Ce que j'ai appris au Mali

Ce récit date de 2013, quand j'essayais de devenir photographe professionnel. Ses enseignements sont toujours valables, mêmes si vous n'êtes pas professionnels, notamment sur le besoin de préparation pour le reportage.

Vite, vite, vite.

Le 8ème jour - Sur la route de Djibo à Mentao, Burkina Faso. Et voilà que maintenant j'ai soif, il ne manquait plus que ça. Je suis assis à l'ombre d'un acacia, la température extérieure est proche des 50 degrés, il est bien normal que la soif vienne. Devant moi je regarde le scooter loué le matin même à Djibo avec honte. Évidemment j'aurais dû faire le plein avant de partir vers le camp de Mentao, évidemment. David qui occupait le siège arrière est reparti en stop vers la ville pour y remplir une bouteille d'essence, pendant que je garde l'objet de ma honte.

"Vite, vite, vite". Voilà les seuls mots que je suis sûr d'avoir compris de cet enfant qui est venu me voir il y a quelques minutes. Il est apparu derrière moi, sans que je sache bien d'où il venait. Il semblait vouloir aller vers Djibo et que je l'y accompagne, je lui répondis que sans essence ce serait compliqué. Il me proposa alors d'aller cherche de l'essence à son village, pour une somme qui me paraissait honnête. Mais devant sa main tendue qui attendait son dû, je tentais de lui expliquer de revenir avec l'essence et de la monnaie, n'ayant qu'un billet de 10 000 CFA sur moi (Environ 15€). L'enfant me répondait à chaque tentative "vite, vite, vite", en me montrant son village.

Je finis par lui laisser mon gros billet en me disant que de toute façon il ferait un heureux si je ne le revoyais pas. Vite, vite, vite. Tu parles, ça fait 15 minutes que j'attends, et maintenant j'ai soif. Combien de temps faut-il pour aller jusqu'au camp de réfugiés de Mentao ? 15 minutes tout au plus, quand on a de l'essence. Voilà ce que je me dis en pestant contre ma bêtise qui me parait grandir à chacune de mes décisions.

Et combien de temps pour venir jusqu'à cette route ? Pour y laisser un scooter, un camarade en stop et un billet dans les mains d'un enfant ? Depuis Paris je n'ai fait que cela, perdre du temps sur la route qui me parait bien plus longue maintenant que je suis tout proche du but. Une journée perdue à Alger pour avoir laissé trainer mon passeport à Orly, une journée à Bamako pour obtenir le laisser-passer nécessaire pour remonter au nord du Mali, 15h de Bus pour remonter vers Mopti et retrouver David, 2 jours de trajet en voiture jusqu'à Djibo, et 2 jours de plus pour obtenir les autorisations de travailler du Burkina. 8 jours de trajet non-stop, pour finir avec un scooter en rade et un enfant qui me répond "vite vite vite".

Première leçon : Voyager prend du temps. Beaucoup de temps.

Depuis que j'ai décidé de rejoindre David qui est en reportage au Mali pour y produire des photos, je n'ai quasiment fait que ça : voyager. Et pendant ce temps là je n'ai pas beaucoup de photos susceptibles d'être intéressantes. A ceux que je croise qui me demandent ce que je fais là, je leur réponds que j'apprends le métier. Il est bien normal que cet apprentissage passe par quelques leçons, même un peu douloureuses.

David reviendra avec de l'essence, derrière une moto d'un Touareg qui faisait le même trajet que nous vers le camp. Mais l'enfant était déjà revenu. J'attendais David avec ma soif étanchée, ma poche remplie de monnaie, et un réservoir déjà plein d'un litre. Et nous avons pu enfin commencer à travailler, pour ma part à produire quelques photos.

Le raccourci

Le 15ème jour - Sur une pirogue entre Mopti et Tombouctou, Mali. Il n'y a pas de raccourci. On ne peut pas apprendre ce métier aussi vite, en passant simplement 3 semaines sur le terrain. Mais cette fois je vais avoir le temps de méditer cette nouvelle leçon : il n'y a pas de raccourci. Pendant 3 jours et 3 nuits sur un sac de riz.

Il est 17h, une heure avant le coucher du soleil l'heure magique commence et avec elle sonne l'appel de mon boitier photo. Je me retourne de mon inconfortable position, la meilleure que j'ai trouvée, et je cherche dans mon sac mon appareil. Avec David et notre guide nous occupons presque 1/3 de l'espace disponible dans la pirogue, nous avons la place pour allonger nos jambes quand la trentaine d'autres occupants est entassée dans des positions que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi. Femmes et enfants sont à l'arrière, prêt du moteur.

Je sors mon reflex du sac, enroule la bandoulière autour du cou, et je grimpe sur le toit de la pirogue, entre un matelas et un meuble qui y sont attachés. Avec le peu d'arrêts que nous avons effectué en deux jours, pas facile de se dégourdir les jambes et c'est une belle occasion car le coucher de soleil s'annonce magnifique. Les quelques clichés que je prendrai ce soir là sont probablement les plus spectaculaires qu'il m'ait été donné de réaliser. Pour cela j'en suis heureux et peut-être qu'un jour pas si lointain la route de Mopti à Tombouctou en pirogue redeviendra touristique et que ces clichés prendront quelque valeur. Mais pour l'instant ils ne valent rien, et nous avons manqué notre sujet. Notre objectif était de remonter vers Tombouctou en accompagnant une personne qui remonte vers cette région pour la première fois après s'être enfuit.

Mais la faute à une trop grande précipitation de notre part, et à un fixer qui passait son temps à mentir dans ses commentaires ou traductions, les personnes rencontrées ne permettaient pas de réaliser le sujet. 3 jours et 3 nuits sur un sac de riz, et pas de boulot possible au bout. Assez de temps pour méditer et repenser à ce que me disait le chef de la gendarmerie à la frontière du Burkina quand nous revenions de Djibo : "C'est le raccourci qui a tué le rat".

Le 12ème jour - Djibo, Burkina Faso. Le chef de la gendarmerie me disait cette expression chatoyante avec un large sourire, juste après avoir accepté mes excuses : "c'est le raccourci qui a tué le rat". Il faisait référence à un défaut d'autorisations que nous avons dû attendre 2 jours à Djibo. Devant notre absence d'autorisation, le chef de la gendarmerie locale nous imposa pendant 2 jours une escorte armée 24h/24 et des formalités qui allongeaient notre voyage d'une heure à chaque gendarmerie... Il y a quelque chose de cocasse à voir un gendarme Burkinabé en chemise à fleur épier tous ses faits et gestes, mais sur le moment je l'ai assez mal pris.

Lors du retour par ce poste de douane, je présentais donc mes excuses pour n'avoir pas compris ce qui nous arrivait et protesté contre ces attentions sécuritaires que je voyais comme un boulet de plus à nos pieds. Et dans un éclat de rire le chef de gendarmerie me répondit ce proverbe. C'est le raccourci qui a tué le rat, car en quittant sa route le long du mur pour aller directement au fromage, il s'est fait attrapé. Je ne crois pas avoir beaucoup apprécié d'être comparé à un rat, mais la truculence du chef l'emporta, nous rions aux éclats. Et la leçon était là.

Deuxième leçon : Etre prêt. Que ce soit pour une autorisation ou un voyage en pirogue, il faut être prêt. Donc préparé.

Les 10 000

le 20ème jour - Bamako, Mali. Je reviens de ma dernière chance de produire des photos à Bamako. Nous avons passé 2 heures sur la décharge publique du quartier de Doumanzana, où les personnes qui y travaillent gagnent 100 CFA (15 cts €) par jour. Ces 2 heures ont donné combien de photos potables ? Une douzaine selon mes critères. Mais est-ce un sujet qui pourrait intéresser un magazine, un titre de presse ou des agences de photographes qui les fournissent ? Probablement pas.

En sélectionnant et en éditant mes photos je me dis que je suis encore loin du compte. Et je pense aux 10 000 photos d'Henri Cartier Bresson, aux 10 000 de son expression : "Vos 10 000 premières photos sont les plus mauvaises". Et en parcourant mes photos réalisées en presque trois semaines, je me dis que je suis loin du compte, même avec 30 000 déclenchements l'année dernière. Je n'avais jamais pris autant de photos qu'en 2012 et je pensais m'approcher d'une certaine qualité. Mais combien sont publiables ?

Ce nombre 10 000 me renvoie à une connexion que je n'avais jamais faite. La règle des 10 000 heures de Malcolm Gladwell. L'auteur d'Outliers y explique que 10 000 heures sont nécessaires dans une pratique pour être qualifié d'expert, pour maitriser un domaine. A raison d'une bonne photo par heure, il va m'en falloir du temps pour devenir photo-journaliste. Devant l'ampleur de la tâche, mes bras tombent. Je repense à mon départ, à l'arrivée à Bamako les yeux et le coeur vaillant, ambitieux. Je revois quelques instants à Djibo, je me repasse les longues conversations avec Clare Morgana Gillis un matin où pendant que nous attendions nos autorisations du Burkina, Clare se préparait pour continuer son travail sur les camps. Alors que j'essayais de lui expliquer qu'un blog pouvait être une source de travail s'il était alimenté régulièrement, elle me racontait comment tout avait commencé pour elle, en Lybie l'année dernière. N'ayant pas eu avant l'occasion d'une connexion internet décente, je cherche donc ses textes sur le web.

Je crois avoir senti des larmes 2 ou 3 fois à la lecture du texte de Clare : What I lost in Lybia - Elle y raconte dans un texte d'une force incroyable sa captivité en Libye dans une prison de Khadafi, et la perte d'un confrère qui était avec eux au moment de l'assaut fatidique. Les quelques mots que nous partagions avec Clare à Djibo prennent un autre sens. Comment Clare a-t-elle commencé ses aventures journalistiques ? En restant en Libye du côté des rebelles quand tous les journalistes fuyaient la percée de l'armée de Khadafi. Un de ses compagnons d'infortune, James Foley, a depuis à nouveau été capturé en Syrie.

Au coeur du texte de Clare se trouve le sens de ce métier : "Etre le témoin de l'histoire au moment où elle se déroule". Si la littérature se consacre au "temps qui reste", le journalisme lui serait dédié au "temps qui passe". Et il n'y a qu'une seule manière d'être témoin, à plus forte raison pour un photographe.

Troisième leçon : Etre là.

Mon temps est passé. Les 3 semaines que j'ai vécues au Mali me paraissent bien courtes. Elles sont un enseignement, sur le Mali, sur le métier de journaliste, et sur moi-même. Une fois ces leçons apprises, je n'ai qu'une envie : me préparer, être là-bas, et recommencer.

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Bozo in Mali - Masters of the River

One centimeter at a time.The boat is grounded in the middle of the Niger River. Its 50 occupants are either sleeping or watching two men in chest-deep water pry the boat with bamboo sticks. It’s moving slowly, but it’s getting there. One of them has scouted a deeper course, and now they’re pushing the boat filled with rice and travelers on the right path.This tedious ballet can take up to an hour, and repeat itself every 10 minutes. But Bozo are used to this in March, when the Niger is at its lowest. The Bozo people are a semi-nomadic tribe living along the banks of the Niger River in Mali. Fishermen for centuries, they are considered the “Masters of the River” and operate most of its vessels.Even though they are Muslims, most Bozo do not wear djellabas, or any other sign of their religion. A December 2012 coup d’etat opened the way for jihadi-backed rebel groups to overrun northern cities and impose Sharia. The Islamic takeover triggered an intervention from France, which quickly liberated the cities. When the French left, however, the Malian army remained and lashed out against even moderate Muslims, killing several of them.Mopti port, where we embarked, was founded by Bozo people and is known as “Venice of the desert.” We are headed for Timbuktu.On this boat, like on any other, women and children are packed at the back, between the motor and a huge pot of rice and boiled chicken. It has been feeding us since we left Mopti. Travelers use these boats because it’s the cheapest way to travel. Some of them had left Timbuktu after the rebel invasion and are now returning home.As we float along, the Niger River becomes deeper and we start passing smaller fishing vessels. That doesn’t speed up the trip. We come upon a sunken ferry, like ours but less lucky. Our crew stops to help recover what can be saved.After four days and nights sitting on rice bags, we reach the banks of Timbuktu. It’s time to unload, one bag at a time.  
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Mentao Refugee Camp - Burkina Faso

Pendant le conflit Malien, de nombreux membres des communautés du nord Mali, notamment Touaregs, se sont déplacés vers la frontière avec le Burkina Faso. Nous y passions une semaine avec David Martin, Journaliste Indépendant. Vous pouvez trouver l'intégralité de mon récit de ce séjour ici : Ce que j'ai appris au Mali.Voici la série de photos réalisées sur le camp de Mentao.
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Mali, Fleuve Niger - De Mopti à Tombouctou

L'ethnie Bozo est un peuple semi-nomade Mandingue vivant principalement au Mali et au Niger, le long du fleuve Niger et de son affluent le Bani. Avant tout pêcheurs, ils sont considérés comme « les maîtres du fleuve ». Ce sont eux qui opèrent une grande partie des pirogues ou pinasses au Mali.La remontée du fleuve Niger entre Mopti et Tombouctou sur une pirogue collective prend 3 jours et 3 nuits au mois de mars. Le niveau du fleuve Niger est bas et la pirogue s'ensable fréquemment. Pour la désensabler, les opérateurs de la pirogue descendent du bateau et sondent le fond avec de grands batons, cela peut prendre des heures.Sur ce trajet comme certainement sur beaucoup d'autres, femmes et enfants sont installés à l'arrière près du moteur. Les hommes eux sont positionnés à l'avant de la pirogue, plus confortable.Les pirogues sont utilisées comme transports publics par les populations vivant dans des villages au bord du fleuve, où les bus publics ne se rendent pas. Elles sont également chargées à ras bord de sacs de mil ou de riz. Les transporteurs rentabilisent ainsi au maximum chaque déplacement.Accédez à toutes les photos à cette adresse : cliquez ici.

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Les Récupérateurs de Doumanzana - Bamako, Mali

Au coeur de Bamako, la décharge publique de Doumanzana recueille les déchets des quartiers voisins du marché de Konatébougou.Pour 1500 CFA par mois (2,3 Euros), les travailleurs du groupement d’intérêt économique (GIE) collectent les déchets du quartier. Ainsi chaque jour la seule décharge officielle de Bamako reçoit 11 000 m3 de déchets.Sur l’immense montagne de déchets qui émerge de l’enclos, vivent de nos jours en permanence, 667 personnes, tous sexes confondus, âgées de 8 à 82 ans. Elles s’abritent sous des hangars et des huttes de fortune dont les matériaux sont issus entièrement des objets de récupération sur la décharge. On les appelle les récupérateurs. Leur revenu est estimé à 100 CFA par jour (0,30 cts €).

--All rights reserved - Mali, March 2013 - Photos by Genaro Bardy (Contact) - [fblike style="standard" showfaces="false" verb="like" font="arial"]
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