

La peur d'une réaction violente de la part des sujets en photographie me semble beaucoup plus légitime à priori. On sait instinctivement que certaines personnes ne veulent tout simplement pas être photographiés dans leur quotidien.

Mais de là à être agressé ? Non, je peux vous assurer je n'ai JAMAIS été physiquement agressé en pratiquant la photographie de rue. J'ai vécu pendant des années dans le 18ème arrondissement de Paris, pas très loin d'un quartier nommé 'La Goutte d'Or' réputé pour ses fréquentations peu recommandables. C'est le seul endroit en 12 ans où j'ai eu une réaction violente par un couple, l'homme clairement éméché ou drogué qui menaçait de me casser mon appareil. J'ai effacé la photo et passé mon chemin.

La pire des pires situations pour moi a fini en menaces. Et je peux vous assurer que de Rio de Janeiro à Johannesburg, j'ai photographié dans certaines des villes les plus dangereuses au monde. Vous pouvez rencontrer des réactions inconfortables en photographie de rue, même arriver jusqu'à une certaine forme de violence verbale.

La réalité c'est que 95% des gens que je croise ne font même pas attention à moi, ou s'ils me voient ne prennent pas le temps de s'arrêter et de me parler. Une personne me demande parfois si je l'ai prise en photo, mais la plupart du temps en continuant à marcher. Je réponds "oui" et "merci", et si la personne s'arrête j'explique ma démarche : je suis photographe et je travaille sur un projet dans la ville où nous nous trouvons. Parmi ceux qui me parlent, 95% comprennent et sont plutôt amicaux.

On me demande parfois d'envoyer la photo si elle est réussie. On me demande ce que je vais en faire, si je travaille pour la presse. Mais d'agression ? Jamais.

Photo Genaro Bardy - Parisiens, 2019

  • Peur d’importuner

On peut avoir peur de déranger la personne qui est photographiée, surtout si la distance laisse penser qu'elle pourrait être reconnaissable sur la photo. Encore une fois ceux qui seront vraiment importunés représentent à peu près 5% de ceux qui s'arrêteront, eux-même représentant 5% des personnes photographiées.

Pratiquez une séquence de discussion que vous répéterez encore et encore pour vous y habituez :

  1. Souriez en permanence.

  2. Engagez la conversation avec ceux qui viennent vers vous. Surtout ne fuyez pas en cachant votre appareil.

  3. Expliquez votre démarche : "je suis photographe" - "je suis étudiant en photographie" - "je travaille sur un projet personnel" ...

  4. Personnellement je profite de la situation pour savoir si je peux réaliser un portrait de la personne qui s'est arrêtée.

Vous avez toujours la possibilité d'effacer la photo si la personne n'est vraiment pas contente (encore une fois c'est rare). Personnellement j'essaye de ne jamais effacer mes photos, avant tout parce que j'en ai le droit, ce qui nous amène au point suivant.

  • Peur de ne pas avoir le droit

Connaissez vos droits : vous avez le droit de photographier dans un lieu public, même si les personnes sont reconnaissables sur les photos !

Pour élaborer un peu plus votre discours, je vous renvoie à cet article :

Photo de rue et droit à l’image

On peut photographier des inconnus sans demander la permission

En France vous avez le droit de prendre des personnes en photographie dans des lieux publics sans leur demander la permission. C'est aussi vrai dans la plupart des pays que j'ai pu visiter. Mais l'utilisation d'un discours sur mon bon droit est RA-RI-SSIME.

Photo Genaro Bardy - New Yorkers, 2019

Commencez par demander la permission

Cela pourrait paraître paradoxal, mais demander la permission est probablement le meilleur moyen de s'habituer à ne plus la demander.

L'objectif de cette méthode est de :

  • vous habituer à aller vers des inconnus et à engager la conversation

  • vous habituer à être rejeté, à ce qu'on vous dise "non"

  • réaliser que lorsque vous ferez un portrait, vous n'êtes pas obligé de ne déclencher qu'une seule fois. Vous pouvez chercher le meilleur cliché, travailler votre scène et attraper des moments naturels.

Commencez par réaliser des portraits dans la rue. Cela vous habituera à parler à des inconnus, à vous approcher, cela vous obligera à vous lancer avec des mots avant de vous lancer avec un boitier.

Le meilleur exercice est d'essayer d'obtenir 5 OUI et 5 NON, 5 personnes qui acceptent que vous réalisiez un portrait, et 5 qui refuseront. Vous verrez que vous aurez beaucoup de mal à obtenir 5 refus :)

Photo Genaro Bardy - Bahianos, 2019

Pêcher avant de chasser

Les techniques de prises de vue en photographie de rue peuvent se classer en deux grandes catégories :

  • Trouver un cadre et attendre -> aller à la pêche

  • Trouver un sujet et le suivre -> aller à la chasse

Il va sans dire que chasser est beaucoup plus difficile parce que la peur est encore plus grande. J'y trouve personnellement une adrénaline qui participe à mon plaisir, mais ce serait un autre sujet.

Mon propos ici est de vous dire de trouver un cadre intéressant et d'attendre que des personnes traversent votre cadre. Si vous choisissez un lieu très fréquenté ce sera plus facile de vous habituer à être proche de vos sujets.

Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse Paris , 2012

Photo Genaro Bardy - Primal NYC, 2019

C'est en forgeant

C'est en photographiant dans la rue que la peur de photographier dans la rue disparait.

Le peintre Edgar Degas, bien que connu pour ses magnifiques tableaux impressionnistes de danseuses, s'est entiché brièvement de la poésie. Edgar Degas était un esprit créatif brillant, tout le potentiel pour de magnifiques poèmes à disposition, il avait de l'inspiration sans difficulté. Et pourtant vous ne trouverez pas de poèmes d'Edgar Degas. Une fameuse conversation pourrait en être l'explication. Un jour, Degas se plaignait auprès de son ami le poète Stéphane Mallarmé à propos de ses difficultés à écrire. "Je n'arrive pas à dire ce que je souhaite, et pourtant je suis plein d'idées". La réponse de Mallarmé est passée à la postérité :

"Ce n'est pas avec des idées qu'on fait des vers,

c'est avec des mots".

Alors oui, nous pouvons conceptualiser la peur en photographie de rue autant que nous le souhaitons. Mais à un moment il va falloir prendre votre appareil photo et vous y confronter, il va falloir effectivement prendre des photographies dans la rue pour que vous réalisiez que la peur existe, que ce n'est pas si grave et qu'on arrive à s'en accommoder.

Combien de fois avons nous pensé : "ça ferait une bonne idée de film", "j'aimerais écrire un livre un jour", "si je faisais plus d'efforts j'y arriverais". Et combien de livres avons-nous écrit ? Combien de ces films ont été réalisés ? Uniquement ceux qui se sont retroussés les manches peuvent en parler.

Allez photographier dans la rue. Pas demain, pas la semaine prochaine, pas quand vous n'aurez plus peur. Vous aurez toujours peur. Si vous sortez photographier maintenant je peux vous assurer que vous serez un(e) meilleur(e) photographe en revenant.

Comme le dit si bien Austin Kleon :

"Beaucoup de personnes veulent être le nom,

sans faire le verbe".

Ce n'est pas avec des intentions que l'on devient photographe de rue, c'est avec du travail.

Photo Genaro Bardy - New Yorkers, 2019

Apprenez à aimer la peur

En fin de compte, vous vous intéressez probablement à la photographie de rue parce que vous êtes un(e) humaniste. Vous vous intéressez à ceux qui vous entourent ou que vous croisez, vous devez savoir que c'est une empathie particulière, pas si fréquente. Cette empathie participe bien sûr complètement à la fabrication de vos peurs. Au final vous vous mettez à la place des personnes que vous prenez en photo.

Je répèterai cette phrase autant que nécessaire : la peur ne part jamais vraiment. Avec la pratique je dirais même que la peur est un bon signe. Si j'ai peur de prendre une photo, je prends ça comme le signe qu'en réalité c'est parce que la photo est intéressante, parce que la scène vaut le déplacement. Si la scène n'était pas intéressante, il va sans dire que je n'aurais pas peur d'y aller.

Utilisez votre peur, appréhendez-la et essayez de reconnaître le positif : vous avez peur parce que vous vous apprêtez à prendre une bonne photo.

La peur est ce qui rend la photographie de rue difficile, mais c'est aussi tout son sel, toute son adrénaline. Sans la peur, vous n'y prendriez probablement aucun plaisir. Apprenez à aimer la peur.

Photo Genaro Bardy - New Yorkers, 2018

Lire la suite