5 leçons de photographie avec Daido Moriyama
J'ai découvert Daido Moriyama quand je me suis intéressé à Tokyo, alors que je devais m'y rendre pour écrire une histoire et réaliser Desert in Tokyo. Daido Moriyama est certainement une des raisons de mon retour à la photographie de rue comme pratique dominante.
Daido Moriyama dit pratiquer la photographie "instantanée", qui est ce que j'ai trouvé de mieux pour traduire "Snapshot Photography". Icône vivante de la photographie de rue Tokyoïte, on ne compte plus les livres et expositions qui présentent le travail de Daido Moriyama. Cet artiste est une institution au Japon, littéralement à travers la fondation à son nom, tout en pratiquant la photographie qui peut paraître la plus simple à réaliser.
Ses photos semblent prises rapidement, sans chercher la complexité. C'est simple et pourtant percutant, chaque image est pensée et provoque une émotion décidée par son auteur. La photographie de Daido Moriyama montre une physicalité différente de tout ce que j'ai pu observer, dans la manière qu'il a de produire ses photos. Par bonheur, Daido Moriyama propose dans son livre How I Take Photographs de le suivre dans ses pérégrinations Tokyoïte dans 5 quartiers différents, où il détaille sa pratique et sa manière d'appréhender la photographie.
Toutes les citations présentées ici sont extraites de ce livre et traduites de l'anglais par mes soins. Je ne saurai trop vous recommander de vous le procurer si vous voulez commencer à explorer l'œuvre de Daido Moriyama.
À la lecture de How I Take Photographs, plusieurs fois je me suis dit que je n'oserais pas proposer ces photos dans un livre, qu'elles pourraient paraître banales. Et pourtant, en série elles donnent parfois une impression de légèreté, à d'autres moments une pesanteur presque morbide. C'est un monde que je reconnais, et qui est aussi absurde et dur à apprécier. Le monde de Daido Moriyama a quelque chose de simple et rassurant : il est aussi moche que dans mes souvenirs, et aussi beau que la vérité.
Voici 5 leçons de photographie par le grand maître Daido Moriyama.
Le moment accidentel
La photographie instantanée, c'est capturer un mouvement naturel, l'expression de ce qui se trouve devant vous. C'est comme pêcher au filet. Votre désir vous pousse à le lancer. Vous lancez le filet, puis vous ramenez ce qui s'est passé - c'est un moment accidentel.
(...) Prenez des instantanés sur vos trajets quotidiens. C'est un bon moyen de comprendre votre propre pouvoir d'observation sur les choses les plus communes. Prendre des photos, encore et encore, vous entraînera à devenir de meilleurs photographes. (...) Toutes les techniques que vous apprendrez dans la rue peuvent servir en photographie commerciale.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
Je préfère nettement la notion de moment accidentel à celle galvaudée d'instant décisif. Une photographie est un accident, car même si je crois composer, anticiper ou vouloir une photographie, je ne sais jamais vraiment ce que donnera le déclenchement. Et je ne saurai certainement pas si l'idée furtive que j'ai eue et qui me poussa au déclenchement donnera une photo qui fonctionne. En photographie de rue, et probablement dans tout autre genre, une photo est un essai bien plus souvent raté que réussi.
C'est pour cette raison qu'il me semble essentiel de pratiquer un maximum dans son quotidien. Cela sert à mieux se connaître, mais surtout cela sert à expérimenter des cadrages, des lumières, des angles ou des points de vue. En tout cas, ce fut ma manière de progresser. Je sais qu'il existe des photographes qui déclenchent peu, je suis définitivement dans les pas de Daido Moriyama sur ce point, boulimique du déclenchement.
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
L'endroit où vous ne seriez jamais allé
Il y a quelque chose d'unique dans le quartier de Ginza, aussi élégant et luxueux soit-il. (..) Ginza est spécial, propose quelque chose de différent par rapport à des endroits plus rugueux, comme Shibuya ou Harakuju, et spécialement Shinjuku. On ne devrait jamais écarter quoi que ce soit par principe. Particulièrement avec la photographie, vous devez absolument tout essayer. Bien sûr, clairement, tout le monde a ses préférences, et personne ne peut tout aimer. Mais si vous êtes trop pointilleux pour essayer quelque chose de nouveau, vous finirez par passer à côté de l'essentiel.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
Je suis un adepte de l'expérimentation, sur les sujets, les lieux, les histoires. Quand je suis bloqué, je me demande où je n'aurais jamais eu l'idée d'aller prendre des photos. S'y rendre est presque toujours une bonne idée.
Une section entière du livre How I Take Photographs est consacrée à Daido Moriyama qui prend la place du passager pendant ses voyages en voiture. Personnellement, je monte toujours à la place du passager quand je le peux. Je m'y sens comme un enfant dans une montagne russe. Je vais voir des choses que je n'aurais jamais vues si je n'avais pas décidé de les photographier. Des formes, des pancartes, des scènes, le monde pressé de partir ou de rentrer.
Il y a quelque chose de nonchalant et paresseux de laisser les photos venir à soi, de ne pas marcher pour aller les chercher. Il faut accepter ce qui vient vers soi, que ce soit des montagnes, des rivières, des autoroutes ou des scènes de rue.
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
Attention maximale
Je vois beaucoup de jeunes, je suppose des étudiants, avec un appareil à la main qui marchent dans la rue. C'est très bien, mais si vous prenez des photos de manière aléatoire, je ne pense pas que vous arriviez à ce qu'il y a de plus important, qui est d'avoir une compréhension de ce que vous faites, de ce que vous voulez capturer.
Avec un appareil, vous arriverez à faire passer une image ou une autre pour une photo, mais ce n'est pas suffisant, pas sans un minimum de conscience.
C'est pourquoi je dis toujours à mes étudiants de choisir leur sujet et de l'observer attentivement. Donnez d'abord votre attention maximale, et ensuite prenez une photo. Et prenez beaucoup de photos. Parce que vous ne verrez pas ce que c'est à moins de prendre beaucoup de photos.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
La photographie de rue, ça démarre comme un diesel. Ça prend un moment pour se mettre en route. Et puis, par l'observation ou la sérendipité, on essaye un cliché. Puis un autre. Puis tiens, et si j'allais là. Oh cette belle lumière. Tiens, comme il est curieux lui. En donnant toute mon attention à la prochaine photographie, je rentre dans cette zone où je vois comme la première fois, où tout devient une image possible. Ce moment de conscience est comme une méditation, seul cet instant compte et je ne veux qu'une chose : voir ce que ça donnera si je déclenche.
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
Photos Daido Moriyama
Chercher une meilleure photo
Qu'est-ce que j'attends ? et bien... rien de particulier. Juste que quelque chose arrive, n'importe quoi vraiment. Je n'attends pas quelqu'un ou quelque chose de spécifique pour aider ma composition. Mais si vous attendez, peut-être que quelque chose arrivera.
Et ce n'est pas à propos de la lumière non plus. Il n'y a pas de problème avec la lumière - je le sais sans avoir besoin de le vérifier.
Je me concentre uniquement sur le moment. Je pense à chaque instant profondément. Comment est-ce que je vais prendre ces prochaines photos ? Peut être qu'un passant au premier plan serait meilleur ? Peut-être que j'irai dans l'embrasure d'une porte ? Mais je ne vais pas m'obséder avec ça. Je me demande toujours comment est-ce que je vais prendre les prochains clichés. Je considère mes options, et cherche une manière de réaliser une meilleure photo.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
Attendre est presque toujours une bonne idée. Et chercher une meilleure photo est pour ainsi dire le seul moyen de la trouver.
C'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet.
Photo Daido Moriyama
L'appareil n'a aucune importance
J'ai toujours dit que l'appareil que vous utilisez n'a aucune importance. (...) Regardez, si vous avez un reflex ou un appareil grand format entre les mains, vous allez inévitablement penser à votre composition. Avec un appareil compact, vous avez juste à viser et photographier. De plus, un appareil si petit a une qualité d'image étonnante. Si les appareils compacts n'étaient que des jouets, et que je n'obtenais pas une image de bonne qualité, je ne m'en serais jamais servi pour tout ce que je fais, ce serait seulement de temps en temps. Enfin, de toute façon je n'ai jamais aimé trimbaler des sacs, des appareils lourds ou des trépieds. Si un appareil est petit, léger, et prends de bonnes photos, et bien que demander de plus ?
Daido Moriyama - How I Take Photographs
C'est une évidence, chaque appareil aura une une incidence sur vos mouvements, il transformera vos prises de vues. Avec un appareil compact, je vise et je déclenche, c'est aussi bête que ça. J'obtiens une liberté de mouvement incomparable.
Photographier uniquement avec un appareil compact me donne une liberté maximale pour m'approcher de mes sujets. Si je n'ai pas l'air d'un photographe, tant mieux, la vanité n'a jamais donné de meilleurs clichés.
J'ai découvert avec l'acquisition d'un Ricoh Gr que Daido Moriyama avait participé à la conception du premier modèle argentique, et qu'il utilisait encore ces modèles, anciens ou récents. Ce n'est pas une surprise, et cela me conforte dans cette décision d'alléger toujours plus le matériel qui m'accompagne au quotidien.
Daido Moriyama dans ses oeuvres
Photo Daido Moriyama
Photo Daido Moriyama
À titre personnel, Daido Moriyama me donne en vie de toujours photographier plus. Plus de noir, plus de couleurs, plus de personnages, plus de mon quotidien, plus de rencontres urbaines de chair, de métal et de béton.
Tout ce qui m'importe est que ce qui est en face de moi soit intéressant ou non.
Daido Moriyama - How I Take Photographs
Pour vous procurer le livre How I Take Photographs , ça se passe par ici.
Ricoh GR - Comment appréhender la focale 28mm ?
J'ai parfois des questions qui m'arrivent par email ou sur Facebook auxquelles je prends le temps de répondre. Et puisque c'est peut être une question que vous vous posez si vous envisagez de vous procurer un Ricoh GR, je me suis dit que ce serait aussi bien de vous partager cet échange.
J’ai une « petite » question un peu technique à te poser : je viens d’acquérir un ricoh gr et suis un peu désarçonnée par le grand angle… aurais tu quelques conseils à me donner pour gérer un objectif de 28 mm et faire en sorte que les visages ressortent bien sur les photos et s’y intègrent bien ?
Alice
Hello Alice,
Alors le 28mm, ou toute focale large, en photographie de rue, c'est difficile. Le principal problème est que ça parait beaucoup plus large que notre champ de vision normal. Néanmoins le 28mm est la focale fixe la plus versatile, qui permet par exemple de photographier de l'architecture sans trop de problème et d'aller jusqu'au portrait sans déformation extrême du visage.
On pourrait arguer que le 35mm serait plus proche de notre vue et déforme moins, personnellement je suis un adepte du 35mm et le préfère toujours au 28mm. Les boîtiers compacts spécialisés en photographie de rue ayant le plus de succès sont le Fuji X100 (35mm) et le Ricoh GR (28mm). Le choix d'optique différent pour ces boîtiers s'explique aisément, le Fuji X100 a un viseur alors que le Ricoh GR propose une visée écran. Pour moi c'est là que réside la principale difficulté du GR, la visée écran à laquelle j'ai mis du temps à m'habituer.
En avançant le ricoh GR devant soi pour viser à l'écran, le 28mm est beaucoup plus proche du 35mm dans le cadrage. La différence entre ces deux focales, c'est un pas en avant... Du coup je comprends Ricoh, avec une visée écran mieux vaut un 28mm.
Avec la pratique, tu pourras t'y habituer et je te souhaite d'y prendre du plaisir, ça ouvre aussi de nouvelles choses une nouvelle manière de photographier. Au pire, tu peux toujours forcer le 35mm avec le Ricoh GR. C'est un zoom numérique, ça limitera un peu tes pixels mais rien de choquant. Sinon quand tu te trouves trop "large", fais un pas en avant :) c'est presque toujours une bonne idée de s'approcher.
Pour les portraits, tu vas devoir être proche si tu veux des plans serrés. Par conséquent, il va falloir briser la glace et dialoguer pour dédramatiser l'appareil si proche du visage. C'est aussi bien, la qualité du portrait dépend surtout de la relation avec ton sujet.
J'espère que ça t'aidera.
À une prochaine,
Genaro