Le Mini Guide de la Photographie de rue

La Ville Miraculeuse - Paris, 2012

Qu'est-ce que la Photographie de rue ?

La photographie de rue est l'art de photographier des inconnus. Elle se pratique dans des lieux publics, que ce soit dans un parc, une gare, un centre commercial, une bibliothèque, un aéroport ou donc... la rue.

La Ville Miraculeuse - New York, 2011

Demander la permission

Est-ce qu'une photographie de rue doit être absolument naturelle et prise sur le vif ou est-ce que vous devez demander la permission ?

En fait, c'est un peu comme vous voulez. Parfois, vous voudrez vous approcher et demander un portrait. À d'autres moments, vous verrez une scène où il sera préférable de ne pas intervenir, où vous voudrez la capturer telle qu'elle est.

Quand je veux m'approcher très très près de mes sujets, je demande généralement la permission, mais pas toujours.

Pourquoi photographier dans la rue ?

En voilà une bonne question. Pourquoi photographier dans la rue ? Que cherchez-vous dans la photographie de rue ?

Personnellement je m'en remets à Joël Meyerovitz :

Un photographe de rue n’a aucune idée de ce qui va arriver chaque jour. Nous sortons dans les boulevards du monde, juste pour être dehors, et juste pour regarder la manière dont le monde continue à se présenter à nous avec des idées, des incidents et des moments de conscience.

Mais vous pourriez avoir différentes raisons d'apprendre et de pratiquer la photographie de rue :

  • Il y a toujours quelque chose de nouveau à voir, et cette pratique fonctionne particulièrement bien en voyage.

  • L'adrénaline ! Je peux vous assurer qu'une fois que vous aurez franchi le premier pas, vous aurez une bonne décharge. Certains y prennent simplement du plaisir.

  • La fonction sociale. On pourrait dire qu'un photographe de rue est d'abord un sociologue, qu'il montre ou démontre le monde qui l'entoure. Ou plus simplement, un photographe aime sincèrement les autres, la photographie de rue est d'abord une expérience humaine.

Pour aller plus loin :

Le meilleur appareil pour la photographie de rue

Pour la photographie de rue, je recommanderais un Ricoh GR, un Sony RX100 ou un Fuji X100, quelque soit la génération ils sont tous bons.

Mais vous pouvez certainement utiliser l'appareil que vous avez actuellement. Le meilleur moyen de pratiquer est de toujours avoir son appareil photo avec soi, c'est pour cela que je recommande des appareils compacts, qui tiennent dans une poche ou un manteau.

La meilleure focale ? Personnellement le juste équilibre se trouve à 40mm

Quelle est la meilleure focale ?

Si vous devez ne choisir qu'une seule optique, je vous conseille de choisir une focale fixe, sans zoom. Vous obtiendrez une meilleure qualité d'image, et cela vous forcera à vous déplacer et à être créatif dans vos compositions.

Si vous utilisez un viseur (optique ou électronique), la focale la plus polyvalente est le 35mm, et c'est parfait pour commencer. Si vous visez avec l'écran, à bout de bras, alors le 28mm est préférable. En allongeant le bras vous serez plus près de vos sujets.

La focale 50mm est également beaucoup utilisée. Elle fut notamment prisée par la légende de la photographie de rue Henri Cartier-Bresson. Je la trouve difficile à pratiquer pour mon goût, mais ce peut être un bon moyen de débuter, notamment parce que les optiques 50mm dites "Nifty Fifty" sont très abordables chez tous les fabricants. Vous trouverez généralement un premier prix avec les optiques 50mm F1.8.

D'une manière générale, la plus grande difficulté en photographie de rue est de s'approcher de ses sujets, une focale large (35mm et moins) vous y obligera et vous permettra de vous améliorer.

My Soul so Cool from the Bath of Light - Salvador de Bahia, 2019

Qui sont les grands maîtres en photographie de rue

Quel que soit le genre de photographie dans lequel vous souhaitez vous améliorer, étudiez les photographes reconnus et trouvez vos inspirations.

En photographie de rue, j'ai choisi les grands maîtres qui m'inspirent, trouvez les vôtres et étudiez leur manière de travailler :

La Ville Miraculeuse - Salvador de Bahia, 2019

Techniques de photographie de rue

Les techniques de prise de vues en photographie de rue sont faciles à résumer, elles correspondent toutes à l'un de ces deux principes :

  • Trouver un cadre et attendre ;

  • Trouver un sujet et le suivre.

Le principal frein au déclenchement en photographie est la peur, pour pratiquer la photographie de rue vous devrez vous confronter à vos peurs, et pour ça le meilleur moyen est de commencer par des portraits, pour vous habituer à aborder des inconnus. Puis vous pourrez petit à petit vous approcher et sauter l'étape de la permission. Alors seulement vous pourrez commencer à expérimenter des techniques créatives

Pour aller plus loin :

Primal NYC - 2019

Quel est le meilleur moyen de partager ses photos ?

Rien ne sera meilleur qu'un espace que vous contrôlez : ouvrez un blog gratuitement avec Wordpress.com et partagez vos photos sur un site à votre nom.

Ensuite vous pourrez partager vos photos sur les réseaux sociaux. Mon conseil est d'utiliser ceux dont vous avez l'habitude. Je déconseille les plateformes 500px ou Flickr si vous n'y êtes pas déjà. Si vous voulez expérimenter et chercher de nouvelles audiences, choisissez plutôt des plateformes en croissance.

Mais d'une manière générale ne passez pas trop de temps sur la diffusion de vos images, ça ne fera jamais de vous un(e) meilleur(e) photographe. En tout cas ne tenez pas compte des performances de vos photos sur les réseaux, surtout si vous débutez en photographie ou si vous commencez à peine à partager votre travail. Votre énergie sera mieux employée en travaillant sur un projet personnel au long cours. En plus il sera certainement plus regardé et partagé si vous le réalisez avec passion.

Lire la suite

Aurez-vous toujours peur de photographier dans la rue ?

Depuis quelques jours il est à nouveau possible en France de sortir de chez soi sans permission. Pas pour toutes les régions, dans un rayon de 100km et sous certaines conditions pour les transports publics ou les écoles. On est pas sortis des ronces.

La bonne nouvelle, c'est qu'une bonne partie d'entre vous avez maintenant la possibilité de sortir de chez vous pour photographier. Fini les séances d'auto-portraits à la fenêtre ou de lamentation sur notre appareil photo qui prend la poussière.

Est-ce que ce déconfinement amènera plein de photographes dans la rue ? Probablement pas. Et ce pour une raison très simple : la peur.

La photographie de rue est la raison d'être principale de mes formations, c'est une expertise qui est peu enseignée. Et dans cette discipline, le principal frein au progrès ou même à simplement essayer est LA PEUR. Oui, j'aime bien penser que la photographie est un sport, qu'un genre photographique est une discipline et une photo une performance. Ça ne change rien à l'histoire, c'est juste une manière de me motiver.

Je suis donc prêt à parier que nous ne verrons pas beaucoup plus de photographes de rue dans les jours à venir. Mais si je peux vous aider sur la peur, je ne vais pas me priver.

Voici 3 méthodes qui doivent vous aider sur vos peurs. Je limite à 3 pour que vous puissiez les pratiquer rapidement.

Demandez la permission

Il pourrait paraître étonnant de conseiller de demander la permission en photographie de rue. Est-ce que je ne perds pas un moment authentique en réalisant un portrait ?

Alors, déjà non. Qui a dit que la photographie de rue devait toujours être volée ? Personne. Ou j'men fous.

Et puis nous sommes là pour travailler sur la peur de photographier des inconnus. Le meilleur moyen de progresser sur la peur est de s'y confronter, d'aller vers les autres, vers quelqu'un qui vous intéresse, sans forcément lever son boitier ou lui mettre dans le nez.

Allez vers quelqu'un dont vous aimeriez une photo et dites :

  • "Bonjour, j'étudie la photographie. Est-ce que je pourrais prendre une photo de vous ?"

Ou toute autre version que vous trouvez polie et agréable. Vous avez le droit de sourire quand vous vous approchez ;)

Quand vous aurez demandé 10 fois la permission, vous verrez que la peur de photographier commencera à s'atténuer.

Pelourinho, Salvador de Bahia 2020 - Photo Genaro Bardy

Posez des questions

Passez du temps avec les personnes que vous photographiez. Vous en apprendrez plus sur eux, vous verrez plus d'attitudes et de détails dans leur comportement, tout ce que vous pourrez utiliser dans vos photos.

Posez des questions simples, comme si vous essayez de comprendre en 5 minutes qui ils sont et ce qui les intéresse. Ce sera perçu de manière amicale dans 90% des cas, et dites-vous que c'est légitime puisque vous avez déjà demandé si vous pouviez prendre des photos. Vous êtes photographe :)

Proposez toujours d'envoyer la photo plus tard, prenez les coordonnées des personnes dont vous avez le portrait. Et puis envoyez effectivement la photo ! Je suis parfois coupable sur cette partie.

L'idée ici est de vous faire travailler votre scène pour aller chercher de meilleurs clichés.

Pelourinho, Salvador de Bahia 2020 - Photo Genaro Bardy

La règles de 3

La règle de 3 est simple :

  • Quand vous voyez quelqu'un d'intéressant, vous avez 3 secondes pour faire 3 pas en avant et déclencher

Les moments intéressants en photographie de rue passent trop vite :

  • Soyez prêts sur vos réglages,
  • Observez avec toute votre attention,
  • Quand vous avez une intuition, ne réfléchissez pas,
  • Marchez en direction de votre sujet et déclenchez.

L'idée est de ne pas laisser le temps à de fausses excuses. La peur viendra toujours par des chemins de travers : "j'ai pas le bon réglage", "il avait l'air bizarre", "je suis trop loin"...

Ne laissez pas le temps à la peur de s'installer et de justifier l'abandon de cette pratique. C'est difficile, mais ça ira mieux à partir de la 3ème fois.

1 pas en avant, 2 pas en avant, 3 pas en avant, déclenchez. En 3 secondes.

Pelourinho, Salvador de Bahia 2020 - Photo Genaro Bardy

Si vous ne le faites pas pour vous, faites le pour moi

Ironie de l'histoire, alors que nous sommes à la maison depuis deux mois, le confinement strict arrive à Salvador de Bahia, dans notre quartier. Les statistiques du Covid-19 ne faiblissent pas, malgré la fermeture de tous les commerces et écoles. Je vais donc continuer à shooter à la maison...

Mais j'espère bien voir vos photos, où que vous soyez ! Vous avez un site ou un compte Instagram où vous partagez vos photographies de rue ? Laissez-le en commentaire, je serai heureux d'aller voir ça.

Lire la suite

Ce que j’ai appris de Joel Meyerowitz et Garry Winogrand

Tous ces enseignements sont issus du dernier chapitre du livre ByStander de Colin Westerbeck et Joel Meyerowitz. ByStander est le meilleur ouvrage sur la photographie de rue qu'il m'ait été donné de lire, bien que le point de vue soit très américain. Ce dernier chapitre est une discussion entre Colin Westerbeck (conservateur, auteur et enseignant de l'histoire de la photographie) et Joel Meyerowitz, immense photographe que j'admire dans chacune de ses entreprises. Joël Meyerowitz retrace son parcours au début des années 60 et notamment sa relation particulière avec Garry Winogrand, un autre grand photographe de rue.

Joel Meyerowitz et Garry Winogrand se sont rencontrés dans le métro depuis Manhattan en direction du Bronx alors que Winogrand travaillait sur son premier livre "The Animals" et que Meyerowitz rentrait chez lui. Puis ils se sont croisés à plusieurs reprises dans les rues de Manhattan. S'en suivit une amitié qui laisse rêveur tout amoureux de la photo, deux des plus grands photographes de New York arpentaient les rues et photographiaient la plupart du temps ensemble.

Voici les enseignements que j'ai trouvé les plus inspirants de cette relation :

[NDLA : tout est traduit par mes soins]

Les photos de rue doivent être « dures »

Les photos de rue doivent être dures à réaliser. Les scènes doivent être dures à trouver. Si j'augmente la difficulté dans mes prises de vues, je limite le nombre de personnes qui pourront en réaliser des similaires, j'aurai moins de concurrence et serai plus facilement original. Surtout en augmentant la difficulté j'obtiens des photos qui ont une connexion émotionnelle forte avec celui qui regarde les photos. Une photo difficile est reconnue comme telle par celui qui la voit, son pouvoir de fascination est d'autant plus élevé. C'est aussi un bon moyen de lutter contre l'ennui et la répétition de situations tout le temps similaires ou banales.

Quelques exemples de photos difficiles à réaliser :

  • S’approcher très près. Voire trop près.

  • Composer en triangle. Essayer de toujours avoir 3 « scènes » ou sujets évidents sur une même photo sans qu’ils se chevauchent.

  • Le moment parfait. Je n’aime plus beaucoup l’instant décisif, j’ai maintenant beaucoup de mal avec cette notion, bien qu’elle m’ait fasciné pendant des années. On laisse passer en permanence des moments qui pourraient être plus beaux, plus intéressants, il faut apprendre à les abandonner. Un moment n’est pas décisif parce que vous avez su le capter, pour moi une photo est le meilleur élément d’un travail, d’une performance du photographe. Le moment est parfait parce que tout s’aligne comme vous l’avez espéré, attendu ou vu, et parce que la scène dit quelque chose de l'endroit où vous êtes ou du sujet que vous suivez.

Phrase de Joël Meyerowitz - ByStander

Photo Joel Meyerowitz

Photo Joel Meyerowitz

Photo Garry Winogrand

Photo Garry Winogrand

Mes photographies ont une humeur

Le travail de Garry Winogrand ressemblait à la vie qui passait en fuyant et ce gars l'attrapait au vol. Ses photos étaient drôles, drôles et folles. [...]

Garry Winogrand avait une hyper-personnalité. Il donnait un tempo tellement fort dans la rue qu'il était impossible à suivre. Vous aviez juste à adopter son mouvement. Quand j'étais avec lui, je ne le regardais pas, nous regardions chacun l'action autour de nous, mais je n'ai jamais vraiment adopté sa manière de travailler et de photographier. Vous pouviez le voir dans ses photos. Elles étaient tellement chargées, en les voyant vous commenciez à comprendre sa manière physique de prendre des photos. Elles vous montraient directement qu'elles étaient une réponse sans aucune hésitation.

Joël Meyerowitz - ByStander

C'est en travaillant de manière répétée à New York que je me suis rendu compte que mon humeur changeante pouvait influencer grandement mes photos. Si je traverse une étape difficile de ma vie, ma physicalité dans la rue sera différente, mes interactions seront différentes, et mes photos reflèteront mes émotions.

Au contraire si je suis joyeux, déterminé à sortir des photos, je repousserai des limites et irai chercher ce que je n'aurais jamais soupçonner pouvoir réaliser. Mon style photographique est avant toute chose représenté par mon humeur, et par un regard que je peux poser sur ce qui m'entoure. Pas uniquement un regard graphique, mais une énergie, que ce soit une curiosité ou une drôlerie, qui reflètera mes émotions les plus profondes.

Photo Garry Winogrand

Photo Garry Winogrand

Photo Joel Meyerowitz

Photo Joel Meyerowitz

Les manifestations sont d'excellentes occasions

Nous allions à chaque manifestation, chaque marche, tous les rassemblements à Central Park ou Times Square ; quand il y avait des marches, nous y allions tous. Nous nous y rendions vraiment pour deux raisons. Déjà parce qu'on prêtait notre corps à une bonne cause, parce que c'était juste, mais aussi parce que c'était un endroit parfait pour faire des photographies. C'était chaotique, il y avait des foules énormes, et puis il y avait les médias. [...] Tout le monde se tournait vers les camions de télévisions, et puis la police arrivait, les manifestants arrivaient, et bam, confrontation. Et puis les lumières de NBC s'allumaient à un autre endroit et ça bougeait le long de la rue. C'était comme un flipper.

Joël Meyerowitz - ByStander

Quand je commençais mon activité professionnelle à Paris, je passais chaque week-end à arpenter les manifestations qui ne manquaient pas d'arriver pour une raison ou une autre. Je choisissais bien sûr plutôt les causes que je défendais, n'étant pas en commande.

Aujourd'hui je vis à Salvador de Bahia, cette ville est plutôt réputée pour ses processions religieuses catholiques et Candomblé. Si je le peux, je suis présent à chacune d'elle. Les manifestations sont des endroits rêvés pour la photographie de rue, pour observer la vie quotidienne et les habitudes locales, et pour trouver des scènes extra-ordinaires qui seront parfaites pour des photos.

Photo Joel Meyerowitz

Photo Joel Meyerowitz

Photo Garry Winogrand

Photo Garry Winogrand

Trouver un camarade de jeu

Joël Meyerowitz dit de leur relation avec Garry Winogrand qu'ils étaient comme "deux gavroches" dans les rues du Bronx. Deux enfants essayant de capter la vie autant et aussi bien qu'ils pouvaient.

Garry aimait avoir de la compagnie. Il avait besoin d'être dehors dans les rues, et il avait besoin de compagnie avec lui tout le temps. C'était irrésistible, il était irrésistible. Il disait tout le temps "Allons-y ! Allons-y !" dès le début de notre relation, il m'appelait le matin et disait : "écoute, je te retrouve au Greasy Spoon au croisement d'Amsterdam et de la 96e. Nous prendrons un café, puis on sort et on photographie." Je sortais dans les rues intensément entre 1962 et 1965, avec ce gars, cette boule de nerfs inarrêtable.

Joël Meyerowitz - ByStander

Mes principaux camarades de jeu sont maintenant les participants à mes voyages-photo, où ceux à qui j'enseigne dans les rues de Salvador. Je me crois plus proche de Garry Winogrand sur cette aspect, j'aime avoir quelqu'un à qui montrer mes photos, discuter photographie ou des scènes que nous croisons, ou politique, ou quoi que ce soit en fait. La photographie, c'est mieux à plusieurs.

Et pour progresser j'ai adoré coller aux basques des grands photographes que j'ai trouvé sur ma route, merci à eux de m'avoir supporté. Trouvez un mentor et posez-lui toutes les questions que vous pouvez, ce sera toujours utile, et follement amusant.

Photo Garry Winogrand

Photo Garry Winogrand

Photo Joel Meyerowitz

Photo Joel Meyerowitz

La photographie est une méditation

Timing, intuition. C'est ce sixième sens que vous ne pouvez pas vraiment décrire à quelqu'un d'autre. Je ne voudrais pas aller de manière trop lourde sur cette partie mystique de la photographie, mais si vous êtes à un endroit suffisamment longtemps, que vous soyez en canoë le long du Grand Canyon ou si vous marchez le long de la 5ème avenue, vous commencez à apprendre le cours de la rivière ou des rues et à comprendre le comportement des gens. Si vous voyez une anomalie dans la foule, ou sentez un changement de densité de la foule, à 15 ou 20 mètres, vous allez vous préparer et essayer d'observer ce qui s'y passe, ce qui va arriver. Vous commencez à prévoir et à vous projeter en position et alors peut être que ça viendra de votre côté.

Joël Meyerowitz - ByStander

Rentrer dans cette zone si particulière de concentration n'arrive pas instantanément, ça se décide. Quand je commence à chercher des photos autour de moi, ma concentration grandit peu à peu. Une lumière étonnante, un détail amusant, puis tiens une scène qui correspond à ma focale, comment pourrais-je l'attraper. Et si j'allais là ? Mais pourquoi a-t-il l'air triste. Oh un beau rouge qui sort d'une zone d'ombre. Mais qu'est-ce que c'est que ce chapeau, haha ça n'a l'air de rien.

Quand je lève le nez il peut s'être passé 20 minutes, surtout si je n'ai personne avec moi. Rentrer dans la zone commence par une méditation, mon appareil, un réglage, ok je commence autour de moi, puis plus loin et je scanne, zone après zone. Et je recommence.

Photo Joel Meyerowitz

Photo Joel Meyerowitz

Photo Garry Winogrand

Photo Garry Winogrand

1200 ISO et être là

Nous travaillions de manière totalement différente de Robert Franck. C'est une différence de métabolisme, mais c'est aussi une différence technique. Avec Garry Winogrand nous utilisions de la pellicule Tri-X 400 que nous poussions à 1200 ASA [NDLE équivalent 1200 ISO si vous utilisez un appareil photo numérique]. La raison est que cela nous permettait d'avoir une vitesse au 1/1000e de seconde autant que possible, parce que si vous faites de la photo de rue au 1/125e de seconde, les photos sont floues. Si vous êtes en train de bouger vers quelque chose ou si votre sujet est en mouvement, l'un des deux mouvements ruinerait la photo. Je m'en suis rendu compte en observant le travail de Garry. Pousser le film comme ça était l'innovation de Garry.

Joël Meyerowitz - ByStander

Pendant des années j'ai photographié dans les rues ou en reportage en mode priorité vitesse au 1/250e de seconde, avec une sensibilité de 200, 400 ou 800 ISO selon les conditions de lumière. Mais avec le temps je reviens à plus de simplicité : Mode P et 1200 ISO minimum pour que la vitesse soit suffisamment élevée.

Moins je pense à mes réglages, plus je passe de temps à composer et à chercher des photos "dures" à réaliser. Le dicton populaire en photographie de rue est "F8 and be there" - "F8 et soyez-là". Mais je crois que "ISO 1200 et soyez-là" est encore plus pertinent.

Lire la suite

Comment commencer un projet en photographie de rue

Photographier en série est la recette du bonheur. Voir un projet éclore, s'accomplir, est le summum du plaisir en photographie. Certains vous diront que c'est la seule manière de procéder, je suis en désaccord avec cette assertion radicale.

La photographie peut être extrêmement simple et rester un petit journal de votre vie quotidienne. La photographie peut aussi être utile de manière tout à fait pratique pour communiquer l'existence ou l'avancée d'une activité. Quand je photographie mon fils, je n'ai pas d'intention de publier, d'exposer ou d'assembler les photos dans un livre, ce n'est pas un projet et ça reste pour moi de la photographie.

Mais si vous voulez aller plus loin dans votre expression artistique, une seule voie : le projet photographique, quelque soit la forme finale qu'il prenne.

Explorons ici quelques moyens d'initier un projet photographique.

Une obsession

Un projet photographique devrait commencer par ce que vous pouvez photographier pendant 5 ans sans jamais vous lasser. Un projet est avant tout une obsession.

J'ai personnellement une obsession avec New York que je n'aurai jamais fini d'explorer, si je ne m'y installe pas un jour je sais que j'ai encore quelque chose à aller chercher. Dès que mon projet "Ville Déserte" a commencé j'ai eu mes yeux sur New York qui est pour moi la capitale du monde. J'ai commencé un autre projet à New York avec une autre obsession, concentrée sur les couleurs primaires. Quand j'ai un projet en tête et qu'il s'accroche, j'ai l'impression qu'il me reste à l'esprit en permanence, que je ne peux plus le lâcher tant que je n'en ai pas sorti un objet fini. Pour moi cet objet fini est un livre, mais cela pourrait prendre d'autres formes : un diaporama, un film, pourquoi pas un Leporello.

Alex Webb parle de l'obsession dans son livre On Street Photography and the Poetic Image, quand il décrit son processus d'écriture de livres. Il explique qu'une grande partie du projet est de découvrir la nature particulière de son obsession, sans vraiment en connaître la fin. La plupart de ses projets commencent par une phase exploratoire autour d'une destination particulière. Puis l'obsession nait et grandit après une découverte.

Photo Genaro Bardy - Primal NYC

Photo Genaro Bardy - Primal NYC

Photo Genaro Bardy - Primal NYC

Photo Genaro Bardy - Primal NYC

Le succès

Pour débuter un projet, commencez par analyser vos photos qui ont eu du succès dans le passé. Quelles en sont les caractéristiques ? Que racontent-elles ? Pourriez-vous réaliser cette même série là où vous vous trouvez maintenant ? Dans d'autres endroits ?

Mes villes désertes ont commencé parce que je suis arrivé pour une semaine de travail (dans ma vie passée) à New York la veille de l'ouragan Irene en 2011. Toutes les télés étaient en boucle, Brooklyn avait déjà des zones inondées par les pluies incessantes et le couvre-feu était recommandé à partir de la fin de journée. J'ai descendu Manhattan le long de la 5ème avenue depuis Mid-Town vers le quartier financier à travers Greenwich Village. Plus j'avançais, plus la ville se vidait de ses habitants. J'ai édité mes photos pendant la nuit de l'ouragan et publié mes photos le lendemain matin sur mon blog, Facebook et Flickr. Ce projet était tout simple et s'appelait alors "Le Calme avant Irene". À l'époque c'était mes photos qui avaient été le plus partagé, et probablement la seule fois où l'une d'elles était en page d'accueil de Flickr.

3 ans plus tard, alors que je commençais mon activité de photographe professionnel, je me suis demandé comment je pouvais reproduire ce type de photos, sans personne. Parce que je voulais travailler à Paris et que je ne pouvais pas prévoir les ouragans, j'ai essayé de me demander quelle serait la nuit la plus calme de l'année. Noël était un mois plus tard, j'ai fait un rapide repérage et tracé un parcours pour la nuit de noël pour réaliser un maximum de photos, c'était un essai. L'ouragan est alors arrivé pour mes photos qui ont été reprises dans des dizaines d'articles. Une fois le principe éprouvé à Paris, j'ai eu mes yeux sur Londres, Rome, Tokyo, et bien sûr New York pour continuer le projet.

Photo Genaro Bardy - Le Calme avant Irene - New York, 2011

Photo Genaro Bardy - Le Calme avant Irene - New York, 2011

Une histoire

C'est ici que vous devez prendre conscience qu'un projet photographique peut simplement être un projet d'auteur, indépendamment du moyen qui est utilisé pour raconter une histoire, en l'occurence des photos.

Nous avons tous des histoires que nous racontons à des amis ou des nouvelles connaissances. Quelqu'un dans votre famille qui a un parcours étonnant ? C'est une histoire. Un lieu pour lequel vous avez un attachement particulier ? Vous connaissez certainement des dizaines d'histoires de ceux qui le peuplent.

La particularité d'une histoire est à priori la notion temporelle. Une histoire ça commence par "il était une fois" et ça finit par "ils vécurent heureux" si vous vous appelez Disney. Vous aurez des personnages dont vous voudrez réaliser des portraits, des lieux dont vous aurez besoin de paysages ou de détails, quantité d'éléments qui composeront votre histoire, ils seront toujours liés par le temps : vous aurez un début, un incident, un sujet, qui évoluera dans le temps. L'ensemble va constituer un arc narratif.

Et puis vous trouverez des histoires qui ne respectent aucun code, qui ont des manières originales d'être racontées. En cinéma par exemple Christopher Nolan est connu pour jouer avec les codes narratifs en modifiant les structures temporelles classiques.

Vous trouverez autant de manières de raconter une histoire que d'histoires, vraiment. Mais si vous voulez débuter un projet, commencez par l'histoire que vous connaissez et qui fascine quand vous la racontez. Photographiez ses personnages, ses lieux, et utilisez l'évolution dans le temps pour la développer.

Le hasard

Marchez de manière aléatoire, perdez-vous en prenant des directions au hasard, au fil d'inspirations spontanées. Robert Adams explique qu'il ne pourrait jamais commencer un projet en écrivant à l'avance ce qu'il devait photographier. Ce sont les photos issues d'explorations aléatoires qui donneront une idée à posteriori.

Pour Robert Adams la plupart des livres commencent par une marche et des photos, sans aucun plan. Quand on connait le travail dantesque réalisé pour ses livres, on pourrait dire que le hasard se transforme alors... en obsession.

Photo Genaro Bardy - My Soul so Cool from the Bath of Light - Salvador de Bahia, 2018

Photo Genaro Bardy - My Soul so Cool from the Bath of Light - Riohacha, 2019

Photo Genaro Bardy - My Soul so Cool from the Bath of Light - Bogota, 2019

L'ancien

Revisitez d'anciennes séries de photos et demandez-vous ce que certaines pourraient avoir en commun. Pourquoi avoir choisi une photo plutôt qu'une autre ? Est-ce que cette raison tient encore aujourd'hui ? Et si vous commenciez à assembler certaines photos de séries qui n'ont rien à voir, comment pourriez vous continuer ce que vous commencez à raconter ?

Un projet photo ne va pas révolutionner le monde de l'art, il ne doit pas être un statut ou une épreuve de vanité. C'est simplement un assemblage de photos, accompagné de textes plus ou moins longs. Cela peut paraître basique, mais je suis convaincu que vous aurez besoin de pratique en projets photographiques pour progresser, que vous avez besoin d'éprouver et de rater des projets comme on rate des photos. Commencez par un projet basique en re-visitant des photos déjà réalisées.

Photo Genaro Bardy - Underdogs - New York, 2010

Photo Genaro Bardy - Underdogs - New York, 2011

Un titre

Notez des titres dans un carnet, dès que vous voyez un assemblage de mots qui feraient un bon titre de projet. Un titre que vous auriez envie d'explorer comme lecteur, un bon mot, un jeu de mots, une phrase qui chante, une poésie en prose, tout ce qui vous passe sous les yeux et qui ferait un bon titre.

Je crois qu'il n'y a rien de plus beau qu'un joli carnet avec une belle écriture, mais j'écris de manière totalement désordonnée mes carnets ne ressemblent à rien. Personnellement j'utilise Google Keep (Application Android et Web), qui me permet de synchroniser entre mon ordinateur et mon téléphone. Puisque j'ai pris la fâcheuse habitude de lire tout ce qui n'a pas de photos sur l'application Kindle de mon téléphone, je copie les passages qui m'intéressent dans Keep.

Puis demandez-vous comment vous pourriez réaliser un projet photo à partir de chaque titre. Commencez à établir la liste de photos dont vous pourriez avoir besoin pour développer un titre. Marie Lemeland avec qui nous avons réalisé La Ville Miraculeuse y explique avoir pris ce titre d'un poème de Paul Nougé. Ce poème serait d'ailleurs une excellente source pour plein de projets photo :)

Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse - Paris, 2018

Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse - Salvador, 2019

Photo Genaro Bardy - La Ville Miraculeuse - Shanghai, 2015

L'inspiration

Le moyen le plus facile de commencer un projet photographique est de s'inspirer des grands maîtres. Prenez un projet qui vous intéresse ou vous fascine et demandez-vous : si je devais réaliser un projet similaire, à ma manière, comment est-ce que je ferais ?

Est-ce que c'est un plagiat ? de la copie ? du vol ? Bien sûr que non. Partez du principe que toutes les photos on été faites et que tous les projets ont été réalisés. Ce que vous pouvez proposer sera toujours une adaptation d'un principe déjà vu ailleurs. Me concernant j'ai découvert après "Desert in Paris" que Masataka Nakano avait déjà proposé ce principe avec Tokyo Nobody. Si le principe est identique, les différences sont majeures : Masataka a réalisé son livre sur 10 ans essentiellement le matin, alors que chacune de mes villes désertes sont capturées sur une seule nuit, toujours pendant une fête familiale (Noël à Paris, Londres ou Rome, Thanksgiving à New York, le jour de l'an à Tokyo). Et ça n'a pas empêché d'autres photographes de proposer Paris désert, à d'autres occasions.

https://www.youtube.com/watch?v=nJPERZDfyWc

Tout est remix. Inspirez-vous des plus grands photographes et adaptez les projets que vous aimez à votre sauce, avec votre patte, votre oeil. Si vous croyez en une histoire, c'est une raison suffisante pour commencer à la raconter. Si vous étiez écrivain, vous ne vous empêcheriez pas d'écrire un roman policier parce que ça a déjà été fait.

Pour nourrir votre inspiration, je vous propose deux livres qui contiennent quantité de projets passionnants :

  • The Photobook: A History Volume III by Martin Parr - Une histoire des livres photo par le génial Martin Parr. Les premiers volumes feraient l'affaire mais celui-ci est plus récent et donc à mon avis plus pertinent.

  • Magnum histoires - Ce livre est nettement moins cher et regroupe les histoires de séries de photos des grands maîtres de l'agence Magnum. Chaque histoire pourrait être une inspiration pour vous, et ce prix pour un livre si gros et beau c'est le meilleur cadeau que vous pouvez vous faire.

Lire la suite

5 leçons sur la photographie de rue avec Elliot Erwitt

Photo Elliott Erwitt

Elliot Erwitt est un photographe mondialement connu basé à New York mais constamment en voyage. Il est membre de l'agence Magnum depuis 1958, sa carrière continue depuis plus de 60 ans et il a été exposé dans de nombreux musées prestigieux. Elliott Erwitt est une sommité de la photographie et un grand maître de la photographie de rue.

Ces enseignements seront souvent illustrés par des photographies issues du livre Elliott Erwitt's NEW YORK dont je prends conscience à l'instant en commençant cet article que je possède un exemplaire signé. Je pense en avoir fait l'acquisition lors de l'une de ses expositions à Paris, mais rien n'est moins sûr. Je suis en tout cas un fan absolu du travail d'Elliott Erwitt, de son regard et de sa drôlerie, je ne peux pas imaginer présenter certains grands maîtres de la photographie de rue sans Elliott. Il représente une de mes inspirations majeures en photographie.

Eloge de la sérendipité

La sérendipité est la conjonction du hasard heureux qui permet au chercheur de faire une découverte inattendue d'importance ou d'intérêt supérieurs à l'objet de sa recherche initiale, et de l'aptitude de ce même chercheur à saisir et à exploiter cette « chance ». (Wikipédia)

Les photos d'Elliott Erwitt sont un éloge de la sérendipité, un hymne au hasard heureux et à la chance provoquée. La photographie de rue est une pratique qui est pleine de petits moments anodins, intéressants, curieux. La curiosité, voilà, c'est la qualité du photographe de rue. Et notre curiosité, notre soif de voir est étanchée par la sérendipité qui ne manquera pas d'arriver, si et seulement si nous sortons de chez nous pour faire des photos.

Photo Elliott Erwitt

USA. New York City. 1949.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York. 1968.

Déambuler sans direction ou plan

Que vous soyez en train de découvrir une nouvelle ville ou que vous exploriez en bas de chez vous, laissez-vous porter par l'instinct, ne faites aucun plan. Elliott Erwitt explique régulièrement ne faire aucun plan quand il explore une ville, je crois que c'est la meilleure manière de pratiquer la photo de rue.

Trop souvent j'ai une idée pré-conçue de là où je souhaite aller, de ce que je voudrais voir ou photographier. Mais chaque fois que je décide d'aller photographier et d'avancer sans but ni trajectoire je découvre des scènes merveilleuses, une lumière incroyable ou un sujet inattendu. Ne soyez pas un touriste, restez un explorateur.

Quand j'emmène des groupes à New York, j'aime improviser en fonction de la météo, d'un ferry raté qui me fait aller dans une autre direction, d'envies soudaines ou d'inspirations sur des lieux photographiés par certains que j'admire. Je laisse toujours une place à l'inattendu, je crois que la photographie de rue devrait toujours être pratiquée ainsi.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1953.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1950.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York. 1954.

Ne pas se soucier de la technique

Certaines des photos du livre Elliott Erwitt's New York ne sont tout bonnement pas justes techniquement. Mise au point approximative, notamment sur la photo de couverture ! Flou avec une vitesse qui pourrait paraître trop lente. Les exemples sont nombreux et ne posent aucun problème.

L'émotion passe devant la technique, le moment est plus important que la photo elle-même. C'est une leçon d'humilité et de curiosité, regardons avant de déclencher, observons plutôt que de régler. Et ne regardons pas nos photos quand nous sommes dehors, nous pourrions laisser passer un moment merveilleux.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

Travailler toute sa vie

Tous les moments sont bons, même lors de commandes et de travaux qui peuvent paraître inintéressants. On retrouve dans Elliott Erwitt's New York quantité de clichés issus de son activité de photographe professionnel, des photos qui sont clairement des commandes. Et on trouve des moments de tendresse de son quotidien, des moments de vie de tous les jours. La photographie peut être tellement personnelle, intime, simple et profondément subtile en même temps. La photographie ne s'arrête jamais. C'est pourquoi je croie que pour devenir un meilleur photographe il faut se servir de son appareil tout le temps, toute sa vie.

Elliott Erwitt travaillera littéralement toute sa vie, aussi. Lors d'une interview en 2017 il explique alors à l'âge de 88 ans que ses 4 ex-femmes et 6 enfants ne lui laisseront jamais le temps d'une retraite pourtant bien méritée. Je me sens totalement concerné par cette observation, j'ai commencé bien trop tard et je ne mets jamais d'argent de côté, je sais que j'irai au bout et travaillerai tout ce que je pourrai. Ce qui ne me pose aucun problème, à part de ne pas pouvoir travailler en permanence sur des projets personnels. Mais les commandes sont aussi des occasions de voir autrement et différent.

Photo Elliott Erwitt

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1954. Jazz alto saxophonist Paul DESMOND.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1950.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York, New York. 1954. Third Avenue El.

Ne pas se prendre au sérieux

Les livres d'Elliott Erwitt sont pleins de drôlerie, de moments facétieux. Ces photos ne sont jamais des situations inconfortables ou honteuses, juste une pointe d'amusement souvent mêlée à une infinie tendresse. Ou parfois simplement un chien qui a une sacrée gueule.

Je partage avec Elliott un amour infini des chiens, dont nous sommes les meilleurs amis (et pas l'inverse). Je lui dois également la popularisation du 'Dogview', principe de prise de vues où le photographe se met à la hauteur d'yeux du chien.

La photographie n'est pas une question de vie ou de mort, c'est bien plus sérieux que ça ! Travailler sérieusement sans se prendre au sérieux, voilà un mantra fabuleux à garder des photos d'Elliott Erwitt.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York City. 1977.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

Photo Elliott Erwitt - USA. New York.

Lire la suite

Photo de rue et droit à l'image - Peut-on photographier des inconnus sans demander la permission ?

Paris, juin 2021 - Photo Genaro Bardy

Oui, tant que c'est dans un espace public.

C'est la principale question de débutants dans mes workshops et certainement la question la plus posée à propos de la photographie de rue : Peut-on photographier des inconnus sans demander la permission ? Alors attaquons cette réponse en essayant d'être le plus concis possible, c'est à dire un peu plus qu'un "oui" qui devrait pourtant suffire. Les informations présentées ici sont issus d'articles et interviews de Manuel Dournes et Joëlle Verbrugge, juristes spécialisés et reconnus sur la question.

Le droit à l’image est régi par plusieurs textes :

  • Règlement (UE) 2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, Droit à l'effacement (article 17)

  • Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 - Informatique et libertés - Article 110

  • Code civil : articles 7 à 15, respect de la vie privée (article 9)

  • Code pénal : articles 226-1 à 226-7, Atteinte à la vie privée

  • Code pénal : articles 226-8 à 226-9, Atteinte à la représentation de la personne

  • Code de procédure civile : articles 484 à 492-1

Ces textes ne contiennent pas d'élément qui encadre directement le droit à l’image, c’est donc par jurisprudence que les désaccords sont réglés. En pratique le droit à l’image est en conflit avec le droit d’auteur, le droit qu’a le photographe de s’exprimer par la photographie. En cas de plainte, c’est donc au magistrat de décider s’il faut donner la priorité au droit d’auteur du photographe ou au droit à l’image de la personne photographiée.

Le droit à l'image n'intervient qu'à la publication

Sur le principe, on ne peut pas empêcher la prise de vue. Le droit à l’image intervient à la publication. À ce titre, Joëlle Verbrugge conseille de toujours déclencher d'abord, puis de se poser la question du droit de publication. La question du droit de la diffusion ne vient que dans un deuxième temps. C’est là qu’il est intéressant de garder un contact ou l'autorisation de ceux que l’on a pris en photo, surtout si le cliché est polémique.

En réalité à part dans le cas d'une diffusion qui amène un préjudice à la personne photographiée, vous avez tout à fait le droit également de diffuser les images sur Internet si vous n'êtes pas photo-journaliste ou photographe professionnel.

Légalement, les personnes photographiées ne peuvent obliger à effacer une photo sur le boitier

Selon Manuel Dournes des poursuites ne peuvent être engagées que s’il y a diffusion ou publication effectives. La prise de vue n’est pas en soi illicite, tant que les images ne circulent pas aucune poursuite ne peut être engagée. Les personnes qui s’estiment lésées doivent démontrer l’intention coupable de celui qui diffuse les images sauf en matière de diffamation où la charge de la preuve est renversée.

Ainsi selon Joëlle Verbrugge le photographe doit faire preuve de bon sens, si la personne photographiée est dans une situation peu enviable elle peut s'opposer à la diffusion de l'image. Son argument est alors que la photo porte atteinte à sa dignité, ce cas est protégé par le droit à l’image.

Ainsi on ne peut pas interdire l’acte de photographier lorsqu’il se déroule dans un lieu public. C’est la diffusion qui nécessite l’autorisation, pas la prise de vue tant que vous ne pénétrez pas dans un espace privé. Vous pouvez toujours expliquer à quelqu’un votre bon droit de prendre une photo, dont seule la diffusion nécessiterait (éventuellement) son accord.

Si le droit à l’image des personnes semble complexe, c’est parce qu’il est à la fois mal défini et protégé en France. Sa première apparition remonte à 1803 avec l’inscription de l’article 9 au Code civil : “Chacun a droit au respect de sa vie privée.” Toute personne physique a donc le droit d'autoriser ou non la diffusion des photos et vidéos sur lesquelles elle figure.

En deux siècles, la juridiction a autant évolué que les modes de diffusion des images. Ainsi, depuis 2008, pour que quelqu’un réussisse à faire interdire une publication, il faut qu’il prouve ce qui lui porte préjudice. Le simple fait de se reconnaître sur une image ne suffit pas.

Au-delà de cette jurisprudence, plusieurs cas de figure tempèrent l’article 9 depuis longtemps. Si la personne est non reconnaissable – lorsqu’un individu est flou, de dos, dans une foule, ou encore à contre-jour... –, l’autorisation n’est pas nécessaire. Il ne suffit pas que quelqu’un se reconnaisse sur une image parce qu’il se savait présent sur les lieux, par exemple ; il faut qu’il puisse être clairement identifiable par un tiers.

Les photographes de rue ont le droit de diffuser et vendre les photos

Joëlle Verbrugge l’explique également en citant le verdict d’un procès, la personne photographiée peut faire condamner la diffusion d'une photo :

  • quand l’image de la personne est contraire à sa dignité

  • quand la personne démontre que la diffusion lui cause « des conséquences d’une particulière gravité »

Elle donne un exemple : si vous photographiez un couple qui s’embrasse, mais qu’il s’agit d’un homme et de sa maitresse. La femme s'identifie sur votre cliché et demande le divorce à son mari. Ce dernier peut porter plainte pour préjudice moral et éventuellement financier.

S’il n’y a aucun préjudice, aucune conséquence sur la personne photographiée, le photographe est dans son droit. La liberté d’expression artistique prime sur le simple désir d’une personne qui ne souhaite pas voir son image diffusée.

Ce même droit d’expression artistique nous autorise également à vendre nos photos et les tirages, à les exposer, à éditer et vendre un livre photographique.

Connaissez votre droit

Il me parait crucial en photographie de rue de bien connaître ces éléments pour pouvoir réagir à certaines situations qui peuvent être un peu tendues quand une personne vous identifie en train de la prendre en photo. Le droit à l'image est systématiquement évoqué et si vous pratiquez la photo de rue suffisamment proche de vos sujets ces discussions finiront par arriver.

Gardez le sourire, présentez votre travail, demandez la permission de garder la photo ou de réaliser des portraits. Mais connaissez votre droit, vous avez le droit de garder cette photo.

Si vous voyagez, un droit différent s'applique dans chaque pays bien que ces principes soient largement partagés, la prise de photos dans un lieu public est très rarement interdite. Tout de même, renseignez-vous avant de partir en voyage.

Pour aller plus loin :

Lire la suite

Photographie de rue - Sortez de chez vous

La photographie de rue est une activité passionnante pour beaucoup de photographes. Pour moi c'est la seule photographie que je voudrais pratiquer, celle à laquelle je reviens encore et encore et j'aimerais tenter ici de vous expliquer pourquoi.

Quoi ?

Avant toute chose essayons de définir la photographie de rue. Je ne crois pas en une définition définitive de la photographie de rue. Chaque photographe y développera des techniques différentes, y trouvera son regard, mais aucun n'expérimentera cette pratique exactement de la même manière.J'aime assez la définition de wikipedia :

La photographie de rue est une pratique de la photographie en extérieur, dont le sujet principal est une présence humaine, directe ou indirecte, dans des situations spontanées et dans des lieux publics comme la rue, les parcs, les plages ou les manifestations.

Mais cette définition pose un problème. Si je réalise une photo en pose longue d'une skyline à New-York, est-ce encore de la photographie de rue ? Certains vous diront que c'est un paysage. Mais ce paysage urbain est-il vraiment dissocié d'une activité humaine ? Il parait évident que ces gratte-ciels n'existeraient pas sans les hommes et les femmes qui les occupent ou qui y vivent. Je crois aussi que mes villes désertes ont un sens par l'absence qu'elles évoquent : l'absence d'humains. Les villes désertes sont un paradoxe parce qu'elles sont désertes, alors que techniquement on pourrait rapprocher ce projet de la photographie d'architecture.Pour moi cette phrase de Joel Meyerovitz tombe en plein dans le mille :

Un photographe de rue n'a aucune idée de ce qui va arriver chaque jour. Nous sortons dans les boulevards du monde, juste pour être dehors, et juste pour regarder la manière dont le monde continue à se présenter à nous avec des idées, des incidents et des moments de conscience

Si vous ne connaissez pas Joel Meyerovitz, arrêtez ce que vous faites et cliquez sur ce lien. Vous pouvez également vous procurer la bible de la photographie de rue : Bystander, a History of Street PhotographyQuant à moi je me lance dans une définition aussi incomplète qu'inexacte :

La photographie de rue est une méthode d'observation du monde et de ceux qui y vivent. Elle utilise la composition et le cadre pour mettre en évidence des moments de grâce qui ont la fonction de documenter et de révéler.

La vache c'est pas mal pour un premier jet.C'est certainement l'occasion de vous dire de sortir de chez vous. Pas ce week-end, pas demain. Pas quand vous aurez un autre appareil. Maintenant. Posez-ce livre (ou votre téléphone si vous me lisez sur mon blog) et sortez autour de chez vous pendant 20 minutes pour prendre des photos. Vous me remercierez plus tard.Pourquoi ?La question du pourquoi dépend beaucoup du photographe. Pour moi la photographie de rue EST la photographie. La photographie de commande est devenu mon métier et ce que j'y produis utilise les mêmes outils ou les mêmes techniques, mais mon seul vrai grand plaisir en photographie est d'aller voir le monde.Si vous débutez en photographie et souhaitez progresser, la rue est toujours là, elle vous attend. Vous souhaitez progresser en portraits ? en paysages ? en architecture ? pourquoi pas en macro ? Vous avez des aspirations artistiques ? ou documentaires ? Toutes les techniques, tous les genres, tous les styles peuvent se pratiquer dans la rue en bas de chez vous, il serait impossible de les nommer tous ici. Vous avez des volontés de journalisme ou d'auteur ? Les meilleures rencontres que vous ferez sont probablement derrière votre porte.Il est tout à fait possible de rester chez soi pour pratiquer la photo, et pas seulement dans un studio, je vous y encouragerai toujours d'ailleurs. Mais la photographie de rue est cette activité merveilleuse où vous n'avez qu'à sortir de chez vous et à vous exprimer en photographie, à devenir vous-même avec vos photos et ce qu'elles diront de vous.La photographie de rue a également une vocation à être la mémoire de notre temps, à être une expression artistique pour les meilleurs qui seront exposés. Mais je voudrais vous dire que la photographie de rue est aussi une activité merveilleuse même si vous ne publiez jamais vos photos.La photographie de rue est une manière de sortir de sa zone de confort, d'aller vers l'inconnu et les inconnus et de voir le monde d'une manière nouvelle. La contrainte du cadre photographique vous entrainera à chercher des détails, de la lumière, des contrastes, des gestes et des attitudes, tous ces moments furtifs qui peuvent vous appartenir si vous le décidez.Nous verrons dans les prochains articles quelques techniques, recommandations ou réflexions relatives à la photographie de rue, en continuant avec les questions "Qui ?", "Comment ?", "Où ?" et "Quand ?".--Vous avez continué à lire cet article jusqu'au bout ? Il est temps de sortir de chez vous, de commencer à photographier, et de laisser votre instinct vous guider.Si vous débutez en photographie, réglez votre appareil :

  • en mode "priorité vitesse" avec une vitesse de 1/200e de secondes (c'est mon réglage de base dans la rue)
  • ou en mode "priorité ouverture" avec un réglage d'ouverture à F8.0

... et sortez de chez vous, en partant de là où vous êtes, 20 minutes suffisent. Et n'hésitez-pas à décrire votre expérience en commentaires ou dans le groupe facebook ici.—VA est un programme de 25 articles qui a pour objectif d’enseigner à un(e) photographe débutant à prendre de grandes photos. Rien que ça 🙂

Ces articles et le livre dans lequel ils seront regroupés sont en libre accès. Mais si vous voulez m'encourager et m'offrir le café : cliquez ici

Lire la suite

L'insaisissable

La main est d'une poésie incroyable. Elle se trouve toujours au milieu de l'action ou d'un sentiment, elle exprime souvent bien plus que notre visage.Voici une sélection issue d'une journée à tenter d'attraper des mains dans le viseur.La soudaineté des poses intéressantes et ma maitrise encore débutante de mon nouveau boitier aboutit à des photos souvent floues. Comme souvent, je ne m'attache pas à la technique parfaite d'une photo mais uniquement au sentiment qu'elle me procure quand je l'ai sous les yeux.L'aspect intéressant de cette série est le dé-cadrage que cette recherche m'a permit de trouver, notamment sur la fin de journée après avoir mieux saisi les difficultés initiales. En photographie des règles de composition accompagnent une série de clichés, mais c'est presque toujours en jouant avec ces règles ou en les cassant que l'on obtient des structures visuelles étonnantes ou originales.La main, cette insaisissable, peut aussi toucher le coeur.-Mains-Mains-Mains-Mains-Mains-Mains-Mains-Mains-Mains-Mains-Mains-Mains-

Lire la suite