Le temps d’écrire
Les apparences sont probablement trompeuses, mais j’ai régulièrement le syndrome de la page blanche. Je ne sais pas à propos de quoi écrire. Je rentre de New York, épuisé par les kilomètres et l’intensité de cette ville miraculeuse, et quand je me projette dans l’avenir j’imagine bêtement comment je pourrais avoir une chaîne Youtube. Et puis, comme toujours, je reviens à l’écrit. Je reviens à cet amour infini pour le verbe et le flux de conscience qui commence dès que je prends le clavier et me laisse porter par une intuition.
Le temps qui se présente devant moi ne sera pas consacré à des films, parce que j’aime trop écrire. Je repense à ce que je disais à une amie quand je commençais à dire qu’un jour je voudrais être photographe : “je veux faire des photos et écrire”. Dix ans plus tard, alors que je m’apprête à montrer enfin mon quatrième livre photo, produit en même temps que le troisième, je pense déjà au suivant.
Je croyais depuis l’année dernière et la reprise de mes visites à Paris que ce nouveau projet serait à propos des Parisiens. Mais comme je l’explique souvent aux photographes que j’accompagne, tout sujet peut être traité en bas de chez soi. Le problème avec les voyageurs, c’est parfois de bien comprendre où est chez soi. Pour moi, c’est maintenant un peu plus simple, chez moi c’est ma famille : Fernanda, Luna et Tom.
Ce projet, je l’ai en moi depuis un an et je veux commencer à l’écrire. En vérité, je veux encore plus l’aboutir, parce que je sais déjà ce que je veux dire, même si je crois que ça ne ressemblera à rien que je n’aie déjà vu. C’est inconnu et c’est ce qui rend ce projet tout autant excitant que vertigineux, car j’aimerais qu’il soit un peu plus vu que si je le produisais seul. Je vais donc partir en quête d’un éditeur.
Si vous voulez mener un projet, vous feriez probablement mieux de ne pas en parler avant qu’il ne soit abouti. C’est pour cela que j’en donne peu de détails. Mais si je vous dis ça, c’est un peu aussi pour me forcer à la tâche. En annonçant l’idée, je veux me donner une perspective, voire une date limite. Je veux me lancer, et ne plus regarder en arrière. Je veux écrire, enfin.
Le syndrome du bâtard
Il existe des amitiés qui transcendent la distance et la séparation, et je suis heureux de vous parler aujourd’hui de mon amie Marie. Aujourd’hui sort en librairie le livre qui est autant un récit qu’un essai intitulé Le Syndrome du Bâtard.
Dans une vie qui me semble si lointaine aujourd’hui, je rencontrai Marie dans un dîner où j’étais accompagné de mon nouveau grand amour : mon appareil photo. Marie est une des premières personnes que j’ai photographié “en essayant de faire des photos”, c’est à dire en prenant un appareil photo avec moi toute une soirée et en consacrant effectivement du temps à capturer des instants sans demander un sourire convenu.
Marie riait fort, elle était joyeuse, et quand je photographie je regarde mais surtout j’écoute. Photographier me permet de me mettre dans le trou de la serrure d’une pièce, je suis celui qui fait des photos qu’on oublie assez vite, alors j’entends tout et j’essaye d’attraper le rythme des voix. Marie avait ces cheveux blonds qu’on a besoin de ne voir qu’une fois pour s’en souvenir. Ils attirent d’autant plus l’oeil quand ils sont haut perchés. Marie était belle, alors je prenais des photos de la jolie blonde au bout de la pièce.
Quand nous nous sommes parlés, je crois que nous avons connecté instantanément. Rencontrer une amie, c’est rencontrer une âme complice. Les quatre cents coups, elle les avait déjà faits. Je m’apprêtais à les faire en quittant tout, en vivant de fêtes, de blogs et de voyages, alors nous pouvions bien rire de toutes nos futilités, passées et à venir.
Quand nous avons parlé sérieusement, je découvrais que chacun d’entre nous n’avait aucune autre limite que notre volonté. Grâce à mes patrons qui m’ouvraient les yeux et mes lectures qui m’ouvraient la voie, je me rendais compte que je pourrai vraiment faire ce que je voudrais si j’en avais l’absolue volonté. Et parce que je ne suis pas avare en prétentions, je pensais que tout le monde pouvait faire pareil. Marie me disait qu’elle aimait lire par dessus tout et qu’elle aimerait écrire : “ouvre un blog”.
En matière de projets, Marie a tout ce qui me manque : la patience de l’excellence. Quand je commence dix projets pour en terminer un, Marie met dix ans pour en rendre un seul parfait. J’exagère à peine. Car pour écrire un livre, un seul, le chemin est vertigineux, périlleux et tellement long. Marie pèse chaque mot, cuisine le moindre paragraphe, elle assemble d'allers et retours et dresse un titre comme personne. Je suis convaincu que ce livre est le début d’une carrière d’autrice sublime.
Parce que nous avons été proches tout le long de ce chemin, je sais toute la difficulté de sortir de soi cette histoire, tellement dure dans ses prémices mais tellement belle dans son déroulement. Marie a lutté chaque phrase et chaque virgule, parce que cette histoire est une tragédie qui nous concerne tous en nous renvoyant à notre identité : notre filiation, notre rapport à nos parents. Même si ces sujets ne remplissaient déjà les salles d’attente des psychanalystes, ce serait facile à comprendre : ce que nos parents font de nous, ce que nos parents disent et taisent nous définissent. Le secret tue, malgré tout.
Le livre Le syndrome du bâtard est l’aboutissement de ce chemin pris par Marie pour découvrir son histoire et révéler les conséquences de ces secrets sur les enfants illégitimes ou naturels.
Quelle drôle d’expression. Qui donc aurait le droit de déclarer un enfant illégitime ? Qui pourrait croire qu’un enfant ne soit pas naturel, pour avoir besoin de le préciser ?
Aller lire le livre de Marie, c’est tout ce que je trouve naturel dans cette histoire.
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Les photos à suivre sont de Svend Andersen, elles participent au projet Bande de Bâtard qui recueille des témoignages d’enfants illégitimes.